DEUXIEME PARTIE : L'IMPLICATION ABSOLUE DE LA
COMMUNAUTE.
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La postposition de cette partie est liée à la
prééminence que le groupe social exerce sur l'individu en
l'empêchant de s'engager dans n'importe quelle relation intime. Il vient
d'être démontré que le respect de certaines lois
dépend du self-control et même si la communauté
réprime les personnages qui les violent, il n'en demeure pas moins
qu'elle ne peut les empêcher d'exprimer leur libre-arbitre. A coté
de ces valeurs, il en existe d'autres qui musèlent la liberté
individuelle. Il s'agit notamment de celles relatives à l'implication
absolue des parents dans la démarche de mariage. Ainsi, l'objectif dans
cette partie est celui de démontrer la préséance du
pouvoir institutionnel et plus précisément du consentement de la
communauté dans la dynamique des noces. Les lois traditionnelles
reconnaissent la dot comme seul élément de légitimation
d'une union. On peut donc comprendre pourquoi les sociétés sawa
attestent qu' « il n'y a pas de `'dibà» sans dot. Les
autres formes d'union sont déviantes ou atrophiées
»47. Or en matière de négociation de la dot,
seuls les parents sont concernés puisqu'en Afrique, le mariage n'est pas
une affaire entre deux individus, mais une union de deux familles voire deux
sociétés. C'est ce qui fait dire à René Bureau que
« la plupart des rites successifs ont trait à l'alliance entre
deux groupes »48 . Une question mérite d'être
posée lorsqu'on se réfère au corpus. Comment se traduit
l'implication absolue de la communauté ? L'analyse du texte montre que
ce pouvoir se manifeste à travers l'exaltation de l'endogamie d'une part
et le respect du choix des parents d'autre part. L'examen de ces lois est faite
respectivement aux chapitres quatre et cinq.
47- Bureau René, Recherches et études
camerounaises, Yaoundé, Editions Clé, 2001, P.166.
48- Ibid, P.176.
CHAPITRE IV : L'ENDOGAMIE.
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Dans le but de préserver la pureté du sang et
d'éviter la déstabilisation des équilibres culturels, les
sociétés traditionnelles sont généralement
favorables à l'endogamie. Ce régime délimite l'espace hors
duquel un membre d'une communauté ne peut aller chercher un conjoint
faute de quoi sa relation ne peut être validée. Ceux qui viennent
d'ailleurs sont considérés comme « n'importe qui
» (FAM, 22), pour rester dans la terminologie du corpus. La
connotation péjorative que revêt cette expression indique que la
société du texte s'oppose à l'exogamie. Ainsi, il est
question de démontrer dans ce chapitre que Le Fils d'Agatha Moudio
encourage les mariages entre membres d'un même groupe ethnique.
Agatha viole cette loi en entretenant d'abord une relation intime avec un
congénère qui n'est pas de la même tribu qu'elle. Nous
caractérisons une telle relation d'intertribale49 . Ensuite
en se mettant avec un Blanc. L'interdiction de ces actes transparaît
d'une part dans le désaveu des relations intertribales ; d'autre part
dans l'hostilité contre les unions interraciales.
49- Nous entendons par relation intertribale ou interethnique
toute union entre des personnages de race noire mais de tribus ou d'ethnies
différentes.
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IV.1- Le désaveu des relations
intertribales.
L'antipathie des Bonakwan à l'égard de toute
relation intime avec un étranger, notamment un congénère
issu d'une autre tribu, montre que l'exogamie est proscrite dans
l'environnement textuel. Headman par exemple est considéré comme
« n'importe qui » parce qu'il n'est pas de Bonakwan,
c'est-à-dire de la même tribu que sa partenaire, Agatha. La haine
développée contre lui entraîne aussi la désaffection
de la communauté vis-à-vis de cette dernière qui viole la
loi de l'endogamie en se mettant avec un étranger. L'inconduite de
celle-ci est l'un des motifs pour lesquels Maa Médi refuse toute union
entre son fils et elle. Dans un tête-à-tête où Mbenda
veut convaincre sa mère de ce que sa partenaire « n'est pas ce
que... » (FAM, 21), il se heurte à la réplique
suivante:
« Dis moi qu'elle n'est pas ce que l'on en dit ? Ce
n'est pas moi qui vais te rappeler [...] son inexplicable histoire avec
Headman, le chef des manoeuvres de la voirie. Un homme comme celui-là,
un homme qui n'est rien et qui n'a rien, et qui n'est même pas de chez
nous... Agatha se laisse emmener par lui, et tu me dis qu'elle n'est pas ce que
je pense, et qu'elle ne mérite pas que je t'éloigne d'elle ?
