L'intervention de l'OTAN en Libye au regard du droit international( Télécharger le fichier original )par Christian MBAMBI Université William Booth RDC - Graduat 2012 |
§2. La responsabilité de protégerAu cours des années antérieures, l'intervention humanitaire a été sujette de plusieurs controverses. Le génocide du Rwanda de 1994 est la preuve incontestée de la passivité de la communauté internationale face à cet évènement horrible alors que, le Secrétaire Général de l'O.N.U et certains membres du Conseil de sécurité savaient que des responsables liés au gouvernement de l'époque étaient en train de préparer un génocide et des forces des Nations Unies étaient présentes, certes en nombre insuffisant au départ; et il ne manquait pas de stratégies crédibles propres à empêcher, ou du moins à limiter grandement, le massacre qui a suivi100(*). Aussi, l'intervention militaire de l'Otan au Kosovo en 1999, a suscité plusieurs questions se focalisant autour de la question de la légitimité d'une intervention musclée dans un Etat souverain. Des violations de droits de l'homme commises par les autorités de Belgrade nécessitant ainsi l'urgence de l'humanitaire telle que stipulée par la résolution 1203101(*), pouvaient donner lieu à une telle intervention ? En réalité, l'intervention d'une telle ampleur ne peut résulter que d'une résolution dûment autorisée par le C.S.N.U. La charte en son article 53, stipule ce qui suit : « aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans autorisation du Conseil de sécurité... »102(*). L'OTAN ne constitue pas pour autant une exception à cette disposition. Son intervention armée au Kosovo parait ne pas rencontrer l'assentiment de plusieurs Membres de l'O.N.U, quand bien même qu'elle sera poussée d'agir pour des raisons d'ordre humanitaire. Le « groupe rio », les anciennes républiques soviétiques ainsi que plusieurs pays africains tels que l'Angola, la Libye, ne partageront pas l'avis des occidentaux103(*). Le représentant de l'Inde au Conseil de sécurité déclarait le 24 mars 1999: « Aucun pays, groupe de pays ou accord régional ne peut s'arroger le droit d'entreprendre une action militaire arbitraire et unilatérale contre un autre pays. L'argument selon lequel les attaques visent à prévenir des violations des droits de l'homme ne justifie pas une agression militaire non provoquée... »104(*).Le silence du C.S.N.U, organe de l'O.N.U chargé du maintien de la paix et, accuse la légitimation implicite de l'intervention militaire. Mario BETTATI écrit alors : « le Conseil de sécurité des NU a légalisé l'intervention militaire en refusant de la condamner. Comme en droit, ce qui n'est pas interdit est permis »105(*).Cela consacre donc « le droit d'ingérence » dans les affaires intérieures d'un Etat. Comment réagir face à l'ambiguïté du concept « droit d'intervenir ou d'ingérence» suscitant ainsi une discussion en droit international? En effet, l'ingérence constitue donc « l'immixtion sans titre d'un Etat ou d'une organisation intergouvernementale dans les affaires qui relèvent de la compétence exclusive d'un Etat tiers »106(*). Il ressort donc de cette définition, que l'ingérence prend à contre-pied le principe de « non-ingérence » garanti par l'article 2 §7 de la charte. Accepter une telle ingérence dans un Etat souverain donnera lieu à la violation de ce principe de base, qui place les Etats à un même niveau d'égalité, rappelant ainsi le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes. Par conséquent, ajouter l'expression « droit » dans le concept « d'ingérence », semble solidifier l'immixtion d'un Etat dans les affaires intérieures d'un autre, marchant ainsi sur le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes, qui constitue l'un des piliers de la charte de l'O.N.U parce ce qu'il donne un caractère obligatoire à l'ingérence. Les partisans de la souveraineté seront d'avis, que cette obligation de s'immiscer dans les affaires intérieures d'un Etat, favorise l'idée d'une violation du principe de non intervention et du droit des peuples de disposer d'eux-mêmes. Pour le Professeur P. VERHOEVEN, « ce que la règle entend sauvegarder, c'est en réalité la libre décision de l'Etat dans les matières qui l'intéresse le plus directement, fussent-elles l'objet de règles internationales impliquant des droits dans le chef d'autres Etats. Elle protège son autonomie contre toute ingérence « abusive », celle-ci fût-elle en soi licite parce qu'elle est l'expression d'un droit reconnu par l'ordre international. En ce sens, la règle de non-intervention n'exprime pas autre chose que le droit des Etats à disposer d'eux-mêmes »107(*). En effet, même si le principe de non-ingérence donnait le droit aux Etats de disposer d'eux-mêmes, cela ne veut pas pour autant dire que ces derniers détiennent le droit de disposer comme ils veulent. Même chez les