II.1.2. L'ombre de l'esclavage
Cette image de l'Afrique apparaît aussi à travers
la représentation que les poètes ont faite de l'esclavage.
Celui-ci, autant dans ses violences que dans ses conséquences, surtout
humaines, occupe une place centrale dans la thématique des oeuvres.
Il est vrai qu' « aucun écrivain
négro-africain n'a fait l'expérience de l'esclavage dans son
corps et dans son âme »1. Cependant, qu'il soit
d'Afrique, d'Amérique ou des Antilles, chacun, d'une manière ou
d'une autre, a parlé de cette réalité historique
douloureuse.
Avec ses conséquences sociales particulières en
Amérique et aux Antilles, la traite négrière dans la
poésie de la diaspora se présente comme une situation qui a fini
de faire des Noirs une humanité à part. Dans les poèmes,
ce sont les drames que la discrimination raciale a favorisés qui ont
surtout retenu l'attention des auteurs.
En effet l'esclavage apparaît comme une blessure de
l'histoire, une
humiliation qui a aidé à entretenir chez l'homme de
couleur le sentiment d'être
bafoué dans sa dignité. En fait il est
marqué, dans les rapports entre l'Afrique,
l'Europe et l'Amérique, par la violence, cette violence
dont parle Léon-Gontran
Damas dans Pigments2, où un
Nègre, à travers une complainte, rappelle les
réalités douloureuses de cette page de
l'histoire.
«Les jours inexorablement tristes jamais n'ont
cessé d'être à la mémoire de ce
que fut
ma vie tronquée
Va encore mon hébétude du temps jadis
de
coups de corde noueux de corps calcinés
de l'orteil au dos calcinés
de chair morte de tisons de fer rouge de bras
1 Mboukou (J.P. Makouta), Les Grands traits de la
poésie négro-africaine, Abidjan, NEA, 1985, p.26
2 Damas (L.G.), Pigments, Paris, GLM
Editeur,1937
18
brisés sous le fouet qui se déchaîne sous
le fouet qui
fait
marcher la plantation s'abreuver de sang
de mon sang de sang la sucrerie
et la bouffarde du commandeur crâner au ciel
»1.
Ce tableau des misères de l'esclavage a amené
les poètes à entretenir, dans le rejet des valeurs de
civilisation non africaines, le sentiment de leur différence, puisqu'ils
se sont rendu compte, comme Aimé Césaire, que « le blanc
est la juste force controversée du noir »2.
Dans leurs oeuvres poétiques, des auteurs comme Damas,
Guy Tirolien, Léon Laleau, pour ne citer que ceux-là, ont
dénoncé, à travers ses valeurs, le monde blanc, d'ailleurs
présenté par Paul Niger comme une terre de
Pénitence3, parce qu'à l'opposé de cette terre
d'Afrique où « un peuple en marche promissoire »,
4 des hommes qui enseignent l'amour, oeuvrent pour réaliser
le rêve d'une fraternité universelle.
|