La distinction pouvoir constituant et pouvoirs constitués au Cameroun( Télécharger le fichier original )par NENEO KALDAYA Université de Douala - Cameroun - Diplôme d'études approfondies option droit public interne 2008 |
PARAGRAPHE II : LES COMPETENCES CONSTITUTIONNNELLES DESPOUVOIRS CONSTITUTES AU CAMEROUNToute institution étatique est dotée d'une compétence, c'est-à-dire, l'objet pour lequel elle a été créée. Les pouvoirs constitués sont ainsi crées pour des missions spécifiques. C'est là, le sens même de la séparation des pouvoirs, en vue de la meilleure satisfaction de l'intérêt général. Le pouvoir constituant dote ainsi chaque institution d'une compétence qui se veut d'une part traditionnelle (A) mais également spéciale (B). A- Les compétences traditionnelles des pouvoirs constitués La théorie de la séparation des pouvoirs est appliquée de nos jours dans la plupart des pays les plus démocratiques du monde. Le droit positif camerounais n'échappe pas à cette réalité lorsqu'il consacre depuis le 18 janvier 1996 les trois pouvoirs.157(*)Le sens camerounais de la séparation des pouvoirs s'entend comme « une distribution fonctionnelle des prérogatives entre des autorités participant toutes à l'accomplissement des missions étatiques »158(*). Même si cette séparation accuse de déficit d'équilibre comme le souligne JEAN-TOBIE HOND, elle affirme néanmoins la distinction du pouvoir exécutif (1) du législatif (2) sous l'arbitrage du judiciaire (3). 1- Les compétences du pouvoir exécutif Le pouvoir exécutif est perçu selon les termes d'ALAIN DIDIER OLINGA, comme « l'institution phare de toutes les institutions »159(*). L'exécutif camerounais est dualiste et non dyarchique avec expression de la suprématie présidentielle.160(*) Pour VALENTIN MIAFO DONFACK, « Le président de la République est la clé de voûte du système politique camerounais quelque soit le contexte constitutionnel »161(*). Cette analyse se justifie par l'importance de ses attributions disposées à l'article 8 de la constitution de 1996. Le gouvernement est, au sens de l'article 11 de ladite constitution, la machine d'application de la politique de la nation définie par le chef de l'Etat. Cette soumission est observable dans son pouvoir de nomination du chef du gouvernement et sa suite. Le président de la République devient ainsi une institution très forte qui conduit l'action gouvernementale sous le contrôle du parlement. Son poids institutionnel est très déterminant dans la marche des affaires républicaines. 2- Les compétences traditionnelles du pouvoir législatif au Cameroun Le pouvoir législatif est attribué à un organe législatif appelé parlement. Le parlement camerounais est depuis la constitution de 1996, bicaméral avec l'institution d'un sénat à coté de l'Assemblée Nationale. Pour la doctrine, cette deuxième chambre à « un caractère modificateur en ce qu'il a essentiellement pour objet de corriger les excès éventuels de la loi du nombre qu'incarne l'assemblée nationale qui a la base populaire la plus nombreuse »162(*). L'article 14 alinéa 2 de la constitution de 1996 définit le rôle essentiel du parlement, notamment le vote des lois et le contrôle de l'action gouvernementale. Le parlement constitue ainsi un contre-poids au pouvoir exécutif. De manière générale en effet, les rapports entre l'exécutif et le législatif s'analysent en des relations tantôt de collaboration, tantôt de séparation stricte, voir de prééminence (président de la République et parlement) et d'influence réciproque (parlement et gouvernement).163(*) L'observation de la structure institutionnelle camerounaise met en doute la typologie même de la nature du régime dont l'Etat se revendique. C'est ce qui a semblé arracher ce constat du professeur FRANCOIS MBOME lorsqu'il soutient que : « Le nouveau régime [1996] ne rentre dans aucun régime classique ; il est ni présidentiel, ni parlementaire »164(*). Qu'en est-il de ses rapports avec le pouvoir judiciaire ? 3- La place du pouvoir juridictionnel au Cameroun La séparation des pouvoirs dans le contexte camerounais comme le souligne JEAN-TOBIE HOND « La distribution de la puissance publique entre trois pouvoirs détenant une parcelle de l'autorité étatique »165(*)est le rêve du pouvoir constituant camerounais de 1996. La particularité de la constitution de 1996 est d'avoir opté pour l'institution du pouvoir judiciaire à coté du classique exécutif et législatif. C'est ainsi que le titre V a été consacré au pouvoir judiciaire au sommet duquel trône la cour suprême.166(*) L'institution du pouvoir judiciaire constitue ainsi une rupture avec une tradition constitutionnelle camerounaise antérieure.167(*) Cependant, le problème reste l'effectivité et l'efficacité du pouvoir judiciaire dans l'édification de l'Etat de droit comme le souligne A. HUGE parlant de la séparation des pouvoirs aux Etats-Unis d'Amérique. Pour ce dernier, « Si le système judiciaire américain est actuellement aussi puissant, c'est qu'il repose sur le pouvoir judiciaire, qui s'est affirmé face au législatif et à l'exécutif »168(*). L'indépendance du pouvoir judiciaire est problématique à cause du caractère formel du texte fondamental camerounais dont la conséquence hypothèque gravement le fonctionnement des institutions. En