La distinction pouvoir constituant et pouvoirs constitués au Cameroun( Télécharger le fichier original )par NENEO KALDAYA Université de Douala - Cameroun - Diplôme d'études approfondies option droit public interne 2008 |
PARAGRAPHE II : LA VOLONTE DE PERENNISATION DES INSTITUTIONSDEMOCRATIQUES PAR LE POUVOIR CONSTITUANTCAMEROUNAISIl faut louer ici l'oeuvre du pouvoir constituant au point de vue d'une édification des institutions solides qui ne peuvent être voués facilement à des intempéries du moment. Il faut donc reconnaître avec P. LAUVAUX que « la volonté des institutions démocratiques se manifeste dans leur fonctionnement »211(*) . Le constituant camerounais entend la pérenniser à travers l'institution des refus d'ingérence diverse (A) qui n'est rien d'autre qu'un mariage avec la théorie de la séparation stricte des pouvoirs constitutionnels (B). A- Le mécanisme de la mise en oeuvre des institutions démocratiques WILLIAM R. BROCK, dans son analyse sur la société politique américaine insiste sur la notion de la démocratie en affirmant que : « Le terme démocratie est un mot symbolique qui évoque plusieurs caractéristiques associées entre autres : La participation des citoyens à la direction de l'Etat, la liberté des élections, la prise des décisions à la majorité, la liberté de parole et la liberté d'association »212(*). PATRICE GELARD et JACQUES MEUNIER 213(*)définissent la démocratie selon trois sacro-saints principes : -L'existence des droits et libertés de l'homme et du citoyen, garantis et protégés par la constitution ; -La participation obligatoire du peuple au choix des gouvernants au moyen d'élections périodiques et disputées ; -L'existence de contre-pouvoirs qui permettent le libre exercice de la pratique et de la constitution. La particularité du constituant camerounais s'explique par son attachement à la promotion du principe de participation (1), mais aussi dans un souci de radicalisation de la distinction fonctionnelle (2). 1-La promotion du principe de participation dans l'ordre constitutionnel camerounais La participation s'entend comme la collaboration à l'exercice de certaines fonctions que le pouvoir constituant a institué à souhait. La revue de l'histoire constitutionnelle camerounaise témoigne de cette collaboration notamment dans ses dispositions.214(*) Pour la doctrine, il s'agit d'un principe universel et séculier, prêté à la constitution américaine de 1787. L'assouplissement de la séparation des pouvoirs est identifiable dans le cadre de l'initiative des lois constitutionnelles, du référendum.215(*) Pour la doctrine camerounaise, « Le présidentialisme repose et favorise la confiscation du pouvoir dans l'Etat, à travers des manoeuvres variées et pernicieuses. En ce sens [souligne t-il], dé-présidentialiser un régime, c'est remettre le pouvoir aux citoyens, afin que, en toute responsabilité, ils choisissent leurs dirigeants et que ceux-ci deviennent, devant eux, comptables de leur gestion »216(*). Le développement du principe de participation à l'exercice de certains pouvoirs participe donc de la rationalisation du régime mais qui est marqué par une certaine radicalisation à certains égards. 2- La radicalisation de la distinction fonctionnelle des pouvoirs La séparation stricte des pouvoirs est un principe constitutionnellement consacré au Cameroun. Il s'agit ici d'une transposition du principe classique de la séparation des pouvoirs dont le mérite revient à JOHN LOCKE et à MONTESQUIEU. Ce dernier propose de morceler les pouvoirs, de les diviser afin de le confier à un organe institutionnel distinct pour assurer le primat de la liberté. En effet, pour lui, « La sauvegarde de la liberté par la loi réside dans l'établissement d'un régime politique où triomphe la modération »217(*). Pour la doctrine interne, inspirée par ce principe, le pouvoir constituant camerounais consacre une séparation stricte en créant non seulement deux organes d'exercice de la souveraineté de l'Etat mais aussi, organisant les compétences de chacun d'entre eux.218(*) Cependant, le professeur ROGER GABRIEL NLEP affirme avec vigueur les lacunes de la séparation des pouvoirs au Cameroun en insistant sur la simple fiction juridictionnelle du contrôle de constitutionnalité.219(*) B- L'affermissement du principe de la séparation stricte des pouvoirs dans l'ordre constitutionnel camerounais La séparation stricte des pouvoirs est un principe cher à la constitution du 18 janvier 1996 (1), mais il reste un principe longtemps pratiqué par le constituant camerounais (2). 