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D'Orphée et des poètes noirs de l'Anthologie ou les raisons d'une comparaison imagologique

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par Mor Anta Kandji
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2006
  

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Chapitre II

Les écueils d'une épreuve initiatique

II.1 La langue d'expression

Il n'est pas moins important, avant d'aborder cette question de la langue d'expression, de relever la tendance qui consiste à signer la naissance de la littérature négro-africaine avec des auteurs qui ont fait de la revendication des Noirs, le thème principal de leurs oeuvres3. Pourtant avant la fulgurante parution du seul numéro de Légitime défense4 le 1er juin 1932, il a existé des textes poétiques et surtout romanesques5, qui ont annoncé les débuts de cette littérature.

1 Césaire (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal, 1939, in La Poésie négro-africaine d'expression française de Marc Rombaut, op.cit., pp 301 - 302

2 Césaire (Aimé), Soleil Cou coupé, op. cit., « Couteau, midi », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.78

3 Les poètes de la Négro - Renaissance américaine, puis les poètes de la Négritude. Sur le plan romanesque, René Maran avec Batouala (1921) est considéré comme l'auteur « qui le premier, a exprimé "l'âme noire" avec le style nègre, en français » (L.S. Senghor, Liberté I, Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964, p.410)

4 Ses auteurs, une équipe de jeunes intellectuels antillais, invitaient les Nègres à accorder dans leurs oeuvres une importance particulière à l'histoire de la race, aux idéologies qui permettent de libérer l'homme noir.

5 Nous pensons à des textes romanesques comme Les Trois volontés de Malic (1920) de Mapaté Diagne, Force-Bonté (1926) de Bakary Diallo, à l'oeuvre de Massyla Diop, Le Réprouvé (1926)

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Nous pensons, en ce qui concerne la poésie, à certains textes des « Poèmes perdus » de L.S.Senghor et de Leurres et lueurs de Birago Diop où les réminiscences de la poésie française du XIXe siècle sont réelles. C'est une poésie en langue française comme celle présentée par l'auteur de Chants d'ombre dans son Anthologie. Mais il s'agit d'une part d'une poésie d'imitation qui se plait à développer des thèmes universels comme par exemple l'amour et la mort, et d'autre part d'une poésie de rupture aussi bien dans l'écriture des textes que dans l'inspiration.

C'est ainsi que l'amour et la mort dans cette poésie de rupture n'apparaissent plus seulement comme l'expression de la condition humaine, mais comme des thèmes qui n'ont de sens et de valeur que par rapport aux situations que l'histoire, dans la douleur, a imposées à l'humanité nègre, à travers, nous l'avons montré déjà, des réalités historiques que sont l'esclavage et la colonisation.

Il convient de rappeler, pour ce qui est de la colonisation, que c'est une période qui a vu l'implantation dans les colonies de l'école étrangère et la formation des premiers intellectuels qui vont constituer, dans les Antilles comme en Afrique l'élite noire, à laquelle d'ailleurs, appartiennent les poètes noirs de l'Anthologie.

En indiquant cela, nous ne cherchons pas à évaluer la fascination exercée par les valeurs de civilisation occidentales sur certains intellectuels négro-africains. Il nous a paru seulement intéressant de constater que ces valeurs, dans la période que nous avons considérée, ont été dénoncées, condamnées par nos auteurs , à travers non des langues locales, mais dans la langue du colonisateur, donc dans ce que ces valeurs ont de non authentique, et par conséquent d'aliénant.

Cette situation est à l'origine d'un malaise qui est exprimé par le poète haïtien, Léon Laleau, dans son poème, « Trahison ».

« ... sentez-vous cette souffrance Et ce désespoir à nul autre égal

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D'apprivoiser avec des mots de France Ce coeur qui m'est venu du Sénégal ? ».1

En fait rejeter l'Occident et ses valeurs, c'est aussi, pour les poètes, vivre

ce malaise d'user d'une langue véhicule de ces mêmes valeurs. Dans les familles qui ont fait de l'assimilation leur cheval de bataille, la situation est souvent des plus tendues, comme le montrent les injonctions de la mère de Damas, quand le fils se donne dans la maison la liberté de parler une langue autre que le français.

« Taisez-vous

Vous ai-je dit qu'il vous fallait parler français

Le français de France

Le français du français

Le français français »2.

C'est ce désir même de se révolter contre la langue de l'oppresseur, qui a amené les poètes noirs à poser le « problème de la recherche d'une authentique expression nationale »3.

Il ne s'agit pas pour nous de revenir sur les débats suscités par ce problème et les considérations qui ont porté sur l'intérêt d'une poésie nationale qui ferait corps avec les sentiments et préoccupations de tous les frères de race, donc avec leur vision du monde4. Mais compte tenu de la réaction des uns et des autres, nous avons jugé important de relever le point de vue de David Diop. En effet, l'auteur de Coups de pilon a reconnu les limites expressives d'une poésie négro-africaine en langue étrangère, en ce que celle-ci « rend plus

1 Laleau (Léon), Musique nègre, 1931, « Trahison », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.108

2 Damas (L-G), Pigments, 1937, « Hoquet », in Anthologie de L.S. Senghor, op., p.16

3 Wauthier (Claude), l'Afrique des Africains, Paris, Seuil, Coll. « L'histoire immédiate », 1977, p27

4 On peut lire avec profit Mouralis (Bernard), Littérature et développement, op. cit., pp 432 - 444, et Wauthier, l'Afrique des Africains, op. cit, pp 27 - 29

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difficile le contact du poète avec son peuple »1. Cependant, considère-t-il, pour éviter les piéges d'une négritude superficielle, il urge de se servir de la langue du colonisateur pour se faire comprendre et mieux combattre la politique et la situation imposée aux Nègres dans les colonies.

Le poète, écrit-il, « sait qu'en écrivant dans une langue qui n'est pas celle de ses frères, il ne peut véritablement traduire le chant profond de son pays. Mais en affirmant la présence de l'Afrique avec toutes ses contradictions et sa foi en l'avenir, en luttant par ses écrits pour la fin du régime colonial, le créateur noir d'expression française contribue à la renaissance de nos cultures nationales »2.

Obligés alors de recourir à la langue française, de l'utiliser comme moyen d'expression, les poètes noirs de l'Anthologie se trouvent ainsi limités dans leur projet de remise en cause totale et systématique des valeurs de civilisation occidentales, dans la mesure où l'obstacle linguistique qu'ils veulent franchir, et qu'ils ne franchiront pas, est révélateur de la difficulté qu'il y a pour ces « Orphées noirs » à retrouver cette Afrique- Eurydice dans son visage le plus authentique.

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