WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La transgression des lois du mariage dans " le fils d'Agatha Moudio " de Francis Bebey

( Télécharger le fichier original )
par Arnaud Tcheutou
Université de Douala - Cameroun - Maitrise 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

LE RESPECT DU CHOIX DES PARENTS.

CHAPITRE V :

53

La sécurisation du régime endogamique donne le pouvoir aux parents de marier leur progéniture. C'est le cas dans le roman de Francis Bebey. Le père de Mbenda avant de mourir, lui a trouvé une femme même si celle-ci n'était pas encore conçue. Cette dernière volonté est au centre des préoccupations de toute l'intrigue car c'est elle qui déchaîne les passions et permet le déploiement des actions qui débouchent sur la malédiction de Mbenda qui viole cette loi à travers une ruse bien concoctée. La prééminence de cet élément dans le récit justifie la position de ce chapitre. Puisque c'est le non-respect de cette dernière volonté qui donne au roman tout son sens. Dès lors, il se pose le problème de l'acceptation d'un conjoint choisi par des ascendants. En effet, il est strictement interdit dans la société du texte de désavouer le partenaire choisi par un parent. La violation de ce principe se fait d'abord à travers l'opposition ouverte contre la dernière volonté, ensuite l'adhésion hypocrite de l'entêté et enfin les secondes noces en guise d'expédient.

54

V.1- L'opposition ouverte contre la dernière volonté.

La ruse de Mbenda commence par le fait qu'il minimise sans détour Fanny, la fille choisie par son défunt père. Celui-ci avant de rendre l'âme, a pris la peine de lui trouver une femme même si celle-ci n'était pas encore née. C'est à Tanga, son ami intime, qu'il s'est confié. C'est pour cette raison que nous pensons qu'il s'agit d'une dernière volonté. En ces termes, le défunt s'adresse à son ami : « Ecoute, Tanga, si jamais l'une quelconque de tes femmes a une fille un jour, je t'en supplie, donne la pour épouse à mon fils, tu m'entends, Tanga ? » (FAM, 26). Le narrateur précise que : « Et Tanga avait répondu oui en pleurant, voyant que son ami fermait les yeux pour de bon » (FAM, 26-27). Les propos du mourant indiquent que, jusqu'alors, Tanga n'avait pas encore un enfant de sexe féminin. Et Mbenda, à ce moment n'avait que six ans. Il se rappelle des fiançailles entre lui qui n'était qu'un gamin et une fille qui n'était même pas encore conçue : « C'est ainsi qu'à l'âge de six ans, je me trouvais déjà fiancé, bien que ma future femme ne fut même pas encore conçue dans le ventre de sa mère. » (FAM, 27).

Malgré la jeunesse de La Loi et l'imprévisibilité de l'avenir - il pouvait ne pas avoir de fille plus tard - Tanga ne dénie pas la dernière volonté de son ami. Connaissant toute la sacralité d'un voeu formulé à l'heure de la mort, il fait tout pour que celui-ci se réalise. Sa plus grande contribution est avant tout celle de mettre au monde une fille. S'étant rendu compte que ses deux épouses ne lui font que des garçons, il est obligé de prendre une troisième femme, qui, finalement, donne naissance à Fanny, sa première fille. La quête d'un enfant de sexe féminin dure trois années ; ce qui veut dire que l'opération n'a pas été facile. Le narrateur explique :

« Quelques trois années passèrent, avant [que ma fiancée] se montrât enfin au grand jour : c'était Fanny, la première fille de la femme de Tanga, ou plutôt de sa troisième femme ; car voyant qu'aucune des deux épouses qu'il avait, lors de la mort de mon père, n'arrivait à mettre de fille au monde, Tanga, par amitié pour mon père, prit une troisième femme, qui lui donna finalement une fiancée pour moi. » (FAM, 27).

Toutes les peines que Tanga s'est donné pour avoir une fille justifient à suffisance la puissance de la « dernière parole » et l'obligation d'honorer la mémoire des morts. Mbenda le confirme : « Chez nous, le meilleur testament écrit n'avait guère la force de la parole de l'homme devant la mort. La parole signifie la vie, la vie qui continue, et que l'homme doit respecter à tout moment, parce qu'elle est la seule chose d'ici-bas qui ne passe guère » (FAM, 25).

55

Pourtant, La Loi désobéit avec ruse à son père, même si on peut considérer que ses arguments ne sont que des prétextes. Puisque la jeunesse de la fille et l'impatience qu'il évoque, ne sont pas fondées. Il trouve que Fanny qui lui est destinée est beaucoup plus jeune que lui. Car elle a treize ans tandis qu'il en a vingt-deux. Il s'imagine que Agatha, pourtant vilipendée, qui a dix-sept ans, lui convient mieux :

« Fanny avait maintenant treize ans. J'en avais vingt-deux. Je me demande pourquoi je fis machinalement ce rapprochement, mentalement, pour découvrir qu'Agatha, qui avait un peu plus de dix-sept ans, me conviendrait certainement mieux, comme épouse, que Fanny. » (FAM, 27).

Sa mère qui porte une grande attention sur lui parce qu'elle ne veut pas qu'il dérape en déshonorant la mémoire de son défunt époux, comprend l'alibi. Elle s'engage à dissiper l'embarras de son fils au cours d'un échange:

« Tu sais, ce n'est pas parce qu'elle n'a que treize ans que tu vas refuser de l'épouser... Au contraire, son âge est un atout pour toi. Une femme, mon fils, ça se travaille. Prends-là pendant qu'elle est encore toute petite, et tu auras tout le temps de la façonner à ta manière, et d'en faire une épouse tout à fait à ta convenance. A treize ans, elle n'est pas trop jeune pour se marier, crois-moi » (FAM, 27).