effet, le chef de l'Etat est le garant de la justice169(*) et le conseil supérieur de la magistrature assure la gestion au quotidien.170(*)L'emprise de l'exécutif (le président de la République et le Garde des sceaux) influence sur le principe de l'impartialité et la crédibilité de la justice. En revanche, l'article 31 alinéa 1 de la constitution de 1996 dispose que « La justice est rendue sur le territoire de la République au nom du peuple camerounais ». L'expression de l'hégémonisme présidentiel dans la distribution des compétences au sein des appareils étatiques171(*) constitue une plaie non cicatrisable pour l'édification d'Etat de droit au Cameroun. Ces pouvoirs constitués ont à coté des attributions traditionnelles, celles spécifiques à la constitution. B- Les compétences spécifiquement constitutionnelles des pouvoirs constitués Nous entendons par compétence constitutionnelle ici, des actions des pouvoirs constitués en rapport direct avec la constitution. La constitution étant l'acte du constituant, il est donc nécessaire d'analyser ce transfert de la souveraineté populaire vers la souveraineté nationale (1) entraînant ainsi sur le plan de la science juridique une ambiguïté embarrassante (2). 1- La quasi-permanence de la substitution de la souveraineté nationale à la souveraineté populaire au Cameroun ELIZABETH ZOLLER abonde en ce sens dans son observation sur l'évolution constitutionnelle en France que « La théorie de la souveraineté nationale a longtemps dépossédé le peuple de l'exercice du pouvoir constituant jusqu'à la libération qui a transféré la souveraineté au peuple français ».172(*) Cette théorie porte la marque de SIEYES qui selon la lecture du professeur MAGLOIRE ONDOA sur le droit constitutionnel français « est réticent à toute intervention directe du peuple du fait des agitations qu'elle suscite, celui-ci[affirme-il]assignait aux représentants , liés par un mandat impératif, le rôle de porte-parole de la nation » 173(*). Mais ELIZABETH ZOLLER de contester cette position en soulignant que « La constitution n'est pas l'ouvrage du pouvoir constitué mais du pouvoir constituant »174(*). Dans le même sillage, la constitution camerounaise dispose en son article 2 que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce soit par l'intermédiaire du président de la République ou le parlement, soit par voie de référendum. En effet cette disposition trouve sa justification dans le processus de la révision de la constitution qui accorde l'initiative aux pouvoirs constitués.175(*) L'histoire constitutionnelle camerounaise est illustrative quant au rôle joué par les pouvoirs constitués dans l'édification des textes fondamentaux. Le président de la république devient ainsi le principal initiateur de modification de la constitution. C'est ainsi que la distinction de la constitution du programme politique devient difficile car celle-ci est perçue comme un ajustement perpétuel du programme politique sagement monté par les gouvernants. Il faut regretter le manque d'objectivité dans le projet de révision de la constitution au Cameroun selon les propres termes de WANDJI KA JEROME FRANCIS.176(*) En clair donc, la volonté de la constitution procède de la volonté politique qui la pose, souligne DAVID DOKHAM.177(*) Hors mis la constitution fondatrice et celle de la réunification de 1972, où à notre sens le principe du plein exercice du peuple a été respecté. Pour FRANCIS HAMON, l'extension du champ du référendum vise à donner au citoyen non seulement la parole, mais encore le pouvoir sur un certain nombre de ces sujets.178(*) les révisions subséquentes étaient l'oeuvre de la représentation nationale. Et pour le professeur ALAIN DIDIER OLINGA, « En révisant la constitution, l'Assemblée nationale a agi dans le cadre de l'exercice de la souveraineté du peuple »179(*). Telle est la vision patente de ce transfert, ce qui ne manque pas d'arracher au plan de la science, une critique certaine. 2-La naissance d'une ambiguïté juridique L'option ou mieux la propension au recours à la législation constituante présente sur le plan de la théorie juridique un imbroglio certain. Si ce transfert a connu par le passé sa lettre de noblesse, la pratique constitutionnelle actuelle, traitée de tous les noms semble remettre en doute cette souveraineté constituante du parlement. Au plan de la logique juridique, un pouvoir constitué peut-il se substituer au pouvoir constituant ? La fréquence de la crise de représentativité dans les démocraties modernes consistant en un désintéressement vis-à-vis des représentés, rend utopique cette souveraineté constituante. Pour ETIENNE TENFACK KEMFACK, le système de la représentation ne signifie pas nécessairement une confusion entre la volonté du souverain et celle de ses représentants.180(*)Le fort rapprochement entre l'exécutif et le parlement ayant donné naissance à la notion du parlementarisme rationalisé,181(*) qui ôte au parlement tout pouvoir important notamment dans la création des normes.182(*) Cet affaiblissement du pouvoir législatif fait du chef de l'Etat un prince tout puissant n'ayant en face que des subordonnés, est un signe précurseur de dérives que pourrait générer ce transfert de compétence constituante. Le fait majoritaire, comme le souligne