3 - CONCLUSION GÉNÉRALE
3.1 - Retour sur l'hypothèse
Notre travail de recherche, nous a permis de confronter les
auteurs mobilisés dans le cadre théorique de notre étude
et la parole des professionnels de santé interrogés afin de
répondre à l'hypothèse posée :
« L'absence de réglementation consensuelle sur le
téléphone portable à l'hôpital rend possible une
moindre séparation entre la vie professionnelle et la vie privée
; elle laisse les soignants relativement libres de déterminer l'usage
qu'ils en font. »
L'analyse des données produites par ce croisement
semble montrer que la législation actuelle sur le
téléphone portable à l'hôpital n'est
assimilée ni par les soignants, ni par les cadres de santé
interrogés. Il nous parait également que le personnel
d'encadrement de l'hôpital ne cherche pas à s'appuyer sur la
circulaire de 1995 pour faire respecter l'interdiction de l'usage du
téléphone mobile. Dès lors nous pouvons supposer qu'elle
ne répond plus aux enjeux actuels de diffusion massive des
téléphones portables dans la société et de
l'importance que cet outil de communication a pris chez leurs utilisateurs.
Cela conforte ce qui avait été pressenti dans l'enquête
exploratoire et rejoint les observations du comité d'évaluation
et de diffusion des innovations technologiques de l'AP-HP, qui, dans ses
recommandations de 2003, dénonçait déjà
l'obsolescence de cette circulaire169. Ce non-respect de la
réglementation semble avoir permis le développement de l'usage du
téléphone par le personnel hospitalier au travail.
L'enquête nous révèle également que
l'usage du téléphone mobile pendant le travail à
l'hôpital joue un rôle prégnant de réassurance pour
le personnel interrogé. Cette réassurance, essentiellement
orientée vers la famille nous conforte dans l'idée qu'elle
constitue une diminution de la frontière entre la vie privée et
la vie professionnelle. Qu'il s'agisse de garder le lien avec leurs proches ou
de recourir à internet pour
169 Op. Cit. CEDIT - AP-HP, 2003.
101
consulter des données à titre personnel,
l'analyse des entretiens nous permet de confirmer notre hypothèse : les
soignants interrogés font usage de leur téléphone portable
en lien avec leur vie privée pendant le travail selon leur libre
arbitre, en s'affranchissant d'une circulaire que l'institution
hospitalière ne cherche plus à faire respecter.
3.2 - Mise en perspective professionnelle
L'objectif poursuivi dans ce travail de recherche était
de déterminer comment les soignants concilient l'usage de leur
téléphone mobile avec l'activité de soin alors que nous
avons vu qu'une circulaire recommande de ne pas en faire usage dans les
hôpitaux. L'analyse des entretiens a permis de mettre en évidence
plusieurs problèmes auxquels ont à faire face les cadres de
santé.
D'une part le téléphone mobile présente
un risque pour la qualité et la sécurité des soins
identifiées à la fois par les cadres et le personnel soignant.
Risque lié à l'hygiène mais aussi à la
déconcentration que l'usage du portable peut entrainer chez les
soignants. Les cadres de santé sont garants de la qualité et de
la sécurité des soins dispensés à la personne
soignée et à ce titre ont toute la légitimité pour
mettre en oeuvre des actions qui permettent de respecter ces principes de
qualité et de sécurité des soins inscrits dans la loi
Hôpitaux Patient Santé Territoire (HPST) n°2009-879 du 21
juillet 2009. Celle-ci a été encore renforcée par le
Décret n° 2010-1408 du 12 novembre 2010 relatif à la lutte
contre les événements indésirables associés aux
soins dans les établissements de santé. Le cadre de santé
doit veiller au respect des procédures d'hygiène et à
l'application des protocoles. Il doit également s'assurer que le
personnel travaille dans des conditions qui garantissent la
sécurité du patient.
D'autre part, l'enquête exploratoire a montré
qu'il existe un risque éthique par un usage irraisonné du
téléphone mobile. Nous évoquions alors le cas de
déficits cognitifs ne permettant pas à la personne soignée
de se rendre compte de la manière dont elle est respectée.
