ABSTRACT
This work focuses on the disobedience of married'laws in the
novel titled Le Fils d'Agatha Moudio by Francis Bebey. We are
captivated to a greater extent by its subject-matter as a result of the plot
and ending of the novel. The introduction exposes us to the main character,
Mbenda, who is in full harmony with his kinsmen thanks to his bravery and
integrity. The end of story, on the contrary, depicts him as weakened and
disillusioned following his non-conformist attitude he shows through out his
actions. The disparity that is clearly observed between the two crucial stages
Mbenda has gone through, coupled with the ordeals suffered by characters who
happen to be unworthy and subversive, enables us to draw this logical
conclusion: the violation of married' laws is the root-cause of moral
degradation of characters. Such a situation undoubtedly calls for an urge for a
total and unconditional compliance with social laws and norms.
Since our discussion is centred around the assertion that
explains the phenomenon of transgression, we have endeavoured to look at it
from three dimensions: the ban, the violation and the consequence. We have,
furthermore, included the semiotic in the light of Greimas and the semiology of
Claude Bremond who contributed enormously to the explanation of the approach of
such a theme and the structural genetics that has helped to maintain authentic
fixed ideas in the novel, the traditional and belief of the author in
particular and the sawa people's tradition of Cameroon in general. Despite the
literal importance of our theme, its magnitude has been given an
anthropological impetus of transgression.
6vi
QUELQUES MOTS CLES
1- Mariage
2- Interdiction
3- Transgression / Violation
4- Conséquence / Sanction
5- Dégradation
6- Lois
7- Tradition
8- Valeurs / Règles
9- Personnages
10- Actions.
KEY WORDS
1-
7vii
Marriage
2- Ban
3- Disobedience / Violation
4- Consequence / Sanction
5- Degradation
6- Laws
7- Tradition
8- Values / Rules
9- Characters
10- Actions.
INTRODUCTION GENERALE.
8
9
Le style simple qui frise par moments le comique, c'est ce qui
a retenu notre attention dans Le Fils d'Agatha Moudio, un roman de
Francis Bebey. Loin de la syntaxe complexe et du vocabulaire recherché,
l'accessibilité à la sémantique du texte est d'une grande
facilité. Jamais une de nos lectures des oeuvres romanesques n'a permis
l'éloignement d'un support lexical qui permettrait de clarifier chaque
fois le sens des termes. Si tant est que le charme du style est
l'élément qui fonde l'intérêt pour ce corpus, deux
motifs sont à l'origine du sujet : La transgression des lois du mariage
dans Le Fils d'Agatha Moudio. D'abord, l'ambivalence de l'être
et du faire de Mbenda, le personnage principal, qui postule la transgression
comme un thème majeur de ce roman. Au lieu d'être l'incarnation de
la loi comme on pouvait s'y attendre, puisque son nom signifie « La Loi
»3, celui-ci s'affiche plutôt comme un
anti-loyaliste. Ensuite la nature de ses rapports avec les siens au
début et à la fin du récit, est une autre raison qui
justifie l'essence du thème de la transgression. Dès le
début de l'intrigue on peut entendre Mbenda, dont la bravoure et la
popularité attirent l'assentiment de tous, décrire ainsi sa
situation :
« Tous les habitants de notre village étaient
fiers de moi. Pensez donc : pour eux, [...] j'étais un fils de
Bilé, fils de Bessengué, j'étais un fils de ce village qui
comptait un certain nombre de faits glorieux dans son passé. Du reste,
depuis trois ou quatre ans, les yeux de tout le monde étaient
braqués sur moi [...] et j'étais en train d'entrer peu à
peu dans la légende... »4.
Ce passage démontre l'harmonie qui règne entre
le personnage et les siens dès le début de son aventure.
L'effritement de ce lien affectif l'amenuise et ceci à cause de son
attitude qui se révèle contradictoire avec l'ordre établi
dans la société du texte. Le principal motif de cette
dégradation est à rechercher dans la relation intime et coupable
qu'il entretient avec Agatha Moudio. La haine des autres à son
égard et surtout celle de Maa Médi, sa mère, prend un
goût amer lorsqu'il s'installe dans une vie maritale avec la fille
désavouée. Son divorce d'avec la communauté est alors
consommé, et la relation devient disjonctive. Mbenda décrit ainsi
la nature de leurs rapports à la fin de son parcours : «
Depuis, nous vivions tous les quatre, mes
3- « Mbenda », que ce soit dans le roman ou dans la
langue originelle de l'auteur, le duala , signifie « la loi ». Tout
comme dans le récit, nous allons par moment utiliser l'expression «
La Loi » pour désigner le personnage ainsi nommé.
4- Bebey, Francis, Le Fils d'Agatha Moudio,
Yaoundé, Editions Clé, 2001, P.20.
