I.2. Les détracteurs et leurs thèses
La poésie négro-africaine de la période
que nous avons considérée, parce qu'elle a servi de
véhicule à l'idéologie de la Négritude, a
été l'objet des critiques les plus virulentes, celles d'auteurs
qui ont discuté « la signification et les implications de la
Négritude telle que l'ont définie Aimé Césaire,
Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas
».2 Leur réaction, par rapport au contenu
idéologique manifesté par les oeuvres de nos poètes peut
se lire à travers trois attitudes différentes.
I.2.1. La Négritude comme « une
idéologie dangereuse »
La Négritude est un mouvement très
contesté par les intellectuels noirs anglophones de l'époque,
parce qu'elle est, pour eux, véhicule d'une idéologie dangereuse.
Elle présente, considèrent-ils, le monde de façon
manichéenne, en ce sens qu'elle fait du Noir l'incarnation du bien et de
l'homme blanc celle du mal, comme d'ailleurs certains textes l'ont mis en
évidence, textes dans lesquels - nous l'avons déjà
montré- les auteurs ont cherché à opposer deux
systèmes de valeurs, les deux visions du monde, occidentale et
négro-africaine.
En cela la Négritude comme idéologie ne permet
pas aux poètes de faire une présentation objective du continent
noir. L'Afrique traditionnelle convoquée dans leur discours est «
un symbole d'innocence et de pureté, à jamais figée
dans la dimension du mythe »3 .
1 Breton (André), Préface à
l'édition Bordas de 1947, in Cahier d'un retour au pays natal,
op. cit. p.80
2 Rombaut (Marc), « Introduction » de son
ouvrage, La Poésie négro-africaine d'expression
française, op. cit, p.38
3 Chevrier (J.), Littérature
nègre, op.cit., p. 43.
L'ouvrage fournit au lecteur des informations qui permettent
de mieux comprendre la réaction de ces intellectuels noirs anglophones,
dont Wole Soyinka, d'ailleurs, est le porte-parole.
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C'est une vision qui a été aussi
dénoncée par le Malien Yambo Ouologuem. Dans son ouvrage Le
Devoir de violence1, il s'en prend non seulement à cette
image idyllique de l'Afrique, mais aussi à tous les Africanistes comme
Léo Frobenius, à tous ceux qui se sont laissé influencer
par leurs idées2, parce qu'ils ont aidé à
vulgariser cette « vision d'une Afrique précoloniale
parée de toutes les vertus »3, donc cette utopie
derrière laquelle se dissimulent la réalité des situations
vécues dans les grands empires médiévaux
célébrés par les ethnologues, à savoir la violence,
l'injustice et l'esclavage.
Dans une autre perspective, le caractère «
dangereux » de l'idéologie de la Négritude est perçu
par Marcien Towa à travers la pensée senghorienne en ce qu'elle
apparaît comme une justification de la supériorité
biologique de l'homme blanc par rapport à l'homme de race noire. En
effet la formule, « l'émotion est nègre, comme la raison
hellène »4 amène le philosophe camerounais
à dire que Senghor, non seulement cautionne la subordination du
Nègre au Blanc, mais aussi « admet avec
sérénité la domination européenne
»5.
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