1- Le principe de la séparation est consacré par le constituant du 18 janvier 1996 La particularité du principe de la séparation des pouvoirs220(*) instituée par le constituant du 1996 est liée au contexte tendu du moment.221(*) Pour le professeur ROGER GABRIEL NLEP, cette séparation est plus ou moins effective au plan fonctionnel.222(*) Longtemps accusé de rafler tous les pouvoirs y compris constituant, le pouvoir exécutif était la principale cible avec le souhait de le voir dé-présidentialiser223(*) au profit d'une distribution dans le strict respect des principes démocratiques. Pour le politologue MANASSE ABOYA ENDONG, « La réalité politico-juridique du Cameroun démontre que l'exécutif est le chef d'oeuvre de toutes les normes juridiques , quelles émanent du gouvernement [...], qu'elles soient des lois référendaires, constitutionnelles et parlementaires »224(*) . C'est surtout la garantie de cette séparation qui doit être mise en exergue, car, il s'agit d'une institution typiquement nouvelle considérée comme l'organe de régulation des conflits , en l'occurrence le conseil constitutionnel. Telle est la substance essentielle des articles 47 et 48 de la constitution du 18 janvier 1996. Cependant, le problème de l'indépendance de l'institution225(*) n'est pas totalement à l'abri de l'influence du pouvoir exécutif, par ailleurs compétent dans la nomination des conseils.226(*) 2- L'approche historique du principe de la séparation des pouvoirs au Cameroun La séparation des pouvoirs n'est pas un concept nouveau en droit constitutionnel camerounais. Car il remonte à la fondation même de l'Etat du Cameroun. Néanmoins, cette pratique était moins ressentie du fait de l'exercice chaotique du pouvoir par les institutions existantes, et surtout l'absence d'une institution de régulation et de contrôle viable. C'est là le véritable problème qui a échappé à la vigilance du constituant originaire camerounais. Le pouvoir constitué dominant aidé par le système du parti unique du moment,227(*) a largement influencé la pratique constitutionnelle au Cameroun. C'est ainsi que pour le professeur MAURICE KAMTO, dans son analyse sur la constitution fédérale camerounaise, « L'hypertrophie de la fonction présidentielle renforcé par la pratique du parti unique qui s'est mise en place cinq années après la réunification, a considérablement atténué le jeu parlementaire au sein des Etats fédérés et a transformé les régimes politiques desdits Etats en des expériences du parlementarisme dominé dans le cadre d'un fédéralisme présidentialiste à tendance centralisatrice »228(*). Dans le même sillage, E. TALTOU fait observer cette anomalie du pontificat présidentiel s'illustrant par la primauté de l'exécutif et la suprématie présidentielle229(*), par ailleurs élément prédominant du système constitutionnel camerounais, considération faite de ses attributions avec une distribution inégalitaire des pouvoirs au sein de l'Etat. 230(*)Tout ceci s'illustre par la subordination des autres organes constitutionnels à travers l'inféodation des pouvoirs législatifs et judiciaire. La crédibilité des institutions est ainsi vouée à l'échec par des pratiques incontrôlées des pouvoirs à travers la négligence ou l'irrespect des principes établis. Le caractère formel des dispositions constitutionnelles camerounaises sans application réelle aidant, l'Etat évolue de plus en plus en marge du type dit de droit, autre corollaire d'Etat démocratique. * 211 P. Lauvaux, Les grandes démocraties contemporaines, ouvrage précité, page 17. * 212 William R. Brock, L'évolution de la démocratie en Amérique, tome 1, NOUVEAUX HORIZONS, 1974, page 9. * 213 P. Gélard et J. Meunier, Institutions politiques droit constitutionnel, MONTCHRESTIEN, 2è édition, 1997, opcit, page 35. * 214 Voir article 2 alinéa 2, constitution de 1996. * 215 Lire article 63 alinéa 1er de la constitution de 1996. * 216 M. Ondoa, « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais » opcit, page 15. * 217 C. Debbasch, J.M. Pontier, J. Bourdhon, et J.C Ricci, Droit constitutionnel et institutions politiques, ECONOMICA, 4è édition ,2001 ; page 172. * 218 Lire F. Mbomé, « Les rapports entre l'exécutif et le parlement », LEX LATA, n°023-024, février- mars 1996, opcit, page 25. * 219 R. G. Nlep, « Le juge de l'administration et les normes internes constitutionnelles ou infra-constitutionnelles en matières des droits fondamentaux », RAPD, SOLON, vol. 1, n°1, 1999, pages 137-146. * 220 J. T.Hond, « Discussion autour du principe de la séparation des pouvoirs au regard de la constitution du 18 janvier 1996 », article précité, page 232. * 221 La crise politique des années 1990 a engendré la constitution de 1996 dont la révision de 2008 était prévisible selon le magistrat Kengne Pokam Emmanuel, in le journal « La Nouvelle Expression », n°2133 du 21 décembre 2007, pages 6-7. * 222 R. G. Nlep, « Le juge administratif et les normes constitutionnelles ou infra-constitutionnelles en matière des droits fondamentaux » , opcit, page 137. * 223 Lire M. Ondoa, « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais », opcit, page 12. * 224 Manassé Aboya Endong, « Parlement et parlementaire au Cameroun : compte rendu du contenant sans contenu », RAPD, SOLON, 1999, page 39. * 225 Claude Momo, « Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun », op.cit., page 28. * 226 Jérôme Francis Wandji K., « Le contrôle de constitutionnalité au Cameroun et le modèle africain francophone de justice constitutionnelle », in POLITEIA, n°11, 2007, page 337 sur l'aspect paternaliste des conseillers constitutionnels. * 227 On fait allusion à la prépondérance de l'exécutif sous le régime monolithique. * 228 M. Kamto, La dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant, précité, page 13. * 229 M. Ondoa, « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais », opcit, page 3. * 230 E. Taltou, « Constitutions et politiques au Cameroun », thèse précité, page 163. |
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