N.B.: Dans la suite de ce mémoire, nous citerons le
corpus à partir des initiales suivantes de son titre : FAM ; puis suivra
la page où la citation est extraite.
10
deux épouses, `'ma fille» et moi, tout le
monde nous évitait autant qu'il pouvait » (FAM, 169). La
déchéance dans laquelle il se retrouve démontre que le
dénouement du récit est une sanction qui réprimande une
attitude qui contraste avec l'ordre établi. Ainsi, la transgression se
présente comme un thème pertinent dans le corpus.
Nombreux sont les chercheurs qui approuvent cette idée,
si on s'en tient aux multiples critiques qui ont abordé ce sujet. Les
perspectives d'analyse diffèrent quelquefois. Josette Ackad qui y a
consacré une étude l'appréhende comme une séquelle
que la colonisation a léguée au continent noir :
« La société camerounaise, à
travers la littérature, apparaît tant avec les manifestations de
la vie quotidienne qu'avec les normes qui régissent la bonne marche de
toute la communauté. Le monde rural a donc ses interdits dont la
transgression expose toujours à des sanctions [...]. Il est donc
à noter que les différentes transgressions sont
consécutives à l'intrusion de la civilisation occidentale dans la
collectivité. » 5.
De façon générale, nombreux sont les
critiques qui s'accordent à reconnaître que les oeuvres de Francis
Bebey sont fortement imprégnées du mouvement colonial et de ses
manifestations. La thématique majeure de la quasi-totalité de sa
production romanesque a trait à la colonisation. Dominique Hoyet,
à cet effet, indique que : « Ses romans constituent autant de
témoignages sur l'Afrique précédent ou suivant
immédiatement l'indépendance, et s'attachent en particulier
à décrire les conséquences de la rencontre entre l'Europe
et le continent africain »6. L'analyse de ces deux
affirmations fait observer que les oeuvres de Bebey s'intéressent aussi
à « la critique des moeurs et des traditions
»7 ou à lire « Le Cameroun traditionnel
à travers le roman »8. Le résumé fait
à la quatrième de couverture de l'essai littéraire
intitulé Francis Bebey corrobore ce point de vue :
« Cet essai que David Ndachi Tagne consacre à
l'oeuvre romanesque de Francis Bebey se situe dans la même lignée
que l'ouvrage Roman et réalités camerounaises publié par
ce jeune critique aux éditions l'Harmattan en 1986. La lecture des
oeuvres est faite à
5- Ackad, Josette, Le Roman camerounais et sa critique,
Paris, Editions Silex, 1985, P.40.
6- Hoyet, Dominique, Francis Bebey, Paris, Nathan,
1979, P.25.
7- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités
camerounaises, Paris, L'Harmattan, 1986, P.56.
8- Ibid, P.63.
11
travers le prisme des réalités
sociopolitiques d'une Afrique en mutation et en proie à de multiples
convulsions »9.
Les chercheurs, surtout ceux des deux dernières
décennies, s'inscrivent dans la vision de la critique senghorienne qui
voudrait que les oeuvres africaines portent les marques de la
société nègre, que celle-ci soit traditionnelle ou
non10. Les Mémoires de Maîtrise11 de
Rémy Sylvestre Bouelet et de René Kowap intitulés
respectivement La Femme dans l'oeuvre de Francis Bebey et Francis Bebey et
le petit peuple s'inscrivent dans cette perspective. En traitant de la
thématique de la femme et du petit peuple, les auteurs de ces travaux
examinent l'existence de ces catégories sociales dans les romans de cet
auteur et établissent du même coup des comparaisons entre leur
vécu dans le cadre social et celui-ci dans l'univers romanesque. En un
mot, la plupart des chercheurs jusqu'ici ont fait une lecture strictement
socio-historique du Fils d'Agatha Moudio.
Notre analyse, même si elle ne minimise pas les
données historico-culturelles des faits sociaux de l'oeuvre, vise
prioritairement à étudier le phénomène de
transgression des valeurs liées au mariage. Ce phénomène
s'inscrit dans une dynamique où des personnages qu'on peut qualifier de
récalcitrants posent des actions qui leur sont préjudiciables.
Les déconvenues que subissent ces derniers amènent à
s'interroger sur l'origine de leurs sorts : pourquoi sont-ils frappés ?
L'examen des différents rôles actantiels permet de comprendre que
la transgression des lois du mariage est le motif de la dégradation des
personnages. Cette hypothèse révèle la
nécessité d'obéir à la norme sociale établie
dans sa communauté.
La focalisation du sujet sur le mariage est liée
à la prépondérance de ce thème dans le roman. Le
titre éponyme, dans une certaine mesure, en est déjà
révélateur. Il indique le rôle central de l'enfant dans la
dynamique du récit. En principe, l'enfant est la quête du
personnage principal Mbenda. En tant qu'unique « fruit » d'une veuve,
il n'a pour seul objectif que de fonder un foyer - c'est-à-dire se
marier - dans lequel il assurera l'extension de sa famille et la
9- Ndachi Tagne, David, Francis Bebey, Paris,
L'Harmattan, 1993, Quatrième de couverture.
10- Sédar Senghor, Léopold, OEuvre
poétique, Paris, Seuil, 1990, PP.369-408.
11- Cette désignation est en rapport avec
l'actualité. Il y a de cela quelques décennies qu'on parlait de
D.E.S. (Diplôme d'Etudes Supérieures) en lieu et place de la
maîtrise.
12
pérennité de la mémoire de son
défunt père. Nombreux sont les penseurs qui adhèrent
à cette position, au nombre desquels David Ndachi Tagne qui
déclare :
« Pour nombre de critiques - parmi lesquels le
Professeur Bernard Fonlon - la grande valeur du Fils d'Agatha Moudio qui obtint
le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire en 1968 réside dans
la révélation de la place de l'enfant dans nos
sociétés traditionnelles. `'Francis Bebey prouve, soutenait
Fonlon au cours d'une discussion, que chez nous, il n'y a aucune valeur
au-dessus de l'enfant, que ce soit la fortune ou le prestige.» Même
si dans cette oeuvre les enfants n'agissent pas concrètement, il demeure
qu'ils représentent le point de mire, l'objectif à atteindre.
C'est ce qui justifie le titre, résolument centré sur l'enfant.
Dans l'oeuvre, l'enfant constitue en effet une quête pour le jeune
Mbenda. Ayant perdu son père et vivant avec sa mère, il a pour
devoir de créer une famille et de pérenniser leur lignée.
»12
En circonscrivant notre analyse aux faits liés au
mariage, il est donc clair que si des personnages sont désavoués
dans le récit, c'est qu'ils ont violé des interdits se
référant à cette institution. Etant donné que c'est
une société traditionnelle qui est étudiée, les
lois examinées sont elles-mêmes traditionnelles. Cependant
l'analyse ne prend en compte que les éléments qu'offre le corpus.
Ainsi, elle n'assume pas toutes les données du mariage : elle ne
s'intéresse pas, par exemple, au veuvage.
Toutefois, il importe de signaler que le texte ne valorise pas
directement les lois identifiées. Il condamne les actes de violation.
C'est grâce à cette condamnation et aux interdits formulés
qu'on estime qu'il défend certaines valeurs. En clair, c'est parce que
le récit condamne l'infidélité, la fornication, la
frivolité, l'exogamie et la contestation du choix parental d'un conjoint
qu'on pense qu'il valorise la fidélité, la virginité de la
fiancée, la stabilité dans le flirt et le respect du choix
parental d'un conjoint. Il transparaît donc que l'étude se sert du
raisonnement par l'absurde pour opérer les démonstrations
nécessaires. C'est ce qui justifie les titres des chapitres qui
valorisent les lois relevées tandis que les sous-titres retracent les
procédés de violation. Cette démarche n'est pas
singulière à ce travail puisqu'elle est admise dans les milieux
scientifiques comme une méthode discursive.
La transgression peut donc être comprise comme une
« relation [...] qui lie la proposition cause à la proposition
effet »13. Elle s'inscrit dans la dynamique «
Interdiction - Violation - Conséquence. », étant
entendu que « la conséquence qui sanctionne
l'infraction
12- Ndachi Tagne, David, Roman et réalités
camerounaises, Op.Cit, P.126. 13 Bremond, Claude, Logique du
récit, Op.Cit, P.104.
13
[...] ouvre sur un réseau de possibles alternatifs
»14, (punition ou impunité). Notre analyse,
s'inscrivant dans cette démarche, se limite aux cas de punition.
L'objectif étant de sensibiliser les uns et les autres aux dangers
auxquels s'expose celui qui ne respecte pas les lois traditionnelles. La
corrélation des éléments de cette trilogie est telle que,
toute sanction présuppose un déclic qui est l'action
contrariante. En d'autres termes, « punir présuppose
pécher, qui présuppose interdire. »15
L'association à cette démarche des
modèles sémiotique de Greimas et sémiologique de Claude
Bremond d'une part, et du structuralisme génétique d'autre part,
permet d'enrichir l'analyse. La « critique de tendance greimassienne
»16 est indispensable dans la mesure où le sujet
invite à une évaluation des actions des personnages car le
programme narratif de cette orientation méthodologique « permet
d'appréhender la logique qui sous-tend le comportement d'un acteur
»17. Grâce à ses quatre séquences -
manipulation, compétence, performance et sanction - nous allons
évaluer les actions et les différents rôles actantiels. Car
ce programme a pour vocation de fixer les valeurs, de définir «
ce qui motive le personnage, quelles sont les normes et les individus qui le
font agir... »18. Au bout du compte, il permet
d'évaluer son succès ou son échec. Puisque la sanction qui
est la dernière séquence « permet de comparer les
valeurs réalisées et les valeurs proférées, de voir
comment et par qui est jugée l'action du sujet
»19.
