Chapitre I
L'Afrique dans le discours colonial
I.1 Le pays et son paysage
La littérature coloniale s'est largement plu à
présenter le continent noir comme une terre de perdition et de
déchéance. Dans Littérature
nègre1 Jacques Chevrier
a beaucoup insisté sur cet aspect très important de la
thématique des oeuvres romanesques de l'époque, comme Tartarin
de Tarascon (1872) d'Alphonse Daudet, Le Roman d'un Spahi (1881) de
Pierre Loti et Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant. « Le
héros romanesque de toutes ces oeuvres, écrit-il, est le
soldat français exilé, dont la présence n'est le plus
souvent qu'un prétexte permettant de dévoiler le monde malsain de
la colonie... ».2
Ce monde malsain de la colonie, comme l'a si bien
indiqué Léon Fanoudh-Siefer3, est
largement décrit par Pierre Loti. L'Afrique, pour cet auteur, est un
monde de fauves, un « continent brûlé par (un) soleil
»4 implacable, un « pays de mort
».5
C'est d'ailleurs la peinture du Sénégal qu'il fait
dans une des pages du Roman d'un Spahi : « Le
Sénégal de Faidherbe, avec son morne ennui, ses midis
écrasants de lumière inexorable et de silence, la
mélancolie de ses
1 Chevrier (Jacques), Littérature
nègre, Paris, A. Colin, 1984
2 Chevrier (J.), op.cit, p.17
3 Fanoudh - Siefer (Léon), Le Mythe du
Négre et de l'Afrique noire dans la littérature française
de 1800 à la 2ème Guerre mondiale,
op.cit.
4 Fanoudh - Siefer (Léon), op.cit, p.64
5 Fanoudh - Siefer (Léon), op.cit, p.64
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crépuscules, la tristesse des nuits qu'emplit le
cri des chacals et des hyènes
»1.
Rien ne semble épargné dans le paysage de
l'Afrique, représenté par Pierre Loti. Tout est étrange
sur cette terre d'Afrique de la chaleur qui compromet la santé physique
au monde des animaux sinistres, en passant par la végétation
« luxuriante et écrasante où grouille et fourmille dans
des marécages traîtres, un monde de reptiles et d'animaux
terribles »2.
L'Afrique que décrit en effet Loti est une Afrique qui
fait peur, surtout par « (sa) végétation imposante, sa
verdure épaisse, touffue, mais qui ne rassure pas plus que les sables du
désert, tant elle impressionne, tant elle écrase l'homme
»3.
Cette description, précise Léon Fanoudh -
Siefer, est celle de la région des rivières du Sud, vers la
Guinée. En effet les rivières et les forêts, celles
africaines en particulier, constituent des zones qui n'ont rien de rassurant.
Elles symbolisent, aussi bien dans le roman de Loti que dans le mythe, le
danger, celui-là même qui a entraîné la mort
d'Eurydice, cette nymphe des forêts mordue par un serpent caché
dans l'herbe au bord d'une rivière.
En effet l'Afrique de Pierre Loti, qui apparaît dans
Le Roman d'un Spahi4, avec ses reptiles, les moustiques de
ses grands marais fétides, est une Afrique noire désolée,
épouvantable, étrange, mystérieuse, infernale, une terre
de mélancolie et de mort. C'est la terre de Cham, une terre maudite et
oubliée de Dieu.
1 Loti (Pierre), Le Roman d'un Spahi,
cité par Fanoudh - Siefer (Léon), Le Mythe du Négre et
de l'Afrique noire dans la littérature française de 1800 à
la 2ème Guerre mondiale , op.cit, p.64
2 Fanoudh - Siefer (Léon), op.-cit., p.75
3 Fanoudh - Siefer (Léon), op.-cit., p.76
4 Loti (Pierre), op. cit.
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