plus fervents partisans de la souveraineté des États, la défense de cette souveraineté ne saurait pour l'État, aller jusqu'à prétendre qu'il dispose d'un pouvoir illimité de faire ce qu'il veut à l'encontre de sa propre population108(*). Quand des pouvoirs usent de la répression à l'encontre des populations civiles et commettent des crimes de guerre, crimes contre l'humanité ou des crimes de génocide, la non-intervention est tout aussi intolérable. Car, si l'ordre externe ou international perçoit la souveraineté comme étant la non- intervention ou la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un autre Etat, l'ordre interne lui, exige le respect de la dignité et de droits fondamentaux des personnes vivants sur le territoire d'un Etat109(*). Plusieurs instruments internationaux tels que les conventions de Genève110(*)ainsi que les différentes constitutions des Etats en ont fait référence.Cela confère donc à la souveraineté une double responsabilité auxquelles les Etats doivent remplir. Mais, lorsque ces Etats ne prennent pas en compte des enjeux de ces droits fondamentaux inhérents à la personne humaine, il y a bien lieu de s'inquiéter. Dans ces conditions,le principe de non intervention devra être vidé de toute sa substance, lorsque la charte de l'O.N.U poursuit le chapitre 2 § 7 en précisant : « toutefois, ce principe ne porte pas atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au chapitre VII »111(*). La suite de l'article précité attribue encore davantage au C.S.N.U, la possibilité de passer outre le principe de non intervention. Mais seulement à une seule condition qui n'est rien d'autre, que l'application des mesures de coercition adoptée en cas d'atteinte à la paix et à la sécurité internationales. Or, la question de la dignité et de droits inhérents à la personne humaine se trouve au centre même de l'esprit de la charte. A cet ordre d'idée, le concept même « d'ingérence » ne semble pas pouvoir être utilisé ici puisqu'il s'agirait, a priori, de la mise en oeuvre de la fonction de police internationale du Conseil de sécurité, exercée dans le but d'aplanir un différend ou de faire cesser une agression. Il n'y aurait donc pas d'ingérence au sens strict, l'action qui serait décidée dans ce cadre n'étant pas illicite mais résulterait de l'affirmation de l'« Etat de police » contenu dans la Charte.L'expression « droit d'ingérence » est un non-sens en ce qu'elle autoriserait un Etat à se rendre là où il n'en a, en principe, pas le droit, l'ingérence constituant une interférence dans les affaires d'autrui, une intervention illicite112(*). Le problème de rhétorique étant apparemment insoluble, c'est vers la finalité de l'expression qu'il faut se tourner pour en apprécier l'utilisation. En l'occurrence, l'objectif humanitaire. En effet, le concept de « droit d'ingérence humanitaire » est introduit aux Nations unies par la France avec l'adoption en 1988, non sans débats, de la résolution 43/131. Cette résolution, faisant référence aux frenchsdoctors, se limite à « l'assistance humanitaire pour les victimes des catastrophes naturelles et situations d'urgence... en particulier dans l'apport de nourriture, de médicaments ou de soins médicaux » et la résolution rappelle « la souveraineté des États »113(*). La première intervention se rapportant au « droit d'ingérence humanitaire », en totale conformité avec le texte et l'esprit de la résolution, est engagée en Arménie pour venir en aide aux populations à la suite d'un séisme qui a fait 25 à 30 000 victimes. Cette intervention humanitaire sera couronnée d'un succès114(*). A notre humble avis, le succès de la résolution 43/131 se justifie par la cohérence, la compréhension et la clarté de cette résolution adoptée par l'assemblée générale des N.U. Cependant, très rapidement, le concept « droit d'ingérence humanitaire » connaitra donc une dénaturalisation. Cette dénaturalisation est due à l'introduction dans les années 1990 au sein de l'OTAN, de la doctrine de l'Action civilo-militaire (ACM) ; dont l'objectif est de faciliter l'exécution des missions opérationnelles avant, pendant et après l'engagement des forces armées »115(*). Ce passage du « droit d'ingérence humanitaire » au « droit d'intervention humanitaire armée » va signifier, de « l'opération ProvideComfort » en d'Irak à celle du Kosovo, des dérives successives de la résolution 43/131, menant celui-ci dans l'impasse. Ces dérives successives ne seront pas à l'abri des critiques des organismes humanitaires. Ainsi la première dérive est la confusion de genres dénoncée par le M.S.F116(*). A ce sujet, Jakob Kellenberg, comme président du CICR, a déclaré devant le Conseil de sécurité : « Les opérations de maintien de la paix revêtent de plus en plus d'aspects humanitaires. Cette tendance pose certains dangers. Dans des situations où la paix est encore