I.2- Le scandale du téméraire.
Cette démarche commence par la duperie. Pour apaiser la
colère de sa mère, Mbenda lui fait croire que ce n'est pas lui
qui a invité Agatha chez lui et qu'il n'était même pas
informé de son arrivée:
« Je pris des précautions pour expliquer
à Maa Médi, doucement, qu'Agatha était venue chez moi sans
me prévenir, et surtout qu'il n'eût jamais été
entendu entre elle et moi qu'elle viendrait me voir.- D'ailleurs, tu as bien
vu, dis-je à ma mère : de peur
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d'être surprise par toi ou par quelqu'un d'autre, tu
as bien vu comme elle s'est ingéniée à faire pleuvoir
» (FAM, 50-51).
La redondance de « Tu as bien vu », (deux
occurrences), dans ce discours vise à convaincre l'interlocutrice et
l'amener à admettre la « véracité » de ces
déclarations.
L'amant d'Agatha profite de cette duperie pour continuer
d'entretenir sournoisement une vie amoureuse avec elle. L'aventure tourne au
vinaigre quand cette dernière apprend que les parents de son partenaire
sont en pleines négociations pour le mariage de leur fils avec une autre
fille. Sa colère est compréhensible dans la mesure où son
concubin lui a fait croire qu'il l'épouserait :
« Pour Agatha, ce temps pendant lequel je ne la
voyais plus était trop long. Naturellement, le bruit des
démarches que nous faisions en vue de mon mariage avait couru
jusqu'à elle [...]. Un après-midi, elle arriva chez moi comme
l'ouragan, et me sortit tout ce qu'elle avait d'amer contre moi. Et je manquais
de loyauté, parce que je lui avais donné l'espoir que je
l'épouserais, et que pendant ce temps, j'allais prendre une autre femme
» (FAM, 92-93).
La déception de celle-ci l'emmène à tout
détruire chez son prétendu prétendant avant de s'en aller
: « et Agatha ne repartit chez elle qu'après avoir cassé
sous mes yeux, les trois verres et les cinq assiettes en porcelaine constituant
le grand complet de ma vaisselle de célibataire » (FAM, 93).
L'objectif visé quand nous décrivons cette scène c'est de
rendre compte du caractère distrait et sournois de la relation de Mbenda
avec Agatha. Jusqu'ici, les deux vivent dans une discrétion. Le voeu du
fils de Maa Médi après le désastre de sa conjointe
l'approuve :
« Je ne voulais pas que Maa Médi, en rentrant
de sa plantation le soir, mourut d'une crise cardiaque en apprenant que cette
fille de mauvaise vie était venue allumer une bagarre scandaleuse chez
moi, en plein jour, ce qui aurait signifié pour ma mère, que ces
derniers temps encore j'avais donné à Agatha le sentiment que je
l'épouserais » (FAM, 93).
Le mensonge, comme le dit le proverbe duala, « a les
jambes trop courtes »26. Il finit toujours par être
dévoilé. Le secret des amoureux est divulgué quand Mbenda
manque publiquement de respect à sa mère. La grande gueule
d'Agatha vis-à-vis de Dooh et les siens qui sont surpris de la voir dans
la voiture d'un Blanc, se termine par cette
26-Ebélé, Wei, Op. Cit., P. 226.
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interrogation : « Etes-vous contents à
présent ? ». Mbenda qui se trouve sur les lieux, ne cache pas
sa jalousie après cette réaction :
« Non, moi, je n'étais pas content. J'avais vu
Agatha la veille au soir, et elle ne m'avait pas dit qu'elle irait le lendemain
matin à la ville, et je la trouvais-là, dans une belle auto
bleue, et elle avait le toupet d'avouer à tout le monde,
d'elle-même, qu'elle allait chez le propriétaire de la voiture...
» (FAM, 150).
La jalousie ayant ceci de particulier qu'elle finit toujours
par pousser la victime à la colère, le concubin réagit
pour empêcher sa compagne de s'en aller : « Agatha, [cria t-il],
tu ne vas pas y aller...Je te défends d'y aller » (FAM, 150).
Maa Médi qui est dans les parages, ne laisse pas le temps à la
fille qui « s'apprêta à dire quelque chose »
(FAM, 150), de placer un mot. Elle intervient :
« Fils, mon enfant, de quoi te mêles-tu ?
Laisse donc partir cette fille perdue, dans sa voiture. Qu'elle aille où
elle veut, qu'est-ce que cela peut bien te faire ? Ce n'est pas ta femme, et tu
ne dois pas te salir à lui adresser la parole... » (FAM,
150).
Ce discours montre bien que la mère ignore la relation
des amoureux. La réaction de son fils après son intervention
révèle tout. Elle est virulente et méprisante. Sur un ton
menaçant, il rabroue sa mère, révélant ainsi au
grand jour toute l'intimité qui le lie à Agatha : « C'en
est assez, mère [dit-il] dans un ton de colère grandissante. Je
te dis que c'en est assez. Dans ce village vous insultez tous cette fille ;
elle n'est pas... » (FAM, 151). Malgré tout, la tendresse et
le sens maternel de la mère ne faiblissent pas. Elle s'évertue
autant que faire se peut de dissuader son fils. Mais en vain ; d'où sa
désolation et sa mélancolie :
« Maa Médi essaya encore de me contenir, ce
fut en vain. Alors, elle s'en alla en pleurant, disant que le ciel l'avait
injustement punie en lui donnant l'horrible fils que j'étais, un fils
qui ne lui épargnait même pas la honte d'être
désobéie devant la foule » (FAM, 151).
Mbenda continue de s'opposer au départ d'Agatha pour la
ville. Il menace de briser la voiture au cas où Dooh continue à
la faire sortir de la boue : « Dooh, Dooh, arrête de pousser
cette voiture, sinon je vais la mettre en morceaux » (FAM, 154). La
partie se termine quand le roi Salomon intervient : « calmes-toi fils,
sinon je vais te donner une correction exemplaire devant tout le monde »
(FAM, 152). L'influence de ce personnage dans tout le village oblige
l'insolent à se recroqueviller et à retourner chez lui fort
déprimé.
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Rendu à son domicile, il trouve une oreille attentive,
son épouse Fanny, qui compatit à sa déculottée.
Elle lui propose même d'épouser Agatha en secondes noces si tant
est qu'il l'aime : « Si tu l'aimes, pourquoi donc ne pas
l'épouser ? » (FAM, 152). Mbenda saisit cette proposition
comme une bouffée d'oxygène et s'empresse de rétorquer :
« Ce n'est pas que je n'y pense pas, lui [répond- t-il], avec
la même simplicité, mais c'est ma mère qui ne veut pas la
voir. Si tu pouvais convaincre Maa Médi... » (FAM, 152).
Grâce au soutien de Fanny, Mbenda essaie de persuader sa mère pour
qu'elle lui pardonne son insolence et surtout pour qu'elle lui permette
d'épouser Agatha. Malgré le statu quo de Maa Médi, il
s'entête et s'engage contre toute attente à vivre maritalement
avec son amante.
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