La distinction pouvoir constituant et pouvoirs constitués au Cameroun( Télécharger le fichier original )par NENEO KALDAYA Université de Douala - Cameroun - Diplôme d'études approfondies option droit public interne 2008 |
SECTION II : LES LIMITES A LA STABILITE ET A LA SUPREMATIEDE LA CONSTITUTION AU CAMEROUNLes exigences de la démocratie tant souhaitées et voulues par le pouvoir constituant, connaissent des difficultés dans leur mise en application. Ceci participe de l'amoindrissement ou de la diminution de l'autorité de la norme constitutionnelle. JEAN DUBOIS DE GAUDUSSON explique le phénomène par la dominance présidentielle dans le processus constitutionnel en relevant que « Le pouvoir politique [en Afrique] s'analyse en un réseau du pouvoir dominé par l'hégémonie bureaucratique politico-partisane, maîtrisée par le chef de l'Etat et un clan, voire une ethnie ; bénéficiaire d'une véritable confusion institutionnelle, le chef de l'Etat est toujours au coeur du pouvoir , le coeur même de pouvoir »288(*). Pour se rendre à l'évidence, il convient d'examiner d'abord les manquements à la stabilité constitutionnelle au Cameroun (PARAGRAPHE I) avant de préciser ses effets sur la suprématie constitutionnelle (PARAGRAPHE II). PARAGRAPHE I : LES LIMITES A LA STABILITE CONSTITUTIONNELLEAU CAMEROUNLa position primale du président de la république sur l'échiquier national, parce qu'il est la clé de voûte des institutions, lui attribue des avantages considérables. Pour VALENTIN MIAFO DONFACK, « C'est le président de la république qui détermine les modes d'adoption des constitutions en fonction des contingences politiques »289(*). On note ainsi avec tristesse une fragilisation de la constitution due à l'hégémonisme présidentiel d'une part (A) dont la conséquence immédiate en est la fréquence des révisions constitutionnelles d'autre part (B). A- L'institution d'un hégémonisme présidentiel au Cameroun Le président de la république détient un pouvoir énorme en matière d'élaboration et de révision de la constitution au Cameroun. Il fait ainsi usage de son privilège constitutionnel sur les autres institutions étatiques. Ceci fait de ce dernier un être politique tout puissant (1) apportant une limitation consistante à la souveraineté des peuples (2) 1- La toute-puissance constitutionnelle du président de la république au Cameroun Au nombre des constitutions qu'a connues le Cameroun depuis son accession à la souveraineté internationale, la manoeuvre présidentielle a été la plus en vue.290(*) A travers le lien d'indispensabilité existant entre la constitution et l'exercice du pouvoir politique, le chef de l'Etat devient au Cameroun l'artisan de la constitution. Ce dernier a le pouvoir de lui donner toutes les formes qu'il juge nécessaire et utile. A l'analyse, la pléthorique révision ou modification constitutionnelle au Cameroun témoigne de la conjoncture politique ayant marquée l'Etat du Cameroun. Le président devient ainsi un monarque absolu phagocytant les autres institutions pouvoiristes concurrentes en la matière. Pour VALENTIN MIAFO DONFACK, « Au Cameroun et depuis la première constitution, le droit d'initiative est reconnu à la fois au gouvernement et au parlement, mais l'expérience montre que l'initiative en matière de révision est restée le privilège exclusif du gouvernement ; mieux du président de la république sans que le parlement ait la possibilité de décider si cette initiative doit avoir une suite »291(*). Ceci témoigne de l'effacement plus ou moins visible du pouvoir du souverain, qui est depuis toujours au Cameroun, la représentation nationale. 2- La limite apportée à la souveraineté du peuple L'option présidentialiste ou le monopole présidentiel de la constitution a donné le signal de l'enterrement du souverain au Cameroun. La confiscation de la souveraineté est donc sans conteste. La préférence de l'adoption, modification ou révision de la constitution par voie législative au détriment du référendum est le signe palpable de cette stratégie présidentielle. Le parlement a ainsi participé dans une large mesure à la dépossession de la souveraineté constituante du peuple. C'est ce que LUC SINDJOUN a considéré comme « une dépossession présidentielle du pouvoir constituant originaire légitimée par la présentation des députés comme les représentants souverains du peuple et non les représentants du peuple souverain »292(*). Ce paria de représentation du souverain laisse planer une crise de représentativité où le peuple supposé souverain se retrouve de moins en moins dans les décisions de ses représentants. Une telle pratique, relayée par le fait majoritaire ne peut que conforter la position présidentielle. D'où la fébrilité de l'institution normative suprême marquée par une certaine cadence emprunte de suspicion. B- La fréquence des retouches constitutionnelles suspectes au Cameroun La recherche d'une position stratégique devant renforcer le statut présidentiel de tout temps , et notamment dans le système de pluralisme constitutionnel, a énormément affecté la stabilité constitutionnelle au Cameroun. La succession de modifications constitutionnelles sont des preuves des manoeuvres politiciennes (1) empruntes d'une autocratisation constitutionnelle sans enjeu réel293(*) quant à l'institution d'une société politique démocratique stable et prospère (2). 