LA STABILITE DANS LE FLIRT.
CHAPITRE I :
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Ce chapitre peut sembler embarrassant en raison de la valeur
qui y est défendue. Puisque la fidélité examinée au
chapitre trois est aussi un gage de stabilité. Pourtant, la place de
cette analyse est justifiée en ce sens qu'il établit une
distinction entre l'instabilité d'un marié et celle d'un
célibataire. Nous estimons que l'infidélité désigne
le caractère instable d'un époux tandis que si l'union des
conjoints est illégitime, il sied de parler de frivolité. Le
contraire de la frivolité étant à notre sens la
stabilité même si ce terme peut revêtir plusieurs
connotations. La colère d'Agatha et le fait qu'elle ne soit plus
disposée à rencontrer régulièrement
Mbenda23 après qu'elle s'aperçoit que les parents de
ce dernier sont en pourparlers pour son mariage avec Fanny, sont les deux
attitudes qui renseignent sur l'interdiction de la frivolité dans le
récit. En effet, après s'être rendue compte que La Loi
« [allait] prendre pour femme la petite Fanny, elle ne retint plus sa
colère »24 (FAM 93). Par la suite, puisque ce
dernier « [est] marié aux yeux de tout le monde, Agatha ne se
[met] plus à [sa] disposition comme autrefois. » (FAM, 93).
Ainsi, l'intrigue valorise la stabilité des personnages même en
dehors du cadre institutionnel du mariage. Notre souci dans ce chapitre est de
démontrer que même quand les conjoints ne sont pas mariés,
le sérieux est recommandé. C'est ce qui justifie le fait que Maa
Médi s'interpose à toute relation entre son fils et Agatha parce
que cette dernière est frivole. Pourtant Mbenda brave cet interdit.
Trois actes le démontrent. L'analyse s'attarde d'abord sur le
rendez-vous problématique qu'il donne à la
prostituée25 ; ensuite au scandale qu'il provoque ; enfin au
concubinage que les deux entretiennent malgré tout.
23- Mbenda et Agatha entretiennent un flirt (FAM, 17-94).
24- Agatha manifeste sa colère en cassant tout chez
Mbenda. Le narrateur précise qu'elle « ne repartit chez elle
qu'après avoir cassé [...] les trois verres et les cinq assiettes
en porcelaine constituant le grand complet de [sa] vaisselle de
célibataire. » (FAM, 93).
25- la frivolité d'Agatha s'apparente à la
prostitution. Ses randonnées au quartier européen,
c'est-à-dire des nantis, le démontrent (FAM, 21).
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I.1- Le rendez-vous problématique avec la
prostituée.
La bravade de Mbenda commence par une invitation audacieuse
qu'il fait à Agatha. Il est important de relever, pour déplorer
cet acte, qu'il habite dans la même concession que Maa Médi ;
même si chacun a son propre domicile. C'est donc sous le nez de sa
mère qu'il fait venir la fille honnie. Cette invitation lui fait plus de
mal que de bien. C'est ce qui justifie son remord. L'espoir que Mbenda, en tant
que fils unique, représente pour sa mère, l'amène à
s'interroger sur les motivations qui l'ont poussé à donner
rendez-vous à la fille dans la concession familiale :
« J'étais son fils, le seul vrai cadeau
qu'elle eût jamais reçu du ciel, la seule personne aujourd'hui,
sur qui elle pût compter. Je représentais tout pour elle, et je ne
devais pas la décevoir et pourquoi avais-je donné rendez-vous
à Agatha chez moi, presque sous les yeux de ma mère, alors qu'il
était convenu que je ne m'occuperais pas de cette fille ? »
(FAM, 50).
Le remord qui se dégage de ce propos indique la prise
de conscience, par le locuteur, du drame qu'il a commis. La présence de
la fille chez lui à un moment qu'il estime non indiqué, le plonge
dans un sentiment mitigé qui l'amène à vouloir
écourter son séjour :
« Agatha entra et se mit à me faire
réfléchir : qu'allait dire Maa Médi si elle trouvait cette
fille chez moi seule avec moi ? [...] Mais aujourd'hui, un dimanche
après-midi où tout le monde était au village, ce
n'était pas le jour à choisir pour me rendre visite, bien que la
présente visite me combla littéralement de joie. -Il ne faut pas
que tu restes longtemps ici, dis-je à Agatha, non, il ne faut pas...
» (FAM, 17).
Seulement ce discours est une forme d'ironie dans la mesure
où c'est Mbenda qui est l'instigateur du rendez-vous. Aussi, dans la
mesure où les deux ont utilisé un moyen pour se mettre à
l'abri de tout soupçon. Dans le but de se soustraire du regard des
autres, Mbenda et Agatha utilisent un moyen pour détourner l'attention
des habitants du village. Avant de s'amener chez son amant, Agatha a au
préalable, versé une bonne poignée de sel de cuisine au
feu, question de faire tomber une grande pluie qui devrait empêcher les
autres de se rendre compte de sa présence chez celui-ci. Cette
opération paraît efficace en Afrique et notamment chez les Duala
en matière de stimulation d'un déluge. La fille de Moudio l'a
expérimentée et le résultat a été
satisfaisant :
«Agatha Moudio avait pris ses précautions
avant de venir me rendre visite : elle avait jeté toute une
poignée de sel de cuisine dans le feu. A Douala, tout le monde sait
fabriquer la pluie : il suffit de brûler un peu de sel, et aussitôt
le ciel se déclenche
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comme au temps de l'Arche de Noé. Pas de ces pluies
insignifiantes, auxquelles résiste le premier imperméable venu.
Non, de la vraie pluie de saison, de l'eau du ciel tombant en grosses gouttes
serrées, et plus personne n'ose plus sortir » (FAM, 17).
La tactique est si réussie que les amoureux se sentent en
sécurité et à l'abri de tout regard:
« Je [savais] que c'était elle qui faisait
pleuvoir afin d'empêcher le village de s'inquiéter de sa
présence chez moi. Maintenant, il n'y avait aucun danger que Maa
Médi, qui habite deux maisons derrière la mienne, vint remarquer
d'elle-même qu'Agatha était chez moi » (FAM, 18).
Pourtant, le manège s'avère vain car l'objectif
n'est pas atteint. Tout le village est au courant de la présence
d'Agatha chez Mbenda ce dimanche. Dans cette localité, les informations
circulent à la borne-fontaine le matin. Les femmes se racontent des
ragots en attendant que leurs cuvettes se remplissent. Le lendemain du
rendez-vous, la mère Mauvais-Regard qui a d'« autres yeux »
qui lui permettent de voir même dans l'au-delà, renseigne ses
consoeurs :
« Et ce matin-là, [...], à la
borne-fontaine, la mère Mauvais-Regard était en train de raconter
à qui voulait bien l'entendre tout ce qu'elle savait des derniers
événements du village ; et naturellement, à la une de son
journal parlé matinal, il y avait la scandaleuse visite que la veille
Agatha m'avait rendue avec la tranquille assurance de n'avoir été
vue par personne » (FAM, 50).
Cette nouvelle irrite Maa Médi lorsqu'elle l'apprend et
elle le manifeste. Dès que la mère de Mbenda est informée,
elle rentre dans une grande colère, se sentant trahie par son fils :
« Maa Médi était elle furieuse contre moi, ce qui se
conçoit bien...» (FAM, 50). Tout compte fait, le manège
de La Loi se révèle inefficace. Il opte pour une autre
stratégie même si elle est plus risquée.
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