II.2 Représentation du continent noir chez les
poètes de l' «Afrique noire »
II.2.1 Une expression réaliste
L'Afrique que présentent les écrivains
appelés dans le cadre de cette recherche poètes de l' «
Afrique noire » (cf. Table des matières de l'Anthologie de
L.S. Senghor), est la terre natale des auteurs, c'est-à-dire un
continent que l'on a connu après y être né et y avoir
grandi avant de le quitter à un moment déterminé de sa
vie.
Le réel qu'ils convoquent dans leur
représentation fait qu'ils ne parlent pas du continent comme l'ont fait
les poètes de la diaspora, même s'il y a dans les oeuvres de ces
derniers, par endroits, des traits de réalisme qui recoupent
certainement nos préoccupations.
1 Damas (L.G.), Pigments, « La complainte
du nègre », in Anthologie de L. L. S. Senghor, op.cit. pp.10
- 11
2 Césaire (Aimé), Soleil Cou
coupé, « Couteaux midi », in Anthologie de L.S.
Senghor, p.77
3 Niger (Paul), Initiation, 1944, « Je
n'aime pas l'Afrique », in Anthologie de L.S. Senghor, p.97
4 Niger (Paul), op.cit p.99
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A ce titre, il convient de relever l'image de l'Afrique que
laisse entrevoir le poème de Paul Niger, « Je n'aime pas l'Afrique
». Nous ne la retenons pas, parce que nous pensons qu'elle a toute
l'allure d'un pastiche, du pastiche du roman colonial. Ce que d'ailleurs
indique le titre du poème, puisque l'auteur a pris le soin de dire
à son lecteur qu'il n'aime pas cette Afrique-là1, car
l'Afrique dont il veut parler est « une terre de Rédemption
»2 « une terre de grandeur
»3, une terre où les hommes sont réellement
des hommes.
En réalité, même les poètes de l'
«Afrique noire » n'ont pas échappé à pareille
représentation de l'Afrique. Senghor, en évoquant dans «
Femme noire » cette Eurydice - Afrique, parle d'une « Terre
promise »4. Son village natal, Joal, écrit Gusine
Gawdat Osman, est « synonyme de paradis. Cet espace paradisiaque de
l'Enfant du Royaume de Sine, rejoint ainsi l'Eden révolu de tout son
continent, dans ses premiers temps, où ses ancêtres (...) vivaient
dans la paix et dans la prospérité, au sein d'une nature
foncièrement accueillante »5.
C'est à cette Afrique des Ancêtres que fait
référence Joseph Miézan
Bognini dans son recueil de poèmes Ce dur appel de
l'espoir, une Afrique de
liberté, de paix et d'espoir dont il annonce le retour
avec la victoire sur les
injustices de l'histoire.
« Afrique - c'est ma couronne de paix !
La paix d'un monde épanoui.