1- La multiplication des manoeuvres politiques au Cameroun Depuis la constitution de la Iè République camerounaise, qu'on pourrait considérer comme la véritable pratique de la démocratie, quoiqu'on dise, à cause de l'effectivité de la participation de tout le peuple, détenteur de la souveraineté, et récidivé en 1972 ; les modifications subséquentes ne sont que pures manoeuvres diligentées dans l'optique d'un enracinement au pouvoir par les dirigeants.294(*) L'amorce du multipartisme n'y a pas changé grande chose. La tradition constitutionnelle camerounaise295(*) recèle une certaine prééminence du président de la république, en effet, il constitue désormais la clé de voûte de tout le système. C'est cette position que la doctrine n'a pas hésité de comparer au pontificat dont la spécifité demeure la soumission, une adhérence candide. La constitution en vigueur au Cameroun fait même l'apologie de cette position dominante en disposant que certaines interventions du président de la république ne donnent pas lieu à un débat.296(*) Il s'agit ici d'une logique d'autoritarisme constitutionnel où le roi octroie la constitution. On peut ainsi conclure avec VALENTIN MIAFO DONFACK que « le président de la république est la clé de voûte du système institué par les différentes constitutions du Cameroun »296(*). Définitivement, il est de tradition que les constitutions camerounaises ont consacré une autocratie sans pareille tout au long de son histoire. 2- L'autocratisation constitutionnelle au Cameroun L'histoire constitutionnelle camerounaise reste de plus confuse. Loin de faire l'unanimité de la doctrine et certains esprits avertis, le régime politique camerounais reste problématique. Loin d'exagération, le régime camerounais est caméléon où tout observateur est appelé à adopter à son accommodation. Loin de faire l'objet d'une certitude, on peut penser tout de même qu'il y a lieu de puiser ses caractéristiques disparates pour lui attribuer de temps à autre un attribut qu'arborent les sociétés politiques dites modernes. Nous pouvons partager le point de vue de YACOUBA MOLUH, qui s'interroge ainsi sur « l'introuvable nature du régime camerounais issu de la constitution du 18 janvier 1996 », en particulier et de ses antécédents de manière générale en ces termes « Simple volonté politique ou amateurisme de l'organe constituant, le résultat est le même : le régime instauré par la constitution du 18 janvier 1996 n'est en conformité avec aucun type pur, avec les exigences d'aucun modèle classique »297(*). Le président pèse de tout son poids sur la constitution et à tous les niveaux. Ce privilège s'explique par la demande d'une seconde lecture lorsqu'il estime que le texte adopté ne satisfait pas à ses caprices. Il convient de signaler donc que le constituant camerounais a concédé à une conception maximaliste à l'institution présidentielle dont la conséquence réelle est l'amoindrissement de la suprématie constitutionnelle. * 288 De Gaudusson (Jean Dubois), Les constitutions africaines, ouvrage précité, page 330. * 289 V. M. Donfack, « Le président de la république et les constitutions au Cameroun », FFE , 1996 ; page 254. * 290 M. Ondoa, « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais », opcit, page 8. * 291V. M.Donfack, « Le président de la république et les constitutions au Cameroun », précité ; pages 264-265. * 292 Luc Sindjoun, cité V. M. Donfack, « Le président de la républiques et les constitutions au Cameroun », article précité, page 268. * 293 Voir article 32 de la constitution de 1996. * 294 Option pour la présidentialisation du pouvoir synonyme d'antithèse démocratique. * 295 V.M.Donfack, « Le président de la république et les constitutions du Cameroun », précité, page 271. * 296 V.M.Donfack, « Le président de la république et les constitutions du Cameroun », op.cit., page 275. * 297 Yacouba Moluh, « L'introuvable nature du régime camerounais issu de la constitution du 18 janvier 1996, in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques », FFE, 1996, op.cit. ; page 249. |
|