PREMIERE PARTIE
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Discours colonial et poésie
négro-africaine
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« ... tous ceux, colons et complices, qui ouvriront
ce livre, croiront lire, par-dessus une épaule, des lettres qui ne leur
sont pas destinées. (...) cette poésie qui parait d'abord raciale
est finalement un chant de tous et pour tous. En un mot, je m'adresse ici aux
blancs, et je voudrais leur expliquer ce que les noirs savent
déjà : pourquoi c'est nécessairement à travers une
expérience poétique que le noir, dans sa situation
présente, doit prendre conscience de lui-même. »
Jean - Paul Sartre, « Orphée noir
»
« Le révolutionnaire nègre est
négation parce qu'il se veut pur dénuement : pour construire sa
Vérité, il faut d'abord qu'il ruine celle des autres.
»
Id. ibid.
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Une certaine image de l'Afrique a été pendant
longtemps vulgarisée par la littérature coloniale. Nous voulons,
à travers elle, saisir, pas de manière exhaustive, un discours
qui a négativement présenté le continent noir, puisque,
par ce fait, il a vu sa dignité bafouée, ses valeurs de
civilisation mises à mort.
En portant notre intérêt à un tel
discours, nous cherchons à comprendre l'Afrique à travers cette
Eurydice de la mythologie, qui a perdu la vie après la morsure du
serpent1. Comme elle, arrachée à
Orphée, l'Afrique dans le discours colonial est
représentée non sous son vrai visage mais pour répondre
à l'idéal d'une politique de domination. Il s'agissait en fait
pour les écrivains coloniaux2 de satisfaire
la curiosité des lecteurs occidentaux en présentant, à
travers des stéréotypes, le continent noir et ses hommes.
Ce refus de l'objectivité dans la représentation
de l'Afrique était délibéré, puisqu'il était
question, pour les uns comme pour les autres, de justifier
l'entreprise coloniale, c'est -à - dire d'aider à
légitimer l'idéologie coloniale.
Ce que précise Bernard Mouralis dans son ouvrage,
Littérature et développement la fonction de cette
idéologie est essentiellement d'expliquer et de justifier les
déterminismes internes et externes qui, dans la société du
colonisateur et celle du colonisé, ont permis et rendent
légitimes l'établissement de la situation coloniale
»3.
C'est contre cette idéologie que vont se dresser les
poètes de l'Anthologie de Léopold Sédar Senghor
Dans leurs textes, ils procèdent à la remise en cause du discours
colonial et cherchent, par la dénonciation et la révolte,
à rétablir le vrai visage de l'Afrique, par conséquent le
vrai visage de
1 Poursuivie par le berger Aristé qui
était amoureuse d'elle, Eurydice a été mordue par un
serpent. Elle mourut. Las de pleurer et ne pouvant supporter son absence,
Orphée, son époux obtint de Zeus la permission d'aller la
réclamer à Pluton , dieu des Enfers.
2 Essentiellement des voyageurs, des agents
métropolitains, des fonctionnaires de l'administration coloniale.
3 Mouralis (Bernard), Littérature et
développement, Paris, Edit. Silex, 1984, p. 21
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cette nymphe dont la beauté, parce qu'elle se doit
d'être recouvrée, mobilise, et à l'unisson, tous les «
Orphées noirs ».
En effet nous pensons que la poésie
négro-africaine, surtout pour l'époque qui nous intéresse,
est essentiellement une poésie militante, autrement dit une
poésie qui lutte pour la réhabilitation des Noirs, leur
dignité en tant qu'hommes à part entière, en un mot pour
la libération de l'Afrique.
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