III.2 Témoins de l'histoire politique
Nous reconnaissons que ce sont leurs oeuvres
littéraires qui ont révélé au monde la plupart des
poètes noirs de l'Anthologie.
Cependant il y a lieu de noter ce que l'action politique a
ajouté dans la geste de certains d'entre eux qui ont marqué,
d'une manière indélébile, l'histoire de leur pays. Ce sont
des poètes qui n'ont pas seulement été des témoins
de l'histoire mais comme acteurs de la vie nationale, ils ont assumé des
responsabilités politiques le plus souvent les plus hautes en Afrique,
aux Antilles, dans leur pays d'origine.
C'est le cas de Aimé Césaire qui a pris une part
active dans la départementalisation de la Martinique,
c'est-à-dire dans son intégration à la
1 Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique
noire de langue française, op. cit. p.105
2 Chevrier (Jacques) Littérature
Nègre, op.cit., p. 48
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Métropole1, en tant que président du
Parti Progressiste Martiniquais et député - maire de Fort de
France2.
Léon -Gontran Damas a été aussi
élu député de la Guyane en 1948 à la place de
René Jadfard. Ce qui lui a permis de siéger à
l'Assemblée nationale sur le banc des socialistes S.F.I.O. Tout comme il
a été membre de nombreuses commissions et participé aussi
à la discussion de nombreux projets portant sur les rapports entre la
France et les Territoires d'Outre-Mer.
De même, Léon Laleau est un homme de lettres
doublé d'un diplomate. Ministre et plusieurs fois membre du gouvernement
haïtien, il a représenté son pays dans plusieurs rencontres
panaméricaines.
Cet engagement politique de nos poètes trouve en la
personnalité de Senghor une autre figure non moins
révélatrice des options prises, à l'époque, par une
certaine partie de l'intelligentsia négro-africaine.
Elu en 1945 député du Sénégal
à l'Assemblée Constituante, comme membre de la commission
chargée d'étudier la représentation des colonies, l'auteur
de Chants d'ombre a été aussi un homme de cabinet et un
ministre, avant d'être hissé, après la dislocation de la
Fédération du Mali et la proclamation de l'indépendance du
Sénégal, à la présidence de l'Etat le 5 Septembre
19603.
C'est, pour Senghor une mission à l'égard de son
peuple, mais aussi à l'égard de l'Occident, parce qu'elle fait de
lui, comme le laisse apparaître l'idéologie de la
Négritude, un ambassadeur qui accepte « de mourir pour la
querelle de (son) peuple »4 et qui rêve en
même temps « d'un monde de soleil dans la fraternité de
(ses) frères aux yeux bleus »5
1 Sur Césaire et la politique, on lira avec
profit l'ouvrage de M. a M. Ngal, Aimé Césaire, un homme
à la recherche d'une patrie, NEA, 1975, pp.205-242
2 Il a été élu en 1945
3 Cf Kesteloot (Lilyan), Les Poèmes de L. S.
Senghor, coll. Comprendre Ed. Saint-Paul, Paris 1986, p.19
4 Senghor (L.S.), « Le retour de l'enfant
prodigue », Chants d'ombre, in Oeuvre poétique,
op.cit., p.51
5 Senghor (L.S.), « Le retour de l'enfant
prodigue », Chants d'ombre, in Oeuvre poétique,
op.cit., p.50
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« L'ambassadeur, écrit Lylian
Kesteloot, dans toutes les civilisations, est avant tout un diplomate. Non
la tête, mais l'intermédiaire. »1
Birago Diop l'a été à Tunis au lendemain
de l'indépendance du Sénégal, même s'il a
été, à l'époque, réticent à certaines
idées de la Négritude2, alors que Senghor, son
compatriote, a poursuivi cette mission avec le projet de la francophonie, ce
projet d'édification d'une civilisation francophone.
En effet, souligne Michel Têtu : « Lorsque,
prenant sa retraite, en 1981, L.S. Senghor a laissé les rênes de
l'Etat sénégalais avec son premier ministre Abdou Diouf, il ne
s'est pas arrêté pour autant de célébrer la
francophonie et de travailler à la rendre plus vivante, en multipliant
ses interventions à travers le monde »3.
Ce sont là autant d'actions qui ont fait des
poètes noirs, en particulier ceux dont nous venons de mettre en
évidence l'engagement politique, des hommes qui se sont
préoccupés de leurs sociétés, donc des hommes dont
les faits et gestes appartiennent désormais à l'Histoire,
à l'histoire des peuples, à l'histoire politique des nations.
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