Paragraphe 1 : Une procédure peu ordinaire quant
à la prise de décisions
La législation communautaire sur les pratiques
étatiques ne contient aucune procédure générale
liée au contrôle des abus de monopole. On se serait attendu qu'une
procédure spécifique soit instituée à l'encontre
des entreprises concernées. Curieusement, le Règlement
n°1/99 et ses modifications sont plus exhaustifs sur ce point alors qu'en
réalité, les contextes ne sont pas identiques. Aux termes de
l'article 17 paragraphe 1 du Règlement n°12/05, « il est
crée pour l'application du présent Règlement, un Conseil
Régional de la Concurrence chargé de donner des avis au
Secrétaire Exécutif de la CEMAC sur toutes les questions ou
litiges concernant la concurrence dont elle est saisie
»110. Il apparait clairement que les organes de prise de
décisions existent avec des compétences précises (A),
même si en matière d'abus de monopole légal, les personnes
indexées suscitent des interrogations (B).
A. Les organes compétents111
Ce sont le Conseil Régional de Concurrence (1) et la
Commission112 (2), coiffés par la Cour de Justice
Communautaire (3).
1- Le Conseil Régional de Concurrence
(CRC)
L'article 8 du Règlement n°4/99 interdit aux
entreprises en situation de monopole de se livrer particulièrement
à un certain nombre de pratiques. L'article
110 L'ancienne rédaction de cet article
prévoyait la création d'un Organe de Surveillance de la
Concurrence composé du Secrétariat Exécutif, chargé
de l'instruction des pratiques prohibées et du Conseil Régional
de la Concurrence chargé de délibérer et d'arrêter
les décisions en matière de répression des infractions.
Cet organe n'existe plus.
111 L'article 47 du Règlement n°1/99
prévoit que les pratiques étatiques affectant le commerce entre
les Etats membres feront l'objet d'un Règlement particulier.
Néanmoins, l'organe chargé du contrôle des pratiques
anticoncurrentielles et la commission permanente sont communs aux pratiques
commerciales et aux pratiques étatiques.
112 Depuis la réforme des institutions de la CEMAC
intervenue en 2007, le Secrétariat Exécutif est devenue la
Commission.
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suivant dispose que : « Le CRC veille à
l'application des dispositions de l'article 8. Il adresse en tant que de
besoin, les directives et décisions appropriées aux Etats
membres, pour les informer qu'une mesure donnée est contraire aux
prohibitions édictées à l'article précédent
et leur demander d'y mettre fin ». Cette compétence reconnue
au CRC mérite quelques précisions surtout que le Règlement
modificatif a opéré dans certains domaines de compétence
un dessaisissement important de ses compétences113. Le CRC a
une composition très riche en compétence. Il s'agit selon
l'article 18 nouveau, des personnalités suivantes : un magistrat,
Président et des membres en l'occurrence un représentant de la
Conférence des Chambres Consulaires, d'un universitaire,
spécialiste du droit de la concurrence, d'un avocat, spécialiste
du droit des affaires, un macro économiste, un ingénieur
statisticien économiste, un représentant des associations des
consommateurs, un représentant de l'Union des Patronats de l'Afrique
Centrale (UNIPACE)114. Il est tout de même curieux de
constater que désormais, celui-ci n'est plus chargé que de donner
des avis. En tout cas, loin d'être un simple instrument de consultation
juridique, l'intervention du CRC s'apparente à une mesure d'instruction
exercée par un technicien115.
En ce qui concerne les abus de monopole, le CRC après
avoir été saisi, délibérera par un avis consultatif
qui sera communiqué à la Commission. Le doute survient
lorsqu'aucune précision n'est faite sur la force, ou du moins le sort de
cet avis.
113 KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La
réforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC,
op. cit., p. 108.
114 Antérieurement à la réforme, le CRC
était composé de sept membres à l'exclusion du
représentant de la Conférence des Chambres Consulaires et le
représentant de l'Union des Patronats de l'Afrique Centrale.
115 GODET (R.), « La participation des autorités
administratives indépendantes au règlement des litiges
juridictionnels en droit commun : l'exemple des autorités de
marché », R.F.D.A., 2000, p. 957. Cité par NJEUFACK TEMGWA
(R.), Etude de la notion de collaboration dans les procédures en
droit de la concurrence : une lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous
le prisme du droit européen, op. cit., p. 81.
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2- La compétence de la Commission
La Commission est chargée de l'instruction et des
enquêtes relatives aux infractions se rapportant aux règles de
concurrence et aux aides d'Etats116. Ce renforcement du rôle
de la Commission est en outre consacré par la possibilité
d'arrêter les sanctions relatives aux infractions117. Suivant
l'article 10 du Règlement n° 4/99 qui dispose : « Les
infractions sont poursuivies conformément aux dispositions
du Règlement n°1/99-639-UEAC-639 portant
réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles
», on déduit aisément que l'instruction et les
enquêtes ressortissent normalement de la compétence de la
Commission qui pourra adopter une décision formelle condamnant ou non la
pratique incriminée. Une doctrine118 propose néanmoins
que pour plus d'efficacité, le CRC aurait pu être
intégré au sein de la Commission. Son rôle serait alors
d'examiner, obligatoirement, les rapports, procès verbaux et toutes les
informations qui lui seront communiquées après enquêtes et
instructions afin de donner son avis à la Commission. Au demeurant, la
composition du CRC est désormais bien pensée, car elle combine
toutes les expertises indispensables à la maîtrise d'un
contentieux économique119. Il s'agit en l'occurrence d'un
organe technique spécialisé dont les travaux peuvent s'enrichir
de l'expérience de l'expert enquêteur désigné par le
Président de la Commission ou l'Etat membre concerné par le
litige le cas échéant.