Dans le strict souci de voir se concrétiser le voeu de son défunt époux, Maa Médi va plus loin dans son argumentaire en invitant son fils à la patience. Si celui-ci trouve que Fanny est très jeune, rien ne l'empêche cependant d'attendre quelques années, le temps qu'il estime déjà la fille plus mature afin de l'épouser. L'insistance de la mère dévoile en filigrane la sacralité de la dernière volonté. Pour elle, quel que soit le temps que cela va prendre, le plus important c'est que Mbenda se marie avec celle que son père a choisie. C'est pourquoi, poursuivant sa réflexion, elle déclare : « Et puis, dis-moi : Qu'est-ce qui te presse de te marier tout de suite ? Tu peux bien attendre encore un an ou deux, et prendre femme lorsque Fanny aura quinze ans... C'est l'âge que j'avais, moi-même, lorsque ton père m'épousa... » (FAM, 28).

Maa Médi croit pouvoir infléchir la position de son fils en l'invitant à la patience. Pourtant elle lui donne là l'occasion de montrer qu'il ne peut plus attendre. Mbenda se saisit de la proposition de sa mère comme une bouffée d'oxygène puisque cet argument suscite en lui un autre prétexte. Il estime qu'il ne peut plus attendre quelque temps avant de se marier. Sachant que le mariage a une grande valeur dans son environnement, il croit que sa mère va céder à son

56

voeu d'épouser Agatha sur le coup. Il ignore que le problème n'est pas de se marier mais celui de savoir qui est-ce qu'il doit épouser. Il se dévoile ainsi :

« C'était-là que commençaient les divergences. C'est que je n'avais plus l'intention d'attendre un an ou deux pour me marier. Je voulais le faire le plus tôt possible, je crois que je l'aurais fait tout de suite, si Maa Médi m'avait donné l'autorisation d'épouser Agatha Moudio » (FAM, 28).

Ces propos révèlent son irrespect vis-à-vis des dernières paroles de son père ; il s'en moque d'ailleurs. Selon lui, c'est sa mère qui est l'empêcheuse de tourner en rond. Pourtant, celle-ci n'a pour seul souci que celui de voir le voeu de son défunt mari se réaliser. Il confirme son entêtement et le désaveu de la volonté de son père en rétorquant à sa mère : « Si j'épouse Fanny parce que je suis obligé de le faire, [...] eh bien, je le ferai, Maa. Seulement que j'attende encore deux ans, je ne le voudrais pas » (FAM, 28). Son seul souhait quand il s'entête c'est de ne pas épouser Fanny mais plutôt Agatha même si son mariage avec cette dernière déboucherait sur une fatalité. Il s'accroche davantage sur son impatience pour discréditer Fanny :

« Je venais de fixer un point sur lequel je me voulais intransigeant. J'espérais par là conduire ma mère à admettre qu'il me fallait une femme tout de suite, et une femme qui en fût déjà une, non une épouse-enfant [...] Je me dis que cette "femme qui en fût déjà une" serait Agatha » (FAM, 29).

Maa Médi comprend aussi cet autre alibi. C'est pourquoi, très intelligemment et avec beaucoup de courtoisie, elle rétorque : « Si tu la veux tout de suite, mon fils, rien de plus simple, puisque son père n'attend qu'un mot de nous » (FAM, 29).

Précédemment, on a vu que deux motifs la motivaient à condamner la relation de Mbenda avec Agatha : le caractère prostitué de cette dernière et ses rapports intimes avec des infortunés et des étrangers. Un autre motif vient se greffer à ceux-ci : le devoir de mémoire. Elle veut voir traduite dans les faits la dernière volonté de son cher époux. Pour cela, elle tient à écarter tout danger, toute présence féminine qui peut détourner son fils :

« La position de Maa Médi était nettement définie. Ma brave mère restait d'autant plus fidèle à la dernière volonté de son mari, qu'elle considérait Agatha comme la seule fille

au monde à qui je ne devrais jamais faire de proposition de mariage. » (FAM, 29).

Pourtant, malgré tout, Mbenda s'enlise dans l'erreur et la bêtise. Il cède au charme de la fille désavouée : « Devant Agatha, je me sentais encore plus incapable que jamais de suivre les conseils de ma mère. Elle m'ensorcelait, littéralement... » (FAM, 30).

57

Le regret qu'il éprouve plus tard indique que rien ne l'oblige à se marier plus tôt, surtout qu'il ne connaît rien du mariage. Si aucune motivation ne peut justifier son impatience, on peut donc conclure qu'il est tout simplement animé par le seul besoin de désobéir à ses parents. Et c'est la raison pour laquelle nous qualifions ses arguments de prétexte. Il l'approuve en ces termes :

« Je ne sais pas, moi non plus, ce qui me pressait tant. Aujourd'hui, cela me paraît même ridicule, que j'aie voulu à tout prix me marier le plus tôt possible, juste au moment où ma mère pensait le contraire : c'est d'autant plus ridicule, que je ne savais pas très bien ce qu'un homme faisait d'une femme une fois qu'il l'avait épousée ». (FAM, 28-29).

Malgré l'aveuglement de Mbenda par le charme d'Agatha, il s'aperçoit qu'il ne peut faire fi de Fanny. Il feint d'obéir à sa mère en optant pour une autre stratégie beaucoup plus insidieuse qui limite ouvertement l'affrontement.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand