B- Le contrôle judiciaire de l'action
discrétionnaire du Procureur
L'instauration d'un tel mécanisme a été
voulue par les Etats parties comme contrepartie au pouvoir d'initiative du
Procureur, afin notamment de garantir qu'aucune accusation ne soit
lancée sans motif valable, les craintes étant que le Procureur
soit soumis aux pressions politiques émanant notamment des organisations
non gouvernementales.
Certains Etats avaient d'ailleurs souhaité qu'un appel
puisse être interjeté à l'encontre des décisions
d'enquête et de poursuites du Procureur mais c'est finalement un
contrôle judiciaire a priori qui a été retenu. En effet, en
application de l'article 15 (3) du Statut : « s'il conclut qu'il y a une
base raisonnable pour ouvrir une enquête, le Procureur présente
à la Chambre préliminaire une demande d'autorisation en ce sens
accompagnée de tout élément justificatif recueilli ».
La Chambre préliminaire peut alors autoriser ou non l'ouverture d'une
enquête54.
La Chambre préliminaire est peu exigeante concernant
les éléments rapportés à ce stade par le Procureur
au soutien de sa demande proprio motu. Elle se borne à exiger
que ces éléments soient « complets » ou «
déterminants » compte tenu du stade procédural peu
avancé. Elle paraît effectuer un contrôle très
restreint précisant d'ailleurs qu'admettre à ce stade que les
éléments présentés par le Procureur constituent une
base raisonnable de penser qu'un crime relevant de la compétence de la
Cour a été commis, ne préjuge en rien de la suite.
Son appréciation est autonome. Et si dans sa
décision sur la situation au Kenya du 31 mars 2010, la chambre
préliminaire a jugé que la base raisonnable dont elle
était amenée à s'assurer de la
caractérisation55 recouvrait la même acception que
celle devant être prouvée par le Procureur56, elle a
précisé l'approche qu'il convenait d'avoir de certains
critères, complétant ainsi la lecture qu'en avait le Bureau du
Procureur.
Ainsi par exemple de la notion de gravité, la Chambre
jugeant dans la décision précitée que la gravité
des crimes peut être appréciée tant quantitativement que
qualitativement et que
54 Au sein du Tribunal pénal international pour l'ex-
Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Bureau
du Procureur est un organe distinct du Tribunal mais toute mise en accusation
proposée doit être soumise à un juge pour approbation. Le
pouvoir discrétionnaire du Procureur d'entamer des poursuites devant ces
tribunaux est donc également tempéré par un contrôle
judiciaire.
55 article 15-4
56 Article 15-3 et 53-1
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« sur le plan qualitatif, ce n'est pas le nombre de victimes
qui importe, mais plutôt l'existence de certains facteurs aggravants ou
qualitatifs liés à la commission des crimes qui font qu'ils sont
graves ».
De plus, la Chambre a circonscrit dans le temps, la
période pour laquelle elle autorisait le Procureur à
enquêter alors même que celui-ci était approximatif dans sa
demande se bornant à citer des évènements commis en 2007
et en 200857. Enfin la Cour n'a pas hésité à
préciser le champ matériel possible pour l'enquête,
à savoir, les seuls crimes contre l'humanité visés dans la
demande du Procureur58.
Le contrôle judiciaire s'exerce sur le pouvoir
discrétionnaire du Procureur d'ouvrir une enquête d'initiative
mais pas dans ce seul cas de figure. Ainsi, lorsque le Procureur décide
de ne pas ouvrir d'enquête ou de ne pas poursuivre et qu'il s'agit d'une
situation déférée par le Conseil de sécurité
ou par un Etat partie, le Conseil ou l'Etat partie peut saisir la Chambre
préliminaire afin qu'elle examine cette décision. La Chambre peut
éventuellement demander au Procureur de la reconsidérer.
La Chambre préliminaire peut également
contrôler d'office les décisions de ne pas enquêter ou de ne
pas poursuivre du Procureur prises sur le seul fondement des
intérêts de la justice ainsi qu'en dispose l'article 53-3 (b) du
Statut.
Dans la mise en oeuvre de sa marge d'appréciation, le
Procureur est donc incontestablement soumis au respect de la règle de
droit. L'enserrement de ses décisions dans des critères
étroits dont il assure l'application et dont il contribue avec la
Chambre préliminaire à fixer les contours, confirme qu'il est en
situation de pouvoir discrétionnaire et jamais d'arbitraire. En
l'état du nombre réduit de décisions judiciaires
l'autorisant à enquêter et en l'absence de décision
judiciaire relative à un refus du Procureur d'enquêter ou de
poursuivre, son pouvoir discrétionnaire n'apparaît pas
entamé. De l'intensité du contrôle judiciaire sur ses
décisions dépendra en effet, l'étendue de son pouvoir
discrétionnaire car ainsi que le formule le Professeur CHAPUS, « au
fur et à mesure que s'accroît le contrôle du juge,
l'opportunité
57 La Chambre a ainsi fixé une période comprise
entre le 1er juin 2005 date à laquelle le Statut est
entré en vigueur pour le Kenya et le 26 novembre 2009, date à
laquelle le Procureur a déposé sa demande d'autorisation à
la Cour.
58 Le Juge Hans-Peter KAUL a émis une opinion
dissidente considérant que la Chambre aurait dû refuser
d'autoriser le Procureur à ouvrir une enquête. Le juge s'est
principalement fondé sur le fait que
les actes qui ont été commis sur le territoire
de la République du Kenya ne constituaient pas selon lui, des crimes
contre l'humanité relevant de la compétence de la Cour.
s'échappe59 È.
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59 In CHAPUS (R), op.cit p. 1058
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