Dans le souci de l'administration d'une bonne justice
communautaire, les décisions de la Commission peuvent faire l'objet de
contestation.
116 Article 17 paragraphe 2 du Règlement n°12/05.
117 Article 19 paragraphe 3.
118 KALIEU ELONGO (Y.R.) et WATCHO KEUGONG (R.S.), La
réforme de la procédure communautaire de concurrence CEMAC,
op. cit., p. 112.
119 NJEUFACK TEMGWA (R.), Etude de la notion de
collaboration dans les procédures en droit de la concurrence : une
lecture du droit africain (CEMAC et UEMOA) sous le prisme du droit
européen, op. cit., p. 80.
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3- La compétence a postériori de la Cour de
Justice Communautaire
Contrairement aux aides d'Etats120, l'article 10 du
Règlement n°4/99 reconnait de manière implicite la
compétence de la CJC pour connaitre des recours en matière de
monopoles légaux puisque les infractions y relatives sont poursuivies
conformément aux dispositions de la réglementation des pratiques
commerciales anticoncurrentielles121. Il ressort des articles 24 du
Règlement n°1/99 et 25 du Règlement n°12/05 que les
décisions rendues par la Commission peuvent faire l'objet d'un recours
auprès de la Cour de Justice de la CEMAC122, chambre
judiciaire, par les entreprises et les tiers ayant un intérêt
légitime123. De plus, considérée comme la plus
haute juridiction communautaire à l'instar des cours suprêmes
nationales, la Cour de justice statue avec compétence de pleine
juridiction en dernier ressort sur la légalité de la
décision de la Commission. Si les intéressés peuvent de
manière ordinaire faire opposition, extraordinairement, ils ont la
possibilité d'une tierce opposition, d'un recours en révision, de
la contestation sur le sens ou la portée du dispositif et de la
vérification d'erreur matérielle. Ces recours sont introduits par
requête à la Cour ou au greffe de la chambre
judiciaire124.
A vrai dire, le législateur communautaire peut infliger
des sanctions à exécution directe comme les amendes. Pour
d'autres, il pose les bases d'incrimination et renvoie aux lois nationales qui
fixent les mesures répressives finales125. On notera
120 En matière d'aides d'Etats, c'est le Conseil des
Ministres qui est compétent pour connaitre des recours du CRC y
relatives (article 6 du Règlement n°4/99).
121 MBOGNING KENFACK (J.S.), L'intégration
économique de la CEMAC à l'aune du marché commun et les
politiques d'accompagnement, Mémoire DEA, Dschang, 2006, p.91.
122 La Cour arbitrale était chargée de
façon provisoire de connaitre des recours exercés contre les
décisions du conseil régional. Il est remplacé par la Cour
de Justice Communautaire donc la mise en place a été effective en
2000. On aurait pu penser qu'en instituant la Cour Arbitrale, l'intention du
législateur communautaire était de soumettre le Règlement
des différents au droit de la concurrence à un modèle
arbitral. Ce qui aboutirait à une parenthèse fermée avant
d'avoir été ouverte (Cf. PRISO ESSAWE (S. J),
L'émergence d'un droit communautaire africain de la concurrence :
double variation sur une partition européenne, Revue Internationale
de Droit Comparé, n°2, Avril juin 2004, p.329).
123 Les Actes Additionnels n°4/00-CEMAC 041-CCE-CJ-02 et
n°5/00-CEMAC 041-CCE-CJ-02 du 14 décembre 2000 fixent
respectivement les règles de procédure et le statut de cette
juridiction.
124 Pour une étude détaillée des voies de
recours, voir GNIMPIEBA TONNANG (E), Droit matériel et
intégration sous-régionale en Afrique centrale (contribution
à l'étude des mutations récentes du marché
intérieur et du droit de la concurrence CEMAC), Thèse de
Doctorat, Université de Nice-Sophia Antipolis, Mars 2004, pp.
309-314.
125 Article 27 § 3 du Règlement n° 1/99.
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enfin le concours des organisations de consommateurs et des
juridictions nationales. Concernant ces dernières en effet, le
prononcé des sanctions pénales se présente comme le
domaine réservé du juge national en cas de violation de la
réglementation communautaire. Cette situation s'expliquerait par le fait
que, si le juge communautaire venait à prononcer des peines privatives
de liberté, la Communauté ne disposerait pas de structures pour
accueillir les pensionnaires de cette nature126. C'est pourquoi le
juge national demeure tout naturellement le juge d'application des
peines127.
Ces Etats, comme en matière d'aides aux entreprises,
sont directement visés en cas de pratiques démesurées des
monopoles légaux.
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