Les cadres de santé interrogés dans
l'enquête ont conscience de certains risques occasionnés par la
présence du téléphone mobile. Ils interviennent au coup
par coup en fonction des situations mais il nous semble que
l'hétérogénéité des pratiques dans un
102
même établissement devrait faire l'objet d'une
réflexion plus globale au coeur de l'institution afin qu'un consensus
sur les règles en matière d'utilisation et d'interdiction du
téléphone portable soit clairement établi et connu de
tous. En effet, à l'heure où les procédures de soins sont
de plus en plus encadrées et standardisées afin de
répondre à des critères de performance et d'efficience,
nous nous étonnons de constater que la pratique du
téléphone portable à l'hôpital ne fasse plus l'objet
d'une réglementation claire et uniforme qui permette à chacun des
acteurs (soignants et cadres) de savoir à quel niveau placer le curseur
de ce qui est tolérable ou ne l'est pas. De plus l'absence de
règle formelle ne permet pas le contrôle social que chacun exerce
sur l'autre dans une organisation. Pourtant, ce contrôle social par les
pairs permet souvent d'éviter au personnel d'encadrement de rappeler
sans cesse la règle aux agents dont il a la responsabilité. En
effet, une règle connue de tous peut entrainer une autocensure de ceux
qui seraient tentés de l'enfreindre, par le simple regard de l'autre et
la pression du groupe de référence170.
Dans ce contexte d'évolution culturelle de la
société qui a fait entrer le téléphone portable
à l'hôpital et dans le but d'améliorer la performance de
l'hôpital et le service rendu à l'usager, il nous semble que le
cadre de santé pourrait remonter l'information de cette
problématique à sa hiérarchie et aux instances de
l'établissement (comité d'hygiène, de
sécurité et des conditions de travail ; commission de soins
infirmier de rééducation et médicotechnique, comité
d'éthique, comité de lutte contre les infections nosocomiales).
Cela permettrait d'engager la réflexion à l'échelle de
l'établissement et de définir des actions concertées pour
permettre ensuite à l'encadrement de proximité de prendre appui
sur des bases fixées institutionnellement. Qu'elles prennent la forme
d'une charte ou soit l'objet d'un avenant au règlement intérieur,
l'existence même d'une norme d'usage permettrait d'offrir une
lisibilité à tous de ce qui est permis et de ce qui ne l'est
pas.
Pour autant, comme nous l'avons vu dans l'analyse, les cadres
de santé ne sont pas démunis de marge d'action locale pour
infléchir la tendance d'usage du téléphone mobile par les
soignants. Ainsi, nous pouvons élaborer une sensibilisation du personnel
par l'affichage d'articles et d'études qui montrent les risques
liés à l'utilisation de ces appareils, tels que ceux que nous
évoquions dans notre cadre conceptuel. Mais le levier
170 Cohen-Scali V. , Sociologie des organisations, cours
de master 1 , UCBN Caen, 2011.
103
le plus important à notre avis est de sensibiliser
toute nouvelle recrue et stagiaire accueillie dans le service en lui
spécifiant les règles à respecter en matière
d'usage du téléphone portable pendant le temps de travail.
L'exemplarité du cadre, en la matière est évidemment
nécessaire.
Il nous semble également qu'un cadre de santé
rompu à l'analyse des pratiques professionnelles pourrait utiliser ce
levier pour faire réfléchir les équipes et remettre en
question les professionnels sur leurs comportements et leurs pratiques
d'utilisation du téléphone portable pendant le travail. Le besoin
de réassurance légitime vis-à-vis de leur famille ne doit
pas pour autant être nié par le cadre et pour combler ce besoin il
n'est pas inutile de rappeler que le téléphone du service reste
un moyen d'être joignable en cas d'urgence personnelle.
L'enquête révèle également la
prégnance d'utilisation du téléphone portable chez les
jeunes professionnels diplômés ou en devenir, pour qui il est
particulièrement intégré à leur mode de vie.
Là aussi le cadre de santé peut s'appuyer sur son rôle
pédagogique pour susciter la réflexion et donner du sens au
travail mais il doit également affirmer clairement son positionnement
pour les aider à intégrer leur posture et leur identité
professionnelle encore en construction.
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