Chapitre III
Le « Panthéon » des poètes
négro-africains
Les critiques faites à l'idéologie de la
Négritude, qu'elles proviennent des admirateurs ou des
détracteurs, ont fini d'influencer l'image de chacun de nos
poètes4. L'histoire dont ils ont été les
témoins a réservé ses pages négro-africaines les
plus illustres non seulement à leur nom, à leurs oeuvres
littéraires,
mais aussi et plus particulièrement à leurs
oeuvres par rapport aux préoccupations socio-politiques des peuples
noirs.
1 Tati - Loutard (J.B.), Interview in La Parole
noire (Marc Rombaut), cité par Marc Rombaut dans La Poésie
négro-africaine d'expression française, op.cit., p.39
2 Tati - Loutard (J.B.), cité par J.-P. M.
Mboukou, Introduction à l'étude du roman négro-africain
de langue française, op.cit., .188
3 Tati-Loutard (J.B), cité par Marc Rombaut,
La Poésie négro-africaine d'expression française,
op. cit. p.42
4 Ce sont des hommes, par conséquent ils ne
peuvent réaliser que des oeuvres humaines, c'est-à-dire
imparfaites.
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III.1. Piédestal des lettres
négro-africaines
Nous n'entendons pas revenir sur les conditions qui ont permis
la naissance de la littérature africaine écrite. Des auteurs
comme Lylian Kesteloot1, Mouhamadou Kane2, Pierre
Cornevin3, Jacques Chevrier4 et Bernard
Mouralis5 se sont largement penchés sur la question.
Dans son ouvrage, Pierre Cornevin, par exemple, a
réservé tout un chapitre aux précurseurs de cette
littérature, c'est-à-dire à ceux qu'il considère
comme des « écrivains "indigènes français" du
XIXe siècle »6.
Il ne serait cependant pas inutile de discuter leur statut
d'écrivains. En effet, leurs écrits avaient beaucoup plus une
tendance journalistique, ethnographique, géographique et historique que
littéraire. Ce sont des écrits qui, en réalité,
rappellent les oeuvres de ces historiens du Moyen âge comme Joinville et
Commynes que Gustave Lanson présente dans son Manuel illustré
d'histoire de la littérature française7 aux
côtés de Chrétien de Troyes et de Villon.
Nous avons aussi fait des remarques sur les premières
oeuvres romanesques et poétiques négro-africaines, qui ne
semblaient pas, selon la critique, répondre à la
thématique qui se doit d'être convoquée dans l'expression
des réalités et situations auxquelles les Noirs font face dans
leur rapport avec le Blanc et ses valeurs de civilisation8.
1 Kesteloot (Lylian), Les Ecrivains noirs de langue
française : naissance d'une littérature, Bruxelles, ULB,
1965
2 Kane (Mouhamadou), Roman africain et
tradition, Dakar, NEA, 1982.
3 Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique
noire de langue française, Paris, PUF, 1976
4 Chevrier (Jacques) Littérature
Nègre, op.cit
5 Mouralis (Bernard), Littérature et
développement, op. cit.
6 Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique
noire de langue française, op. cit. p.107
Il s'agit de Felix Darfour (esclave libéré
d'origine soudanaise), de Léopold Panet (né à
Gorée), des Abbés David Boilat (métis
sénégalais né en 1814), Pierre Moussa (prêtre noir
en Haïti, né en 1815) et Léopold Diouf (né à
Gorée en 1850) et de Paul Holle (métis de Saint Louis,
administrateur, chef de poste au service du Gouverneur Faidherbe)
7 Lanson (Gustave), Manuel illustré
d'histoire de la littérature française, Paris, Librairie
Hachette, 1953
8 Nos remarques ont été
développées dans le chapitre II (lire II.1 « La langue
d'expression ») , deuxième partie.
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C'est, en effet, cette thématique qui est au coeur de
l'inspiration de nos poètes. C'est elle d'ailleurs qu'on salue comme
celle ayant donné une orientation décisive à la
littérature négro-africaine.
Ce que Cornevin reconnaît bien mais non sans relever le
rôle joué par l'idéologie de la Négritude dans les
milieux intellectuels de l'époque.
« L'impact du mouvement de la Négritude, de
Césaire et Senghor, revêt dans les milieux universitaires et
littéraires une importance telle qu'il a éclipsé les
auteurs d'avant la Deuxième Guerre mondiale »1.
C'est un mouvement qui a marqué l'histoire des grandes
idées mobilisées dans le siècle. Il a d'une part
aidé les Nègres à prendre conscience de leur condition, et
d'autre part suscité des réactions qui permettent difficilement
de trouver ailleurs la période qui a signé définitivement
ce que Jacques Chevrier appelle « la montée de la grande
poésie nègre »2 d'expression française.
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