CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS
Dans les pays de l'UEMOA, et notamment en Côte d'Ivoire,
les critiques sur le faible impact des CDMT et budgets-programmes sur le
processus de préparation budgétaire et sur l'efficacité de
la dépense publique ne sont pas très surprenantes. Si des
instruments de programmation pluriannuelle y ont déjà
été introduits de manière ad hoc depuis une dizaine
d'années dans certains pays, et trois années en côte
d'Ivoire, ils ne se sont pas inscrits dans le cadre d'une véritable
réforme budgétaire axée sur les résultats.
Certaines faiblesses des processus de programmation à moyen terme
pourraient être corrigées par des améliorations
ponctuelles, comme l'amélioration du calendrier budgétaire ou la
prise en compte des rapports annuels de performance dans le processus
budgétaire. Cependant l'absence d'un cadre juridique approprié
qui a caractérisé jusqu'en 2009 les initiatives de CDMT et de
budgets-programmes dans les pays de l'UEMOA explique pour une large part que
ces instruments n'aient pas produit tous les résultats attendus.
S'ils sont élaborés de manière simple et
réaliste et en lien effectif avec les stratégies existantes, les
CDMT et budgets programmes ont un rôle essentiel à jouer pour
améliorer la qualité de la programmation budgétaire et
favoriser l'atteinte des objectifs nationaux de développement et des
OMD. En effet, les principaux effets des CDMT global et pluriannuel n'ont pas
encore eu lieu car plusieurs fondements de la gestion budgétaire
axée sur les résultats ne sont pas encore mis en place.
Au-delà des évaluations négatives dont
ils peuvent faire l'objet, les résultats des premières
expériences nationales dans la plupart des pays de l'UEMOA en
matière de CDMT et budgets-programmes méritent d'être
jugés, l'une d'une réforme budgétaire tout juste
initiée, qui n'a pas encore produit ses principaux effets. Ainsi, quatre
dimensions essentielles de ce mode de gestion budgétaire font
actuellement défaut aujourd'hui et limitent fortement
l'efficacité des CDMT et des budgets programmes dans la zone l'UEMOA et
plus particulièrement en Côte d'Ivoire, bien qu'elles sont
mentionnées dans la nouvelle directive: (i) la reconnaissance juridique
des documents et concepts de programmation axée sur les résultats
; (ii) la spécialité des crédits budgétaires par
programme ; (iii) la fongibilité des crédits à
l'intérieur des programmes ; (iv) la désignation de responsables
de programmes dont la responsabilité sur les résultats est
engagée, même s'il convient de noter que la directive ne
prévoit pas qu'il soit automatiquement ordonnateur
délégué et que l'engagement de sa responsabilité
n'est pas précisé et dépendra in fine de
l'évolution du statut de la fonction publique en Côte d'Ivoire.
La transposition de la nouvelle directive budgétaire
relative aux lois de finances (Directive 06/2009/ CM/UEMOA) adoptée en
juin 2009 par les Etats Membres de l'UEMOA marquera pour la Côte d'Ivoire
le début d'une véritable gestion budgétaire axée
sur les résultats, qui se caractérisera par plusieurs innovations
majeures qui auront un impact direct sur l'efficacité des instruments de
programmation budgétaire à moyen terme. Seul le
Sénégal a réussi à le faire, alors que cette
transposition nécessitera un délai significatif et
soulèvera des défis importants en termes de renforcement des
capacités et des dispositifs de contrôle tant des dépenses
publiques que des résultats de l'action gouvernementale. Plusieurs voies
sont
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cependant possibles pour renforcer dès maintenant
l'efficacité des initiatives nationales dans le champ de la
programmation budgétaire à moyen terme et axée sur les
résultats, qui imposent de limiter le formalisme des outils pour se
concentrer sur leur opérationnalité, de relier les instruments
sectoriels isolés au processus budgétaire et de mieux aligner les
CDMT global et sectoriels et les DSRP.