PIERRE AVRIL, est « asservi par le mécanisme du parlementarisme rationalisé propice à un asservissement politique »183(*) n'est pas en reste, parce qu'il constitue le visage caché d'un monolithisme,184(*) une autre forme du cancer pour la démocratie. Conclusion à la première partie En conclusion à cette partie, la constitution camerounaise est moins reluisante dans la distinction entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constitués. A l'évidence, l'acte constituant originaire a obéit au principe de la séparation relayée par celui de l'ère de la « révolution pacifique de 1972 ». Cependant, la confiance a été beaucoup plus faite aux pouvoirs constitués dans l'édiction des textes fondamentaux au Cameroun. C'est ainsi qu'au sein de la doctrine, des avis ont été partagés. D'aucuns crient à la violation de procédure constitutionnelle en brandissant des arguments de fraude à la constitution185(*), d'autre par contre relèvent des dérives liées à la non maîtrise de l'affaire constituante. A nos jours, le droit positif camerounais attribue la souveraineté au parlement, même si l'hypertrophie de la fonction présidentielle menace en raison de sa prépondérance par rapport aux autres pouvoirs. La législation constituante est définitivement entrée dans les moeurs des sociétés politiques modernes. Mais il faut peut-être signaler que cela n'entache en rien la distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués, vue sous l'angle de sa portée dans l'édification d'une société moderne et démocratique. * 157 Jean-Tobie Hond, « Discussion autour du principe de la séparation des pouvoirs au regard de la constitution camerounaise du 18janvier 1996 « ; in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques, Fondation FREDRICH EBERT, 1996 ; page 231. * 158 Idem, page 237. * 159 Alain Didier Olinga, « Le pouvoir exécutif dans la constitution révisée « (1996), LEX LATA, n°023-024, 1996, page 29. * 160 Lire E. Taltou, « Constitutions et politiques au Cameroun », thèse précitée ; page 369. * 161 Valentin Miafo Donfack, « Le président de la République et les constitutions du Cameroun », in La reforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques, Fondation FREDRICH EBERT, 1996 ; page 253. * 162 Bernard Momo, « Le parlement camerounais », LEX LATA, n°023-024, 1996, page 21. * 163 Yacouba Moluh, « L'introuvable régime camerounais issu de la constitution du 18 janvier1996, in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques », FFE, 1996, opcit, pages 242-25. * 164 François Mbomé, « Les rapports entre l'exécutif et le parlement », LEX LATA, n°023-024,1996 ; page 28. * 165 Jean-Tobie Hond, « Discussion autour du principe de la séparation des pouvoirs au regard de la constitution du 18 janvier 1996, in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques », article précité, page 232. * 166 Voir article 38 de la constitution du 18 janvier 1996. * 167 L'histoire constitutionnelle camerounaise retient depuis 1960 deux pouvoirs constitués à savoir l'exécutif et le législatif. * 168 A. Huge, Le système judiciaire américain, précité, page 8. * 169 J. T. Hond, « Discussion autour du principe de la séparation des pouvoirs au regard de la constitution du 18 janvier 1996, in La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 : aspects juridiques et politiques », Op.cit., page 234. * 170 Voir Loi n°89/016 du 28 juillet 1989 modifiant celle de 1982 fixant l'organisation et le fonctionnement du conseil supérieur de la magistrature. * 171 Lire Léopold Donfack Sokeng, « Les ambiguïtés de la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996, in Réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 », précitée ; page 50. * 172 E. Zoller, Droit constitutionnel, ouvrage précité ; page 72. * 173 Voir M. Ondoa, « La distinction entre constitution souple et constitution rigide en droit constitutionnel français », in AFSJP, précité, page 82. * 174 E. Zoller, Droit constitutionnel, ouvrage précité, page 72. * 175 Lire l'article 63 alinéa1 de la constitution de 1996. * 176 Le journal « La Nouvelle Expression », n°2118, du 29 novembre 2007, page 7. * 177 David Dokham, Les limites du contrôle de la constitutionnalité des actes législatifs, préfacé par Claude Gayard, LGDJ, 2001, page 21. * 178 F. Hamon, « L'extension du référendum : données, controverses, perspectives »; in Référendum, POUVOIRS n°77, Avril 1996, page 118. * 179 Voir A. D. Olinga, La constitution de la république du Cameroun, ouvrage précité, page 18. * 180 Lire Etienne Kemfack Temfack, mémoire du DEA précité, page 27. * 181 M. Ondoa, « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais », précité, page 21. * 182 James Mouangue Kombila, « Création des normes : les occasions manquées du nouveau parlementarisme pluraliste au Cameroun », RAPD, vol.1, n°1,1999, pages 58-59. * 183 Pierre Avril, « Qui gouverne la France ? » in POUVOIRS, n°88, janvier 1994, pages 47-48. * 184 Interview de M. Aboya Endong Manasse au lendemain des élections couplées législatives et municipales du 22 juillet 2007, in le journal « Mutations » n°1960, du 02 août 2007, pages 14-15. * 185 A. D. Olinga, La constitution de la république du Cameroun, précité, pages 12 et 19. |
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