III.3. Trésors de la mémoire
collective.
Les déclamations dont les textes de nos aèdes
font souvent l'objet ont, en partie, aidé à vulgariser leurs
noms.
A l'école, l'enfant apprenait par coeur ces textes,
terminait sa récitation par le nom de celui qui en est l'auteur, sans se
préoccuper de la race à laquelle il appartient, de son
étiquette sociale ou de son pays d'origine.
C'est un exercice qui, en ce qui concerne le
Sénégal, continue d'être pratiqué, en particulier,
au niveau de l'élémentaire.
1 Kesteloot (Lilyan), Comprendre Les Poèmes
de L. S. Senghor, op.cit., p.20
2 Il n'a pas suivi les autres « dans la
vitupération du Blanc, dans l'engagement politique » note Mohamadou
Kane, son biographe, dans son ouvrage Essai sur les contes d'Amadou
Coumba, NEA, 1981, p.63
3 Têtu (Michel), La Francophonie, op.cit.
p.68
78
L'engouement, peut-être, n'est pas resté le
même. Ce que semble, d'ailleurs, regretter J.-P.Makouta Mboukou qui parle
de cette expérience positive comme d'une expérience qui rappelle
une époque révolue.
« La poésie, écrit-il, a
cessé de nourrir l'esprit des jeunes Africains. Les programmes scolaires
l'ignorent presque totalement. Les temps ne sont plus, en effet, où nous
déclamions Victor Hugo, La Fontaine ou Alfred de Vigny. Nous ne les
comprenions sans doute pas. Mais, tout au moins sentions-nous que
c'étaient des textes particuliers chargés d'une beauté
également particulière, des textes différents de la prose
(...) Toute cette poésie tapissait notre esprit, façonnait notre
intelligence. Nous ne déclamions pas seulement la poésie, nous la
chantions aussi. »1
Ce sont des situations, remarque Mboukou, qui permettent aux
élèves candidats au Certificat d'Etudes Primaires
Elémentaires « de préparer entre autres une
épreuve orale de récitation comportant des textes choisis.
C'étaient des poèmes, généralement, pour ne pas
dire toujours »2.
C'est une tradition, nous l'avons déjà dit, avec
laquelle le Sénégal n'a pas encore rompu. Elle a l'avantage
d'aider les jeunes à asseoir des connaissances, et par conséquent
à leur faire aimer la poésie, à travers la
mémorisation de ces textes et le moment de bonheur que procure souvent,
à leur niveau, la récitation réussie d'un poème.
Par rapport à cette situation, il faut, en ce qui
concerne le Sénégal, relever la tendance remarquée dans le
choix des poèmes de David Diop, de Senghor et de Birago
Diop3, les seuls auteurs, d'ailleurs, qui figurent dans
l'Anthologie, de Senghor.
Par ailleurs des poètes comme Césaire et Damas,
au-delà de ce qu'ils représentent respectivement à la
Martinique et à la Guyane, ont fini d'imposer
1 Mboukou (J.P-M), Les Grands traits de la
poésie négro-africaine, op.cit., « Introduction
générale », pp.5-6
2 Mboukou (J.P-M), op.cit. p.6
3 Beaucoup de poèmes de David Diop pour leur
veine engagée ; « Femme noire » et « Joal » en
particulier pour Senghor et « Souffles » pour Birago Diop.
Ce qui ne veut pas dire que les autres textes poétiques
des mêmes auteurs ou d'autres ne sont jamais déclamés.
79
leur image dans la conscience des Négro-africains, en
particulier élèves ou étudiants, qui se sont
familiarisés avec leurs idées dans les
universités1 et dans les lycées d'Afrique.
Ils ont été, comme tous les autres poètes
de l'Anthologie, les porte - paroles de la race noire, des
libérateurs en luttant pour l'émancipation des Nègres,
donc des intellectuels qui marqueront à jamais la mémoire
collective négro-africaine.
C'est une situation que nous avons appréciée
à partir de l'idéologie de la Négritude qui a, d'une
manière ou d'une autre, influencé la thématique des textes
et oeuvres considérés, idéologie que nous avons
tenté de comprendre avant de parler des réactions qu'elle a
favorisées, autant dans le monde des lecteurs occidentaux que dans celui
de l'intelligentsia négro-africaine.
En effet les réactions, qu'elles soient
justifiées ou non, sont loin d'avoir terni l'image de nos poètes,
puisque leurs productions littéraires et leurs actions politiques
appartiennent désormais à l'histoire.
1 Nous pensons seulement aux thèses,
à tous ces travaux universitaires qui ont porté sur leurs oeuvres
analysées souvent en rapport avec l'idéologie de la
Négritude.
80
|