I.2.2. La Négritude comme déviation
idéologique
L'on a par ailleurs considéré la
Négritude comme un moment de l'histoire, une « affaire de
génération »6 qu'il convient de
dépasser, parce que l'idéologie qu'elle véhicule
recèle des relents de racisme.
Ce que relève à la suite de Thicaya U'Tamsi,
V.Y. Mudimbé : « La Négritude me paraît avoir
été une remarquable subversion contre un pouvoir aliénant.
Sa coloration particulière, son caractère racial proviendra d'une
aimable duperie sur la spontanéité révolutionnaire.
C'était à l'époque, un peu normal. Lorsqu'on parcourt par
exemple la farce qu'est Sang et tempérament, de L. Bourdel
(Juliard, Editeur), on « comprend » le nazisme et l'on peut,
dans
1 Ouologuem (Yambo), Le Devoir de violence,
Paris, Ed. du Seuil, 1968.
2 En particulier Senghor
3 Chevrier (J.), Littérature africaine,
op. cit., p.228
4 Senghor (L.S.), Liberté I,
Négritude et Humanisme, op.cit., p.24, « Ce que l'homme noir
apporte »
5 Towa (Marcien), Léopold Sédar
Senghor, Négritude ou servitude ?, Yaoundé, Ed. CLE, 1971,
p.113
6 L'expression est de Thicaya U'Tamsi, citée
par Jacques Chevrier dans Littérature nègre, op.cit.,
p.43
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un moment de sentimentalité, bénir Senghor,
Césaire, Damas, d'avoir eu le courage d'ériger, contre toute
raison, un racisme antiraciste... »1
Les auteurs, donc, n'ont pas méconnu le rôle
qu'elle a joué dans la période qui a vu naître le mouvement
dont elle a été à l'origine. On reconnaît qu'elle a
été « un moyen de combat contre l'oppresseur blanc
»2, et comme le dit René Depestre, « un
effort de la part de certains intellectuels des Amériques noires, des
Antilles et de l'Afrique, qui se sont retrouvés à Paris et qui
ont mené un combat pour revaloriser nos cultures, pour établir
une revalorisation à la fois morale, esthétique et politique de
nos divers héritages africains. A ce moment, la Négritude avait
une signification bien précise et s'intégrait dans la lutte pour
la décolonisation »3.
En effet, pour ce poète haïtien,
l'idéologie de la Négritude s'est compromise lorsqu'elle s'est
convertie en idéologie politique, en une
idéologie-panacée. Par conséquent, remarque Daniel
Boukman, elle ne répond plus en cela à sa mission originelle.
« La négritude a été, avant la
Seconde Guerre mondiale, un électrochoc salutaire, mais son rôle
est aujourd'hui terminé »4.
C'est ce que pensent des auteurs comme Frantz Fanon et
Sembène Ousmane qui considèrent que « sa prolongation
artificielle bien au-delà des conditions de son émergence aboutit
à en faire une mystique équivoque. L'évolution de la
situation, la disparition de la tutelle coloniale entraînent un
déplacement des problèmes et provoquent en particulier
l'oppression de l'homme noir par l'homme noir : il faut donc se méfier
de la Négritude »5.
1 Mudimbé (V.Y.), Interview in La Parole
noire (Marc Rombaut), cité par Marc Rombaut, La Poésie
négro-africaine d'expression française, op.cit., pp.40-41
2 Salifou, auteur nigérien, lors du colloque
organisé par le Centre d'études littéraires francophones
de l'Université, Paris - Nord, en Janvier 1973, cité par Jacques
Chevrier, Littérature nègre, op. cit., p.45
3 Depestre (René), cité par Marc
Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression
française, op.cit., p.40
4 Boukman (Daniel), Interview in Jeune
Afrique n°531 ; cité par Marc Rombaut, La Poésie
négro-africaine d'expression française, op. cit., p.39
5 Chevrier (J), Littérature
nègre, op.cit. pp.43-44
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