I.2.3 La Négritude ou l'univers de la culture -
écran
Cette attitude vis-à-vis de la Négritude se
justifie aussi parce que certains la considèrent « l'univers de la
culture - écran ». Ainsi Marcien Towa ne pardonne-t-il pas au
poète - président, qu'il considère comme principal
vulgarisateur de la Négritude, d'avoir présenté la race
non comme « quelque chose de dynamique dont le devenir
dépendrait du milieu, mais [comme] une entité absolue (...), une
essence immuable », et d'avoir parler du Nègre comme de la
« victime d'une véritable fatalité biologique
»1.
Ce sont d'ailleurs des idées de ce genre qui laissent
apparaître ce que Stanislas Adotévi, auteur de Négritude
et Négrologues2 appelle l' « essence rigide du
Nègre que le temps n'atteint pas »3, celle qui
« fait des nègres des êtres semblables partout et dans le
temps »4.
C'est à cette essence et à ses multiples
implications raciales que s'en prend l'Antillaise Maryse Condé, dans son
intervention lors du Colloque de Paris -Nord.
« Je refuse, déclare-t-elle, toute
étiquette, toute catégorisation visant à limiter,
orienter, canaliser l'expression de mes aspirations et de mes revendications.
»5
En effet l'idéologie de la Négritude est
perçue comme une idéologie - écran, parce que ses «
thèse(s) fixiste(s) » pour parler comme Adotévi ne
répondent plus aux préoccupations des sociétés
modernes négro-africaines, des sociétés du tiers-monde.
« La négritude a échoué, dit René
Depestre, parce qu'elle n'a pas pu être l'idéologie de
développement des sociétés du tiers-monde
»6.
1 Towa (Marcien), op.cit., p.108
2 Adotévi (Stanislas), Négritude et
Négrologues, , Paris, U.G.E, coll. 10/18, 1972
3 Adotévi (Stanislas), Interview in La
Parole noire, (Marc Rombaut) cité par Marc Rombaut, La
Poésie négro-africaine d'expression française, op.cit
p.39
4 Adotévi (Stanislas),ibidem
5 Condé (Maryse), Intervention citée par
Jacques Chevrier, Littérature nègre, op. cit., p. 46
6 Depestre (René), propos cités par
Jacques Chevrier, Littérature Nègre, op. ci.t., pp.
46-47
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C'est un échec envisagé, attendu par des auteurs
comme Jean Baptiste Tati-Loutard. Ils ont même reproché aux
tenants de la Négritude, le fait d'établir des différences
entre les peuples par une quelconque spécificité ou essence
raciale. C'est une façon, ont-ils considéré, de
circonscrire tout dans une thématique raciale, et même
l'écriture de l'oeuvre littéraire négro-africaine : «
Un inconvénient de la Négritude et qui est une
conséquence de toute conception essentialiste, c'est que du point de vue
de la critique littéraire on juge l'écrivain noir non par ce que
vaut son oeuvre, ce que vaut sa personnalité, son individualité
artistique, mais on cherche dans l'oeuvre africaine ou d'un
Africain une spécificité raciale. C'est
ainsi que Senghor ne relève invariablement, dans toutes les oeuvres
des Africains que le rythme, l'émotion, l'union avec les forces
cosmiques »1.
C'est une situation que Tati-Loutard a effectivement
déplorée, parce qu'il considère qu' « Entre
l'homme et l'art, il faut ôter l'écran de la race
»2 qui paralyse, selon lui, les vocations
littéraires et empêche les jeunes écrivains africains de
« libérer leur tempérament d'écrivain
»3.
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