CHAPITRE II :
LA VIRGINITE DE LA FIANCEE.
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Lorsque Hélène Yinda déclare que :
«La jeune fille qui [parvient] au mariage vierge [est] d'emblée
une femme vertueuse »30, elle valide par là la loi
de « la preuve de la virginité » qui a cours chez les
peuples de la côte du Cameroun le jour du mariage. En effet, «
la vérification de la virginité de la fiancée est
pratiquée [chez] les Duala, Malimba et Batanga...
»31. Ces deux affirmations consacrent cet
état comme un élément très important dans le
mariage d'une fille. Le Fils d'Agatha Moudio s'inscrit dans cette
logique en s'opposant aux rapports sexuels de la fille avant le mariage. Deux
éléments clarifient cette interdiction. D'abord l'opposition de
Maa Médi au mariage entre son fils et Agatha Moudio avec qui il a une
relation intime. Parce que cette dernière « connaît
déjà l'homme » c'est-à-dire entretient des
rapports sexuels alors qu'elle n'est pas mariée, la mère de
Mbenda trouve qu'elle n'est plus digne d'être sollicitée pour les
noces. Ensuite l'étonnement de La Loi vis-à-vis de l'attitude de
sa compagne, atteste que cette pratique est proscrite. L'indignation se
manifeste dans l'expression « pensez donc » glissée
dans ces paroles : « pensez donc qu'à son âge, elle
savait déjà `'tout faire» » (FAM, 18-19). «
Savoir déjà tout faire » et «
connaître déjà l'homme » revêtent la
même signification puisqu'elles sont des traductions littérales du
duala en français. Il transparaît donc que la virginité de
la fiancée est sacralisée dans le roman. Comment Agatha
viole-t-elle cette loi ? Trois attitudes déterminent sa démarche.
Premièrement la pratique sexuelle avant cours ; deuxièmement la
proposition indécente à laquelle elle se livre ;
troisièmement la grossesse aux allures de vengeance qu'elle contracte.
Au bout du compte, l'impudique subit des représailles.
30- Yinda, Hélène, (dir.), Femmes
africaines, Yaoundé, Editions Sherpa, 2002, P.97.
31- Bureau René renchérit la pensée de
Yinda en affirmant que : « Le soir même du mariage, la
mère du garçon fait le constat. Ou bien elle montre le sang qui a
coulé à la perforation de l'hymen, comme chez les Duala, ou bien,
plus discrètement, elle prévient son mari qui envoie des
félicitations au père de la fille. Dans le cas où la
fiancée n'est pas vierge, le garçon a le droit de la renvoyer
chez elle en la refusant définitivement. », in Recherches
et études camerounaises, Op.Cit, P. 171.
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II.1- La pratique sexuelle avant cours.
Les rapports sexuels qu'Agatha entretient alors qu'elle n'est
pas encore mariée constituent la première action de violation
qu'elle pose. Qu'est-ce qui témoigne de la prématurité de
ces rapports ? Quelles sont les motivations de la fille ? Telles sont nos
préoccupations dans cette sous-partie.
Agatha est une fille de dix-sept ans. Malgré son
âge, elle n'est pas encore autorisée à avoir des rapports
sexuels. Deux éléments le démontrent. Le premier, c'est le
fait que Mbenda craint d'avouer à sa mère qu'il n'a jamais eu de
rapport intime avec Fanny alors que celle-ci a seize ans32. C'est
dire que Fanny, bien qu'elle soit plus jeune qu'Agatha, est autorisée
à s'investir dans cette pratique. On comprend que c'est la situation
matrimoniale d'Agatha qui pose problème.
Le deuxième élément qui justifie la
précocité, c'est la redondance de l'adverbe de temps «
déjà » qui se dégage dans les propos de Mbenda, le
compagnon d'Agatha. Ce dernier s'inquiète lui-même de l'attitude
de sa compagne :
« J'avais en face de moi une enfant de [vingt-et-un]
ans, qui faisait déjà parler d'elle comme peu de gens y arrivent
au bout de toute une vie. Je ne souhaiterais jamais à aucune fille
d'aucun pays d'avoir la réputation d'Agatha Moudio [...] Elle savait
déjà `'tout faire» [...] `' Elle connaît
déjà l'homme» » (FAM, 18-19).