Le modèle de Bremond, parce qu'il s'intéresse
aux « lois qui régissent l'univers raconté
»20 et à l'agencement des évènements
et actions dans un récit, nous aide à construire, quand c'est
possible, le processus de violation des interdits. L'exercice consiste à
s'enquérir des motivations du personnage, des aides dont il
bénéficie ou non, des méthodes
développées
14 - Ibid, P.76.
15 - Ibid, P.76.
16 - Jouve, Vincent, La Poétique du roman, Paris,
Armand Colin, 2000, P.51.
17 - Ibid, P.54.
18 - Ibid, P.54.
19 - Ibid, PP.54-55.
20 - Ibid, P.55.
14
pour opérer l'infraction. Ces deux approches permettent
une lecture véritablement immanente et structurale.
Cependant, l'obligation de rester accroché au texte
n'interdit pas d'établir un rapprochement entre l'intrigue et la
société car le sujet s'appuie sur une préoccupation
d'ordre anthropologique qui est la transgression. Les lois dont il est question
sont forcément inspirées par une réalité
culturelle. Dans le cas d'espèce, il s'agit de la culture africaine et
plus particulièrement, celle des Sawa du Cameroun, qui est le socle
traditionnel de l'auteur. Beaucoup d'indices dans le roman le
démontrent. Outre les faits de civilisation évoqués, on
peut citer les dénominations des personnages et des lieux qui renvoient
à des réalités concrètes. Dans le récit de
même qu'en duala (la langue traditionnelle de l'auteur), le nom
« Mbenda » signifie «la loi » (FAM, 15) ;
« Eboa », « la prison » (FAM, 120).
Un autre élément d'analogie c'est la
personnalité du personnage Eya. Il est présenté dans le
roman comme un terrible sorcier « dont on disait qu'il avait
supprimé un certain nombre de personnes » (FAM, 61). Francis
Bebey, dans son jeune âge a connu un certain Eya qui était un
redoutable sorcier. Il le déclare dans une interview qu'il a
accordée à Fred Hidalgo en 1981 : « Mais juste en face
[de notre maison], dans le village, habitait un homme qu'on appelait Eya
Moussé : c'était l'espèce de sorcier du village chez qui
les gens n'aimaient pas beaucoup aller, on disait qu'il était
responsable de nombreux décès dans la région...
»21.
Autre rapprochement, la scène de l'intrigue se passe en
Afrique, au Cameroun et plus précisément à Douala. Les
repères spatiaux tels que : « Yaoundé » (FAM,
195), « Douala » (FAM, 195), « L'estuaire du Wouri
» (FAM, 185), « Nord-Cameroun » (FAM, 195) ... le
justifient. Les rapports d'analogie entre l'oeuvre et la société
confortent la convocation du structuralisme génétique. Puisque
cette grille permet de démontrer l'ancrage des lois traditionnelles
identifiées, dans la société africaine en
général et Sawa en particulier.
L'ensemble de ces orientations méthodologiques et la
perspective thématique sur laquelle l'analyse se fonde, permettent de
structurer ce travail en deux parties. La première, subdivisée en
trois chapitres, porte sur la discipline des comportements sexuels
individuels. Nous nous intéressons ici aux lois qui donnent la
possibilité à un personnage de réguler lui-même sa
sexualité. D'abord, l'attention porte sur la stabilité dans
le flirt pour démontrer combien il est important d'éviter la
frivolité même dans une relation intime illégitime.
Ensuite,
21 - Centre Culturel Francais, Francis Bebey : Un homme du
monde, Douala, Centre Culturel Français, 2001, P.52.
15
l'analyse se penche sur la virginité de la
fiancée en vue de prouver que l'oeuvre condamne les rapports
sexuels avant le mariage. Enfin, notre regard s'intéresse à
la fidélité des époux dans le but de montrer que
le récit promeut cette attitude en réprimant l'inconstance des
mariés. Dans la deuxième partie intitulée
l'implication absolue de la communauté, les investigations sont
orientées vers les lois plus coercitives qui empêchent le
personnage de s'en dessaisir, faute de quoi il ne peut être marié.
Elle a deux chapitres. Dans le premier, les investigations démontrent
que le roman défend l'endogamie tandis que dans le second,
elles s'attardent sur le respect du choix des parents pour montrer les
inconvénients auxquels on s'expose lorsqu'on refuse d'épouser la
fille choisie par un ascendant.
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