fragile, les forces des Nations Unies peuvent avoir à recourir à la force, ce qui peut donner l'impression qu'elles sont parties au conflit [...] À chacun son rôle : l'utilisation de la force relève du domaine militaire et les activités de secours relèvent des agences humanitaires »117(*). En effet, la neutralité des organismes humanitaires garantie par le but purement humanitaire à apporter aux victimes des conflits internes sur le territoire d'un Etat, est perçue comme une aide dont bénéficient ces derniers. Par contre, l'idée d'associer les actions humanitaires à une intervention militaire souvent de grandes puissances ; cas de l'A.C.M, est souvent considérée par les dirigeants des Etats comme étant un soutien apporté aux parties en conflit. C'est donc l'idée d'une intervention illicite qui justifie souvent le refus pour ces dirigeants d'admettre une intervention humanitaire aussi charitable que soit-il. Les N.U, accablées à des problèmes de recrudescence des victimes de guerres civiles qui, de plus en plus s'internationalisent etmenaçant la sécurité internationale d'une part, et la flambée de violations de droits humains par les dirigeants d'autre part, se trouvent dans l'obligation de légitimer ses interventions en faisant évoluer le concept « intervention ».D'où, le changement du concept « droit d'intervention » par « responsabilité de protéger ». Selon la C.I.I.S.E, La responsabilité de protéger consiste, en substance, à fournir protection et aide à des populations en péril118(*). Il ressort donc du rapport de la C.I.I.S.E, que changer le concept du «droit d'intervention » à celui de la « responsabilité de protéger » permet de ramener l'axe principal de discussion à son emplacement naturel119(*). Pour ainsi dire, que l'intervention aussi militaire soit-elle, entre dans un cadre purement naturel de défense de la sécurité internationale ainsi que de la rescousse des peuples en danger.Cela étant, le droit de protéger ne saura être décidé que par une résolution du Conseil de sécurité et, en vertu du chapitre VII de la charte. Car, cela parait donc légitime pour le Conseil de sécurité de protéger de personnes faibles délaissées par leurs Etats. Ainsi, le droit de protéger vise quatre objectifs fondamentaux, à savoir : - Établir des règles, des procédures et des critères qui permettent de déterminerclairement s'il faut intervenir et quand et comment il faut le faire; - Asseoir la légitimité de l'intervention militaire lorsque celle-ci est nécessaire et quetoutes les autres démarches ont échoué; - Veiller à ce que l'intervention militaire, lorsqu'elle a lieu, soit menée aux seulesfins prévues, soit efficace et accorde toute l'attention voulue à la nécessité deréduire autant que faire se peut les coûts humains et les dommages institutionnelsqui en résultent; et - Contribuer à éliminer, si possible, les causes du conflit tout en améliorant lesperspectives d'une paix durable. * 100« La Responsabilité de Protéger » Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, décembre 2001, p1 * 101S/RES/1203 du 24 octobre 1998 * 102 La charte de l'O.N.U * 103 http://www.aidh.org/Forum/ingerence_ka/kosovo03.htm (page consultée le 16/09/12). * 104 http://www.aidh.org/Forum/ingerence_ka/kosovo03.htm (page consultée le 16/09/12). * 105 MARIO BETTATI, cité par De WILDE d'ESTMAEL, T., Géopolitique, synthèse du cours, Louvain-la Neuve, UCL, Département des Sciences politiques et sociales, Unité de Science politique et de Relations internationales, Diffusion universitaire Ciaco, Année académique 2001-2002. * 106 M. BETTATI, Le droit d'ingérence : Mutation de l'ordre international, Paris, O. Jacob, 1996, p.12 * 107 P. VERHOEVEN, Droit international public, Bruxelles, Lancier, 2000, pp.145-146 * 108Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, la responsabilité de protéger, Op.cit. p 9. * 109 Article 1er de la résolution 41/128 de la déclaration sur le droit au développement. * 110 Article de la convention de Genève de 1949 et aussi repris dans tous les textes additionnels de la convention de Genève. * 111 La charte de l'O.N.U * 112 Sauf en cas de légitime défense prévue par l'art 51 de la charte de l'O.N.U * 113 A/RES/43/131 du 8 décembre 1988. * 114 http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9isme_de_1988_en_Arm%C3%A9nie (page consultée le 16/09/12). * 115 http://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Provide_Comfort (page consultée le 17/09/12). * 116 http://www.msf.fr/sites/www.msf.fr/files/2007-01-01-Action_humanitairevf.pdf (page consultée le 17/09/12). * 117 http://www.un.org/News/fr-press/docs/2000/20000908.ag1049.doc.html (page consultée le 17/09/12). * 118Rapport de la commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats, la responsabilité de protéger, Op.cit. * 119 Ibidem |
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