» (FAM, 21).
Non seulement on condamne l'étrangeté de
Headman, mais aussi sa pauvreté. Ce qui démontre l'esprit
matérialiste des membres de la société du texte.
L'étonnement du narrateur lorsque sa mère le rappelle à
l'ordre justifie cet élan porté vers le matériel :
« Maa Médi avait raison. Je n'avais pas
pensé au scandale que Agatha avait provoqué quelque temps
auparavant, lorsqu'il s'était révélé qu'elle avait
été `'embarquée» par Headman. Personne chez nous ne
le lui pardonnait. Une jeune fille comme il faut n'a pas à se laisser
emmener par n'importe qui. Et Headman, qui n'était qu'un employé
de la voirie, et qui travaillait debout toute la journée, même
sous la pluie quand il pleuvait, et qui par surcroît n'avait même
pas l'avantage d'être `'de chez nous», Headman était
n'importe qui. » (FAM, 22).
Cette attitude se manifeste également contre Tante
Adèle, une allogène qui a épousé Oncle Gros-Coeur,
un originaire de Bonakwan. Dina, une autochtone « à l'allure
mesquine et insignifiante » (FAM, 41), s'appuie sur le statut de son
mari ressortissant de la même ethnie qu'elle, pour la mépriser
régulièrement :
«Elle ne manquait jamais l'occasion de lui rappeler,
avec quelque mépris dans le ton, qu'elle n'était pas d'un village
voisin, mais que mon oncle était allé la prendre loin, des jours
et des nuits de marche plus loin dans la brousse, déclare le narrateur.
» (FAM, 42).
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La haine de Dina est motivée par le fait que le mari de
Tante Adèle est un fonctionnaire, c'est-à-dire un homme nanti
différent de ses pairs qui n'ont pour activités que la
pêche et les travaux champêtres. La querelleuse fonde donc sa
jalousie sur l'aisance matérielle dont jouit sa rivale et approuve par
conséquent l'esprit matérialiste de la société du
texte. Le narrateur justifie l'idée de jalousie en ces termes :
« Mon Oncle Gros-Coeur était le seul de notre village qui
travaillât d'une manière régulière à la ville
; et Dina , dont le mari était pêcheur comme la plupart des hommes
de chez nous, enviait terriblement tante Adèle » (FAM, 41).
Les Bonakwan manifestent aussi leur acrimonie en
développant des réflexions et des racontars qui vont à
l'encontre des leurs qui sont mariés aux congénères
étrangers. Mbenda lui-même n'en est pas exempt. Il dévoile
son esprit endogamique en s'interrogeant sur les raisons qui ont poussé
Oncle Gros-Coeur à épouser Tante Adèle : « Je me
demande pourquoi l'Oncle Gros-Coeur était allé prendre ma tante
des jours et des nuits de marche si loin dans la brousse » (FAM,
42).
Epouser quelqu'un d'une autre tribu anime les passions. Les
femmes en font un sujet phare dans leurs ragots à la fontaine publique.
Ceci transparaît dans les propos du narrateur qui ironise sur
l'avènement de cet appareil dans son village : « Si vous voulez
apprendre que le vieux Eboumbou va prendre sa troisième femme, et que
celle-ci vient de chez les Bakokos, [...] alors, allez à la
borne-fontaine et là, vous apprécierez le progrès à
sa juste valeur » (FAM, 40).
Aucune discrimination n'est faite lorsqu'il s'agit de
désavouer les relations interethniques. Les Blancs eux-mêmes en
sont victimes.
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