Parmi les nombreuses avancées introduites par la
récente rénovation des processus budgétaires en zone UEMOA
(Imbert, 2009), les quatre dimensions précédemment citées
(cadre juridique adapté, spécialité des crédits par
programme, fongibilité des crédits à l'intérieur
des programmes, responsables de programmes jugés sur les
résultats) sont particulièrement susceptibles de renforcer le
rôle et l'opérationnalité des instruments de programmation
à moyen terme axés sur la performance.
Si les nouvelles dispositions de la directive de l'UEMOA
relative aux lois de finances sont susceptibles de renforcer
l'efficacité des CDMT en Côte d'Ivoire, la période de
transition est importante pour bien préparer la réforme, en
particulier pour ce qui concerne l'adoption des budgets-programmes triennaux
(DPPD), pour lesquelles un délai supplémentaire est prévu,
la date butoir étant fixée au 1er janvier 2017. Cette
période de transition devrait être mise à profit pour
améliorer les outils existants.
Il retenir que la mise en oeuvre des CDMT mentionnés
dans les nouvelles directives aura un impact sur la réforme
administrative, en redistribuant l'exercice des responsabilités entre
les acteurs de la chaîne budgétaire et comptable, et en incitant
à la réorganisation des structures administratives.
Le « responsable de programme » est l'acteur
clé de la future gestion publique. Désigné par le
ministre, il définit avec lui la stratégie du programme, et
élabore les objectifs stratégiques dans le PAP qu'il
établit. Il procède à la mise en oeuvre
opérationnelle du programme, notamment en conduisant le dialogue de
gestion le long de la chaîne de « responsabilité
managériale », avec les responsables de BOP et d'UO. Enfin, il
assure le pilotage et le suivi de la performance. L'exercice de «
responsabilité managériale » débouche sur un
rééquilibrage des compétences, notamment avec le DAF, le
DRH et les responsables de support de chaque ministère. Le DAF assure la
fonction de synthèse financière et à ce titre
prépare les arbitrages que le ministre est amené à
prononcer entre les programmes : le DRH doit concilier le cadre statutaire de
la fonction publique et la nécessité de garantir à chaque
RdP sa capacité de pilotage de la masse salariale.
La mise en oeuvre des CDMT va conduire le Gouvernement
ivoirien à adopter les modalités de contrôle
d'exécution du budget. Le contrôleur financier assure
désormais des fonctions de contrôle budgétaire et de
maîtrise de l'exécution de la loi de finances et de la
soutenabilité des programmes.
Enfin, la mise en oeuvre des CDMT contribuera à la
réforme de l'administration en situant son action dans les
stratégies ministérielles de réforme. Celle-ci portera sur
des réorganisations administratives majeures.
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Comme recommandations, plusieurs pistes d'amélioration
des outils existants peuvent être envisagées pour renforcer leur
efficacité. Elles renvoient à trois objectifs précis : (i)
éviter le formalisme des outils et se concentrer sur leur
opérationnalité ; (ii) relier les travaux isolés au
processus budgétaire ; (iii) utiliser les CDMT et budgets-programmes
pour réduire la fracture entre Budget et Stratégies de
réduction de la pauvreté. Pour éviter le formalisme des
outils et se concentrer sur leur opérationnalité, trois
dispositions sont essentielles pour éviter que les budgets-programmes ne
constituent plus un exercice formel mais un véritable outil de
programmation, se sont :
? le réalisme des projections utilisées dans les
CDMT globaux et sectoriels doit être renforcé et la
cohérence entre ces documents doit être assurée.
? il est essentiel de mettre en place un dispositif de suivi
des dépenses par programmes, par l'introduction d'une classification
programme qui doit être paramétrée dans le système
d'informations budgétaire et comptable, ou à défaut par
l'élaboration de tableaux de passage et d'une nouvelle nomenclature
budgétaire.
? enfin, il est important de clarifier au niveau
ministériel les responsabilités des différentes structures
dans l'élaboration des CDMT sectoriels et des budgets programmes, en
particulier le rôle respectif des directions administratives
financières d'une part et des directions de la planification d'autre
part.