Afrique - l'étoile qui gicle
Dans la montagne
La flamme qui jaillira demain. »6
1 L'Afrique de la désolation, de la mort.
2 Niger (Paul), op.cit., « je n'aime pas
l'Afrique », in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p.99
3 Niger (Paul), op. cit., « je n'aime pas
l'Afrique » , in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p.98
4 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945, «
Femme noire », in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p.151
5 Osman (Gusine Gawdat), L'Afrique dans l'univers
poétique de Léopold Sédar Senghor, Dakar, NEA, 1978,
p.183
6 Bognini (Joseph Miézan), Ce dur appel de
l'espoir, 1960, in La Poésie négro-africaine d'expression
française de Marc Rombaut, Paris, Ed. Séghers, 1976, p.71
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Ces évocations nostalgiques n'enlèvent rien au
réalisme1 dont les poètes ici considérés
ont fait montre dans leur représentation de l'Afrique. Dans les
poèmes, le paysage a particulièrement retenu l'attention des
auteurs. Il est évoqué dans ce qu'il a de spécifique, de
caractéristique pour le continent. Dans « Neige sur Paris
», Senghor s'en prend à l'Occident pour avoir détruit
les forêts africaines. En effet ni le pardon, ni l'oubli
manifestés tout au long du poème ne l'empêchent de pointer
un doigt accusateur sur
« Les mains blanches qui abattirent la forêt de
rôniers, qui dominait l'Afrique, au centre de l'Afrique
(Celles qui) abattirent la forêt noire pour en faire
les traverses de chemin de fer
(Celles qui) abattirent les forêts d'Afrique pour
sauver la Civilisation parce qu'on manquait de matière première
humaine .»2
Ce paysage, parmi d'autres réalités3,
tout comme les expériences individuellement vécues par les
poètes dans le terroir natal, rendent compte d'une image du continent
noir opposée à celle vulgarisée par la littérature
coloniale. Il s'agit, dans le sillage de la Négritude, de manifester la
présence des Noirs dans le monde, et comme le dit Senghor, de «
manifest(er) l'Afrique ».4
C'est un réalisme qui est caractéristique des
oeuvres des poètes de l'«Afrique noire ». Gusine Gawdat Osman
en a parlé, et plus exactement à propos de l'Afrique que
présente la poésie de Léopold Sédar Senghor :
«Cette Afrique se manifeste dans son oeuvre comme il l'a toujours
voulu et sa vision du continent noir n'est pas pure invention ou exotisme.
Quand le poète d'Hosties noires parle des palmes, de la tornade,
ou des hommes de la danse, il ne fait pas appel à son imagination, il
n'invente rien, ce sont des réalités
1 Nous pensons à David Diop qui est né
à Bordeaux et à Tchicaya U'Tamsi qui est arrivé
très jeune en France.
2 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945, in
OEuvre poétique, Paris, Ed. Seuil, 1990, p.22
3 En rapport avec la nature, avec la vie sociale,
religieuse et politique.
4 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945,
« A la mort », in OEuvre poétique, op. cit. , p.26
(«...je manifesterai l'Afrique comme le sculpteur de masques au regard
intense »)
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tangibles qu'il connaît fort bien, qu'il a vues,
qu'il a "vécues" . L'univers poétique ne fait que transposer par
l'écriture sa réalité quotidienne
»1.
A cette réalité quotidienne appartiennent aussi les
Ancêtres « ceux qui
sont morts (et qui) ne sont jamais partis,
» parce qu'ils
« ne sont pas sous la terre :
ils sont dans l'ombre qui frémit,
ils sont dans le bois qui gémit,
ils sont dans l'eau qui coule,
ils sont dans l'eau qui dort,
ils sont dans la case, ils sont dans la
foule.»2
C'est « une croyance fortement ancrée chez le
Négro-africain »3, une vision du monde,
écrit Amadou Ly, qui, à travers « le souffle des
ancêtres (...) continue de féconder toutes les activités
des Africains »4.
Comme les Ancêtres, les héros de l'Afrique
ancienne ont permis aux poètes de parler du continent et de son
passé. A travers les personnages de l'Almamy Samory Touré, de
Lat-Dior, de Chaka, de Béhanzin, ils ont cherché à
réhabiliter les figures de l'histoire africaine, les héros qui
ont lutté pour la libération de l'Afrique, des héros
présentés alors par le colonisateur comme « des tyrans,
des "monstres sanguinaires"et des brigands »5.
C'est là une peinture de l'Afrique qui a seulement
privilégié quelques traits du réalisme des oeuvres
poétiques publiées pour la période qui nous
intéresse. Ce n'est pas une simple évocation nostalgique, mais
une présentation objective de l'Afrique, de ses hommes, de ses
réalités, mais aussi de ses valeurs de civilisation.
1 Osman (G.G.), L'Afrique dans l'univers
poétique de Léopold Sédar Senghor, op.cit., p.10
2 Diop (Birago), Leurre et Lueurs, 1960, «
Souffles », in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit. p.145
3 LY (Amadou), « Le souffle des ancêtres
» , art. in Notre Librairie N°68, « Approche historique
et thématique des littératures africaines », Janvier-Avril
1983, p.37
4 LY (Amadou), art. cit., p.37
5Nkashama (Pius Ngandu), op.cit. p.29
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