Même si on peut expliquer ce comportement, il demeure
qu'il transgresse une loi. Il est important de préciser les motivations
de cette attitude non pour la défendre mais pour argumenter son
caractère zélé. Agatha est une enfant dont la naissance a
beaucoup irrité son père parce qu'il ne s'attendait plus à
la venue d'une fille dans son ménage. Elle explique en ces termes
l'ambiance qui a entouré sa naissance :
« Pour ce qui est de mon père, je reconnais
toutefois qu'il se montra bon avec ma mère, car il lui accorda
jusqu'à une troisième chance [pour faire un garçon]. Ce
fut alors que je vins au monde, moi que mon père n'attendait pas,
puisqu'il voulait un garçon. Mon arrivée déclencha son
courroux. On n'avait encore jamais vu un homme dans une telle colère
lors de la naissance d'un enfant » (FAM, 33).
Pour calmer cette colère, la famille de la mère
de l'enfant a confectionné des présents qu'elle a remis au
père. Agatha s'en souvient :
32- Fanny a seize ans au moment où elle contracte la
grossesse. Ceci transparaît dans les propos de Mbenda qui explique
pourquoi il refuse d'avoir des rapports sexuels avec elle : « Je ne
m'étais pas encore proposé de faire un enfant avec cette gamine
de seize ans à peine. Elle avait beau être ma femme, je ne la
connaissais pas davantage pour cela. `'Il faut qu'elle soit plus grande»,
me disais-je chaque fois que je sentais une envie sérieuse de commettre
un détournement de mineure. » (FAM, 141).
30
« Ma mère me raconta un jour, que mon
père refusa de me voir, pendant les deux ou trois premiers mois de ma
vie, et que les gens de la famille de maman allèrent le supplier de me
pardonner d'être venue. Ils apportèrent un coq au plumage blanc,
deux cabris, deux grosses ignames et un billet de cinq cents francs qu'ils
remirent à mon père pour le réconcilier avec moi »
(FAM, 33).
Malgré tous ces cadeaux, le père ne
désarme pas totalement. La fille pense même qu'en dehors de la
maladie qui est à l'origine de la mort de sa mère, les peines que
ce dernier lui a fait subir en sont aussi une cause. Elle l'explique dans sa
réponse à la question de Mbenda qui veut savoir si la
réconciliation ne profitait pas aussi à la mère :
« Mais tu sais, dans le fond, il ne m'a jamais
pardonné tout à fait. Quant à maman, il lui mena la vie de
plus en plus dure, et si la pauvre femme est morte à la suite d'une
longue maladie, les mauvais traitements que mon père lui infligea ne
l'aidèrent pas beaucoup à s'en remettre, crois-moi. Je suis
persuadée qu'elle est morte de chagrin, autant que de maladie »
(FAM, 34).
À la suite de cette intervention, Mbenda veut se
rassurer à combien de temps cela remonte. Elle répond :
« il y a trois ans de cela... » (FAM, 5) et poursuit :
« Oui elle est morte depuis trois ans. J'avais un peu plus de quatorze
ans quand ma mère mourut. Depuis, j'ai été
abandonnée à moi-même. Et toute seule, j'ai grandi, oh,
j'ai beaucoup grandi, c'est moi qui te le dit » (FAM, 35). Il ressort
dans les deux dernières phrases de cette déclaration une
tonalité rageuse qui révèle en filigrane une intention de
révolte. Même si son compagnon la comprend, il n'en demeure pas
moins qu'il reconnaît que sa conduite est des plus mauvaises :
« Je voyais mieux, dans mon esprit, la succession des
faits : c'était en effet depuis deux ou trois ans que cette petite fille
était devenue la personne la plus en vue de la région,
c'était donc après la mort de sa mère, que seule ou
presque seule dans la vie, avec un père qui s'occupait plus de ses trois
autres épouses et `'de ses enfants garçons», elle avait peu
à peu acquis sa célébrité, une
célébrité de fort mauvais goût. [...] La mauvaise
conduite d'Agatha était la conséquence d'une éducation mal
conduite, laissée au hasard » (FAM, 34-35).
Ce discours justifie implicitement le caractère vengeur
de l'attitude d'Agatha. Elle est révoltée d'une part contre son
père qui n'a jamais voulu d'elle; et d'autre part contre la
société qui ne l'a pas récupérée
après la mort de sa mère. Mais qui l'a aussi abandonnée
à elle-même. Depuis lors, elle viole tabous et interdits. Sa
vengeance se poursuit avec la demande en mariage qu'elle fait à son
partenaire.
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