Comme toute réforme d'envergure, les CDMT doivent
être accompagnés d'un renforcement des capacités
nationales, à la fois en termes de ressources humaines et d'instruments.
En particulier, les cellules de programmation, de suivi et de formulation
doivent recevoir dans ce cadre une attention renforcée. Le
système informatique SIGFIP doit être adapté à la
gestion des budgets-programmes. Deux conditions devraient cependant être
remplies pour que les CDMT permettent réellement une meilleure
articulation entre le Budget et le DSRP, qui sont :
? premièrement, les CDMT sectoriels ou
ministériels doivent davantage prendre en compte les actions qui
figurent dans les Programmes d'Actions Prioritaires (PAP).
? deuxièmement, il faut développer les
dispositifs de suivi-évaluation des budgets-programmes (en particulier
la production des rapports annuels de performance par les ministères,
sur la base d'un nombre d'indicateurs par programme très limité
et pour lesquels l'information est disponible à faible coût) pour
alimenter et préparer le suivi de la mise en oeuvre du DSRP et du PAP et
ainsi éviter la duplication inutile des mécanismes de
reporting.
Le succès de l'approche préconisée pour
la gestion des politiques publiques et la programmation budgétaire
pluriannuelle exige un certain nombre d'éléments indispensables
qui sont entre autres :
? l'engagement du Chef de l'exécutif sur la
réforme. Le choix des ministres chargés de la coordination des
stratégies et des finances est crucial. Ils doivent être des
champions de réformes, et un réel consentant des
résultats. En effet, cela permettrait seulement de maintenir au
Gouvernement que des membres qui performent.
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> la révision du cadre juridique et
réglementaire. Il est nécessaire pour l'adapter à la
réforme de gestion des finances publiques couvrant aussi bien la
programmation, que l'exécution, le contrôle, le reporting et la
responsabilité financière. Pour les pays hors UEMOA, la loi
organique relative aux lois de finances devra être révisée
pour intégrer ces réformes.
> le changement de culture de budgétisation.
Ceci nécessite une plus grande appropriation par les
ministères. Il doit y avoir une acceptation du caractère
contraignant de leurs enveloppes et programmes. Les interventions du Ministre
des finances se limitent à la détermination des enveloppes
sectorielles et au contrôle de la qualité de la dépense
sans arbitrer à l'intérieur des secteurs.
> de fortes capacités administratives.
Celles-ci sont particulièrement nécessaires pour les
fonctions de programmation, de suivi et d'évaluation dans les
ministères ainsi que de gestion des programmes. Ceci requiert d'avoir
une stratégie de renforcement de ces capacités. Ce qui inclut en
particulier des nominations à des fonctions basées sur le
mérite, de développer des programmes de formation, de mettre en
place des systèmes d'évaluation des performances, et des
incitations adéquates.
> un alignement des interventions des partenaires sur
les besoins de renforcement des capacités. Le Gouvernement devra
préparer un programme hiérarchisant ses priorités que les
partenaires peuvent soutenir aussi bien en termes de dialogue que de ressources
financières et techniques.
> une définition d'un nouveau circuit des
dépenses et recettes publiques eu égard à la
déconcentration de la fonction d'ordonnateur et envisager la
multiplicité des PGT auprès des ministères est
nécessaire ;
> il faut une réflexion aux problèmes
d'accumulation des arriérés de paiement qui peuvent entraver
l'exécution des programmes. Car les disponibilités de la
trésorerie peuvent être une contrainte additionnelle à la
mise en oeuvre des CDMT.
La Côte d'Ivoire doit impérative transposer
toutes les dispositions contenues dans les directives de l'UEMOA à
l'image du Sénégal si elle veut être au rendez-vous de
2017. Elle doit également prendre toutes les mesures (décrets ou
arrêtés ministériels) lui permettant d'assurer un
véritable dialogue de gestion.
Pour finir, il faut retenir que l'impact de la mise en oeuvre
des CDMT ne limitera pas seulement sur les structures de l'organisation
administrative. Il peut évidemment y avoir des impacts sur les relations
entre l'Etat, les citoyens, les contribuables et usagers.
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