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D'Orphée et des poètes noirs de l'Anthologie ou les raisons d'une comparaison imagologique

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par Mor Anta Kandji
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2006
  

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TROISIEME PARTIE

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Misères et splendeurs d'une quête

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«La situation du noir, sa "déchirure " originelle, l'aliénation qu'une pensée étrangère lui impose, sous le nom d'assimilation le mettent dans l'obligation de reconquérir son unité existentielle. »

Jean - Paul Sartre, « Orphée noir »

« Dans le moment que les Orphées noirs embrassent le plus étroitement cette Eurydice, ils sentent qu'elle s'évanouit entre leurs bras. »

Id. ibid.

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Il est vrai que la situation imposée par la colonisation a, d'une manière décisive, influencé la première génération des intellectuels négro -africains. Les oeuvres, en effet, rendent compte du malaise dans lequel l'adoption des valeurs de civilisation occidentales a installé les poètes noirs de l'Anthologie, en particulier ceux de la diaspora.

En fait l'assimilation dont nous avons déjà parlé a fait de nos poètes des êtres hybrides, des êtres dont la situation , parce que douloureuse, est insupportable puisqu'elle oblige les auteurs à trouver dans la Civilisation de l'Universel une alternative à leur drame existentiel.

Comme Orphée, dont la femme est « noyée » par les Ombres infernales, les poètes de l'Anthologie voient, à travers les valeurs étrangères, l' « Ombre » qui est venue envahir le continent noir, compromettre les valeurs de civilisation négro-africaines traditionnelles, par conséquent cette image authentique de l'Afrique dont la préservation, et non seulement la découverte ou la revendication, semble motiver le discours présent dans leurs textes.

Malgré les mutations qu'elle a connues, cette Afrique n'a pas complètement disparu, d'autant plus qu'elle continue plus ou moins à se manifester à travers certaines traditions qui rendent compte des valeurs de civilisation nègres originelles

Chapitre I

Conscience d'être(s) divisé(s) ou l'impossible reconquête d'une unité existentielle

C'est une conscience qui est née de l'influence de l'Occident et de ses valeurs de civilisation, donc d'une situation que l'Histoire, en Afrique et aux Antilles, a rendu irréversible en ce qu'elle ne permet plus à nos poètes de circonscrire leur avenir et l'avenir de leur peuple dans la seule convocation des valeurs de civilisation originelles.

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I.1. La condition de métis culturels

En abordant, à ce niveau, le problème du métissage culturel, il ne s'agit pas pour nous, de dire que les poètes noirs dans leurs oeuvres ont fini de renier leur civilisation originelle. Dans les analyses que nous avons faites jusque là, nous avons présenté l'assimilation comme une situation difficile, parce que vécue douloureusement par les aèdes nègres ; en ce sens elle ne pourrait aucunement être un prétexte pour que les Nègres renoncent à leur originalité ou échangent délibérément leur civilisation originelle contre la civilisation du métissage hybride1.

C'est une situation qui a permis aux poètes de constater néanmoins l'échec de leur entreprise, celle-là même qui a consisté à faire sortir de l'ombre l'Afrique authentique, à travers l'épreuve initiatique de la descente aux Sources. Les poètes noirs, comme le montre bien Aliko Songolo à propos de Aimé Césaire, ont en fait échoué dans leur tentative de retrouver le paradis perdu2 , perdu parce que la situation politique a fait de ce paradis un enfer, en même temps qu'elle a fini, à travers l'assimilation, de conférer à nos poètes un « destin de métis culturels »3.

En effet le concept de métis culturel a suscité des commentaires les plus remarquables, des commentaires qui sont plus particulièrement à apprécier en rapport avec les idées développées par L. S. Senghor sur la question.

Nous n'entendons pas revenir sur ces commentaires, car ils ont le mérite d'avoir, d'une manière ou d'une autre, éclairé le sens du concept et de procéder à son analyse critique4.

Il s'agit pour nous de jauger les conséquences du métissage culturel à partir des situations et expériences dont ces créateurs ont rendu compte dans leurs oeuvres.

1 Mboukou (J.-P.Makouta), Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, NEA, 1980, P.46

2 Songolo (Aliko), Aimé Césaire, une poétique de la découverte, Paris, l'Harmattan, 1985, P.37

3 Senghor (L.S.), Liberté I Négritude et Humanisme, « De la liberté de l'âme ou éloge du métissage », op.cit., P.103

4 Nous pensons à Jean-Pierre Makouta Mboukou, Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, op.cit., pp 44 - 90, du chapitre II au chapitre V, soit quatre chapitres traitant du problème du métissage culturel sur les seize constituant l'ouvrage

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Ce sont des poètes qui sont conscients du drame qui est le leur, qui vivent dans la souffrance leur condition qui a fini de faire d'eux des êtres divisés. Cette situation rappelle celle d'Orphée qui a vu ses membres dispersés par les femmes de Thrace dont il dédaigna l'amour, parce qu'il a juré de rester fidèle à Eurydice1 .

Cette fidélité, nous l'avons montré, nos poètes l'ont aussi manifestée à propos de l'Afrique et de ses valeurs de civilisation. Elle ne les a pas empêché, comme Senghor, de reconnaître ce qu'ils doivent à l'Europe, à la France en particulier, en termes de valeurs à partager, même si les réalités de l'histoire, en ce qui concerne les hommes de couleur, s'imposent par leur cruauté.

En effet dans le « Poème liminaire » de Hosties noires, le poète

sénégalais se présente comme un de ces intellectuels nègres qui ont accepté

d'être les porte-parole de leur peuple, de lutter pour la réhabilitation de l'homme

noir, mais qui ont aussi admiré les autres peuples dans ce qu'ils peuvent

apporter de positif à l'humanité tout entière.

« Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France - je ne suis

pas la France, je le sais -

Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu'il a libéré ses mains

A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments

Qu'il a distribué la faim de l'esprit comme de la liberté

A tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin

catholique.

Ah ! ne suis-je pas assez divisé ? »2.

Ce drame, certains de nos poètes en ont fait l'expérience dans leur chair, d'autres comme Damas l'ont vécu au niveau familial par la mise en évidence de deux visions du monde dont l'une qui se veut le modèle cherche à détruire l'autre qui est la marque des valeurs originelles, donc des valeurs à préserver, à défendre, parce qu'expression de l'authenticité.

1 Eurydice disparue à ses yeux, Orphée refusa dès lors tout amour féminin, et n'aima plus que les jeunes garçons.

2 Senghor (L.S.), Hostie noires, 1948 in Oeuvre poétique, Ed. du Seuil, 1990, p.56

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C'est dire que « le métissage culturel, remarque Jean-Pierre Makouta Mboukou, n'est donc pas un fait librement consenti. L'école l'impose aux Nègres qui ne peuvent opposer aucune résistance. Leur vie même est une vaste défaite, même si les Nègres se battent encore, pour tenter de conjurer le sort ; ne pouvant vaincre, le Nègre est obligé de se compromettre. »1

C'est là le drame véritablement vécu par nos intellectuels, même si les apports de l'Occident, au niveau matériel et sanitaire surtout, ne se sont pas sans avoir influencé le mode de vie de la grande masse des populations nègres, parce que amenées elles aussi, par ce fait, à s'éloigner de leur milieu sociologiquement originel, autrement dit, à sortir de leur sociologie2.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo