QUATRIEME PARTIE
Du bilan de l'expérience orphique des
poètes négro-africains
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« Ainsi la négritude (...) est annonciatrice
de sa naissance et de son agonie, elle demeure l'attitude existentielle choisie
par des hommes libres et vécue absolument, jusqu'à la lie. Parce
qu'elle est cette tension entre un Passé nostalgique où le noir
n'entre plus tout à fait et un avenir où elle cédera la
place à des valeurs nouvelles, la négritude se pare d'une
beauté tragique qui ne trouve d'expression que dans la poésie.
»
Jean - Paul Sartre, « Orphée noir
»
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Ces valeurs négro-africaines originelles que
désirent retrouver les poètes noirs de l'Anthologie sont
effectivement à l'origine de l'expérience orphique mise en
évidence par leur oeuvres. C'est une expérience qui se confond
avec la naissance de la véritable poésie
nègre1.
Celle-ci, du fait de l'idéologie de la
Négritude, a été diversement appréciée non
seulement par la critique littéraire négro-africaine, mais aussi
par des lecteurs occidentaux, soucieux de relever la spécificité
des textes poétiques en rapport avec les systèmes de
pensée du moment, leur vision du monde ou leur conception de la
littérature.
Quelle que soit la critique dont ils ont d'ailleurs
été l'objet, ce sont des poètes qui ont fini d'appartenir
à l'Histoire. Pour avoir aimé leur race, l'Afrique et ses valeurs
de civilisation, assumé des responsabilités, fait preuve de
fidélité à leur peuple, lutté pour la
fraternité universelle, ils restent, pour la mémoire collective,
des hommes qui, à un moment de l'histoire, ont revendiqué
l'émancipation des Noirs, en défiant sans regret l'Occident et
ses valeurs.
Chapitre I
La Négritude, sa poésie et Jean-Paul
Sartre
La poésie négro-africaine, pour la
période qui nous intéresse, a mobilisé, en ce qui concerne
sa critique, les points de vue les plus divers. La Négritude dont elle a
été l'expression a influencé les uns et les autres dans
l'appréciation des théories et des oeuvres.
I.1. Les ténors et leurs conceptions de la
Négritude
Au lieu de parler des divergences dans la conception de la
Négritude, nous avons jugé nécessaire de rappeler tout
simplement certaines définitions
1 Celle que l'on oppose à la poésie
d'imitation dénoncée par les auteurs de Légitime
Défense, parce qu'ils la considèrent comme non authentique
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que Senghor, Césaire et Damas ont données au
concept, parce qu'ils l'ont illustré et défendu, exhibé
partout la vision du monde dont il a été porteur.
I.1.1. Léopold Sédar Senghor
Ce poète sénégalais a été
le grand théoricien de la Négritude. Il a consacré un des
quatre volumes de Liberté1 au concept, un volume dont
le sous -titre rappelle L'Existentialisme est un humanisme2
de Jean-Paul Sartre.
La Négritude, pour Senghor, est aussi un
existentialisme, parce que véhicule de valeurs qui permettent à
l'homme noir de donner un sens à sa vie. « C'est, comme il
le dit, l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir », donc,
« l'affirmation de la personnalité noire, précise
Michel Têtu, par la recherche des valeurs essentiellement africaines
»3
C'est un enracinement, mais aussi une ouverture à
l'Autre, c'est-à-dire un enracinement africain à l'Universel,
d'autant plus qu'il s'agit, pour Senghor, non seulement de rassembler ces
valeurs africaines, mais aussi et surtout de « les dépasser
afin de préparer avec les Blancs dont on reconnaît aussi les
valeurs, la civilisation de l'Universel »4.
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