DEUXIEME PARTIE
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Le prix d'une rédemption
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« Il s'agit d'une quête, d'un
dépouillement systématique et d'une ascèse qu'accompagne
un effort continu d'approfondissement. Et je nommerai "orphique " cette
poésie parce que cette inlassable descente du nègre en
soi-même me fait songer à Orphée allant réclamer
Eurydice à Pluton. Ainsi, par un bonheur poétique exceptionnel,
c'est en (...) chantant ses colères, ses regrets ou ses
détestations, en exhibant ses plaies, sa vie déchirées
entre la " civilisation " et le vieux fond noir, bref en se montrant le plus
lyrique, que le poète noir atteint le plus sûrement à la
grande poésie collective : en ne parlant que de soi il parle pour tous
les nègres. »
Jean - Paul Sartre, « Orphée noir
»
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Le désir de retrouver l'Afrique dans son
authenticité a amené les poètes noirs de
l'Anthologie à entreprendre une descente aux Sources1.
C'est une descente qui rejoint la descente aux Enfers d'Orphée, car dans
leur volonté de recouvrer l'image réelle du continent noir, ils
ont procédé à la dénonciation de tout ce qui est
discrimination raciale, injustice, préjugés, en un mot de tous
les comportements qui, dans la situation coloniale2, faisaient du
Nègre une victime parce que dominé et du Blanc un bourreau parce
qu'il avait avec lui la force nécessaire pour ériger en
règle sa domination.
En effet les poètes ont bravé courageusement le
système colonial. Leurs textes, parce qu'expression de la
réhabilitation d'une race, se présentent comme un discours
discordant en ce qu'ils s'opposent à un état de choses qui fait
la quiétude d'une seule communauté : la communauté
blanche. En fait, il s'agit pour les auteurs de manifester la volonté de
libérer leur continent, le désir de le sauver, par
conséquent de trouver là le sens de leur combat, tout ce qui
anoblit leur mission, en un mot la justification de leurs oeuvres.
C'est là, nous semble-t-il, qu'il y a lieu de mettre en
évidence le caractère « révolutionnaire
»3 de la poésie noire, car c'est une poésie
qui vient justement briser un mythe, celui d'un homme blanc technologiquement
et intellectuellement supérieur pour être déifié.
Tout comme Orphée qui a pris des risques en allant
comme vivant dans le royaume des Ombres, les poètes noirs de
l'Anthologie, en défiant justement le pouvoir colonial,
procèdent en même temps à la remise en cause d'une
autorité qui ne permettait pas aux intellectuels noirs de «
ressusciter (leur) peuple asservi »4 .
1 Nous l'avons ainsi écrit, parce que nous lui
donnons le contenu et la personnification du mot Enfers dans la mythologie.
2Nous allons faire seulement référence
à la colonisation, dans la mesure où la descente aux
Enfers-Sources, telle que nous l'apprécions, est un acte de
témoignage, donc d'engagement.
3 Sartre (J.P.), « Orphée noir »,
p.XII, Préface à l'Anthologie de L.S Senghor .
« La poésie noire de langue française est,
de nos jours, la seule grande poésie révolutionnaire
»
4 Kesteloot (Lilyan), Négritude et situation
coloniale, Yaoundé, Ed. Clé, 1968, p.11
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En effet, parce qu'ils ont récupéré leur
fierté1, ils vont dans leurs oeuvres assumer leur
responsabilité, non seulement par rapport à une situation devenue
intolérable2 , mais aussi par rapport à tout ce qui
les rattache aux valeurs de civilisation occidentales.
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