L'école est un produit de la classe bourgeoise (Pierre
BOURDIEU et Jean Claude PASSERON 1970), avec ses méthodes et moyens qui
lui sont propres. L'école, dans l'optique de transmettre un ensemble de
savoir aux différents individus en situation d'apprentissage imprime une
certaine violence sur les élèves qui sont extérieurs
à ce système. Les élèves issus d'une classe sociale
élevée auront une familiarité, une certaine aisance
à intérioriser les savoirs dispensés car étant le
propre de leur culture, leur vécu quotidien, de leur « biotope
».A propos, BOURDIEU ET PASSERON font allusion au théâtre
pour illustrer la difficulté que certains élèves ont
à s'adapter à certaines disciplines « une bonne
connaissance de théâtre classique n'a pas la même
signification chez les fils de cadre supérieurs parisiens, qui
l'associent à une bonne connaissance du théâtre
d'avant-garde et même du théâtre de boulevard, et chez le
fils d'ouvrier de Lille ou de Clermont-Ferrand, qui connaissant aussi bien le
théâtre classique ignorent tout du théâtre
d'avant-garde ou du théâtre de boulevard
»(BOURDIEU,PASSERON,1964,p.33).
En effet, tenant compte de leurs origines sociales, les
étudiants ne sont pas formellement égaux dans l'accès de
la culture savante. Le capital culturel est un facteur déterminant dans
l'acquisition du savoir que l'on soit d'un milieu favorisé ou
défavorisé. Les matières enseignées dans les
écoles sont le propre de la culture dominante .Cette culture transmet
aux autres cultures « non savante » implicitement un corps de
savoirs, de savoir-faire et surtout de savoir dire qui constitue le patrimoine
des classes cultivées. Tout porte à croire que
l'inégalité culturelle a pour corollaire
l'inégalité des chances et de réussite à
l'école des différentes couches sociales. BOURDIEU ET PASSERON
iront plus loin en disant que croire que l'on donne à tous les chances
égales d'accéder à l'enseignement, c'est rester à
mi-chemin dans l'analyse des obstacles. Il ne faudrait pas ignorer que les
aptitudes mesurées au critère scolaire tiennent plus à des
dons naturels et à des habitudes culturelles d'une classe
privilégiée.
Les études de Basile BERNSTEIN cité par
BOURDIEU(1964) ont montré la place que tient, parmi les obstacles
culturels, la structure de la langue parlée dans les familles
ouvrières. Il s'est penché sur le problème des
échecs scolaires et des performances médiocres en se fondant sur
le
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langage. Selon lui « les différences de
performances s'expliquent essentiellement par une inégalité
d'accès au langage formel et à son code élaboré,
qui favorise les classes moyennes en leur donnant les possibilités de
nommer et ainsi de distinguer les objets de leur environnement immédiat.
Le langage `'public'Ç c'est-à-dire peu personnalisé et
concret dans les classes populaires, rend au contraire difficile la
verbalisation des sentiments et partant, la différenciation cognitive et
émotionnelle » (A. GRAS, 1961, p.143).
BERNSTEIN distingue deux codes linguistiques : il y a un code
restreint ayant pour base de communication le sous-entendu.Le locuteur
étant sûr que son interlocuteur comprend ce qu'il veut dire ; ce
code est celui des classes moyennes et supérieures, qui
privilégie l'individualité et contraint le locuteur à
choisir parmi les synonymes. Or remarque l'auteur, c'est ce dernier code qui
est utilisé à l'école, d'où l'avantage des classes
moyennes et supérieures déjà initiées à ce
code.
Pour BERNSTEIN, les élèves issus de milieu
populaire ont un désavantage lié à leur origine sociale
qui se manifeste par leur orientation scolaire. Ainsi l'héritage
culturel joue un rôle prépondérant dans la survie scolaire
et détermine ses résultats tout au long du parcours scolaire. Si
les élèves issus de la bourgeoisie ont des aptitudes dans des
disciplines spécifiques et présentent des résultats
satisfaisants, ceux-ci doivent cet avantage à leur héritage
culturel qui correspond à celui de l'école. BOURDIEU, à ce
propos, dira que « les étudiants les plus favorisés ne
le doivent pas seulement à leur milieu d'origine des habitudes, des
entrainements et attitudes qui les servent directement dans leurs tâches
scolaires ; ils en héritent aussi des savoirs et un savoir-faire, des
goûts et un `'bon goût'' dont la rentabilité scolaire »
(BOURDIEU, PASSERON, 1964, p.30).
En effet, l'école reste la seule et unique voie
d'accès à la culture et cela tout au long de leur parcours ; elle
serait la voie royale de la démocratisation de la culture. Si les
élèves de milieu défavorisé sont peu
réceptifs à cette culture, c'est par souci de protectionnisme
vis-à-vis de cette nouvelle culture aliénante. A ce sujet
BOURDIEU est catégorique « pour les fils de paysans,
d'ouvriers, d'employés ou de petits commerçants, l'acquisition de
la culture scolaire est acculturation » (BOURDIEU, PASSERON, 1964,
p.37).