III.2- L'angoisse due au forfait
révélé.
La preuve de l'infidélité suscite des frayeurs
qui justifient l'interdiction de cette pratique. C'est dans ce sens qu'il faut
comprendre la peur d'Endalé qui a conçu un enfant
adultérin pendant que son mari est incarcéré44.
L'impudence de celle-ci développe en elle une anxiété
débordante. Malgré l'absence prolongée de son conjoint
légitime du fait de son incarcération, Endalé sait que son
acte n'est pas pardonnable. La grossesse qu'elle a « gagnée
» au cours de ses randonnées est la preuve palpable de sa
tricherie. Elle redoute la violence de son mari qui pourrait être
confronté à la dure réalité après sa
libération. Le narrateur décrit ainsi le trouble qui l'anime:
« Endalé était-là, le coeur
battant. Qu'allait dire son mari en rentrant [de la prison] ? Elle
n'était pas seule à avoir ? gagné? un enfant en perdant
momentanément son mari, mais c'était elle qui avait le plus peur,
connaissant bien le caractère violent de son époux »
(FAM, 195).
Malgré le fait que le pauvre « est mort
à Mokolo » (FAM, 195), toujours est-il que l'enfant de son
épouse tout comme ceux des autres femmes qui ont accueilli leurs maris
sortis de prison avec des enfants naturels, porte « le nom d'Eboa, qui
signifie `'la prison» » (FAM, 120). L'infidélité
est d'autant plus scandaleuse lorsqu'il en résulte une grossesse. C'est
pourquoi on décide d'appeler ainsi toute la progéniture des
épouses dont les maris étaient
incarcérés45 lors de leur conception. Ceci pour
permettre à ces derniers de toujours se souvenir des quatre
années qu'ils ont passées en prison, et surtout de la faute que
leurs épouses ont commise. Le détail à ce propos est ainsi
livré :
« Les femmes étaient lasses de pleurer leurs
maris absents pour si longtemps. Bientôt, celles d'entre elles qui
n'étaient pas encore près de la vieillesse, se mirent à
se
44- Endalé est l'une des trois femmes qui ont
conçu des enfants pendant que leurs maris purgent leur peine de
« quatre ans de prison ferme [...] dans le Nord du pays, à
Mokolo. » (FAM, 116). Parmi les adultérines, elle est seule
à avoir peur de la réaction de son conjoint quand il constaterait
la preuve de son infidélité.
45-Ces personnages sont incarcérés
parce qu'ils ont torturé leur congénère oncle Gros-Coeur
qu'ils accusent injustement de sorcellerie (FAM, 105-117).
42
consoler ardemment avec de jeunes gens malhonnêtes
soit de chez nous, soit d'autres villages des environs. Elles poussèrent
le scandale jusqu'à la conception d'enfants à qui l'on donna par
la suite, à tous, les noms d'Eboa qui signifie la `'prison». Ce nom
rappelle toujours aux `'pères» les quatre années qu'ils
passèrent en prison et pendant lesquelles ils ne s'attendaient pas
à trouver des enfants `'à eux», à leur retour au
village » (FAM, 120).
Même si toutes les trois grossesses sont « une
ironie du sort » (FAM, 120) parce qu'aucune des femmes qui les ont
contractées n'a pu faire d'enfant avec son partenaire légitime,
il n'en demeure pas moins que les époux cocufiés sont
déçus. D'ailleurs tout ceci est considéré comme un
scandale que la mère Mauvais-Regard, grâce à ses dons
surnaturels, aurait provoqué pour semer le trouble dans les couples. On
lui reconnaît des pouvoirs occultes qui empêcheraient les femmes de
concevoir si elle le souhaite. Et même, on lui attribue la
responsabilité de l'infertilité de ces trois femmes avant
l'emprisonnement de leurs conjoints. A la question de Mbenda : «
pourquoi donc a-t-elle permis à trois femmes de concevoir en l'absence
de leurs maris ? » (FAM, 132), Maa Médi répond, en
haussant les épaules : « Pourquoi...pourquoi, mais tu ne sais
donc pas qu'elle n'a pas peur de provoquer de petits scandales de temps en
temps ? » (FAM, 132).
L'infidélité est d'autant plus un scandale que
tous les enfants adultérins sont considérés comme ceux des
époux légitimes. En adoptant les enfants issus des unions
extraconjugales, la société du texte voudrait effacer toutes les
traces de l'infidélité. Cette conduite cadre avec celui de la
tradition duala en particulier et le code civil camerounais en
général. Dans ce code, en son article 312, il est indiqué
que « l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le
mari ». Plus loin, dans l'article 313, précision est faite que
: « le mari ne pourra, en alléguant son impuissance naturelle,
désavouer l'enfant : il ne pourra le désavouer même pour
cause d'adultère ». Ces deux articles, en consacrant de prime
abord le mari comme père de l'enfant né pendant le mariage, nient
implicitement l'infidélité et l'adultère. La loi exaltant
d'ailleurs en son article 212 que « les époux se doivent
mutuellement fidélité, secours, assistance ».
Un parallèle est établi entre ces dispositions
et les lois qui régissent le mariage dans la société du
texte. Mbenda est sommé de s'approprier la paternité de l'enfant
à qui Fanny a donné naissance, même s'il est
avéré qu'il n'est pas le géniteur. Tout le monde sait que
l'épouse de Mbenda a commis un adultère. Mais compte tenu du fait
que l'on recuse l'infidélité, on feint d'ignorer le
véritable géniteur, pourtant bien connu :
43
« Tout le monde, ma mère en tête,
considérait l'enfant qui venait de naître comme mon enfant.
Personne ne se souciait de savoir qui en était le vrai père :
tout le monde savait que Fanny était ma femme, elle ne pouvait mettre au
monde que mes enfants à moi, et non ceux de quelqu'un d'autre »
(FAM, 145).
Tout compte fait, l'instabilité conjugale ne jouit
d'aucun assentiment. Elle est vivement condamnée et même
réprimée.
En conclusion, on constate que l'infidélité est
interdite dans l'environnement textuel malgré les cas de violation.
C'est ce qui explique la sanction appliquée à Fanny qui a eu la
maladresse de faire un enfant avec Toko, l'ami de son mari Mbenda. Elle subit
des invectives de Maa Médi qui regrette de s'être
démenée pour que son fils l'épouse46:
« Si j'avais su que les choses en viendraient-là, je ne me
serais jamais tracassée pour ton mariage, dit-elle à son fils,
[...] Je ne [t'] aurais pas forcé à prendre tout de suite cette
petite écervelée et hypocrite de Fanny » (FAM, 144).
L'inconduite de cette dernière provoque une amertume qui pousse les
siens à la vouer aux gémonies. A travers des chansons de
méchanceté, on lui souhaite toutes sortes de maléfices :
« Il [...] eut des chansons pour elle, et pour son enfant aussi,
chacune d'elle portant une dose de méchanceté que j'avais du mal
à supporter moi-même. C'est ainsi par exemple qu'on lui
prédisait la naissance d'un enfant `'sans tête, ni cou, ni
menton». » (FAM, 144-145)
Il n'est pas donc superflu de terminer ce chapitre en avouant
qu'en condamnant l'adultère, le roman de Francis Bebey
célèbre la fidélité. C'est en vue de garantir cette
stabilité que la communauté s'investit de façon
prééminente dans la dynamique du mariage. Puisque l'inconfort
conjugal peut entraîner le déséquilibre social.
46- Maa Médi a tout fait pour que son fils épouse
la fille choisie par son mari (FAM, 58-59).
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