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Les soignants et leur téléphone portable à  l'hôpital

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par Frédéric GRIPON
Université de Caen Basse- Normandie - Master 1 des sciences de l'éducation option éducation, mutations, formation 2012
  

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3 - CONCLUSION GÉNÉRALE

3.1 - Retour sur l'hypothèse

Notre travail de recherche, nous a permis de confronter les auteurs mobilisés dans le cadre théorique de notre étude et la parole des professionnels de santé interrogés afin de répondre à l'hypothèse posée :

« L'absence de réglementation consensuelle sur le téléphone portable à l'hôpital rend possible une moindre séparation entre la vie professionnelle et la vie privée ; elle laisse les soignants relativement libres de déterminer l'usage qu'ils en font. »

L'analyse des données produites par ce croisement semble montrer que la législation actuelle sur le téléphone portable à l'hôpital n'est assimilée ni par les soignants, ni par les cadres de santé interrogés. Il nous parait également que le personnel d'encadrement de l'hôpital ne cherche pas à s'appuyer sur la circulaire de 1995 pour faire respecter l'interdiction de l'usage du téléphone mobile. Dès lors nous pouvons supposer qu'elle ne répond plus aux enjeux actuels de diffusion massive des téléphones portables dans la société et de l'importance que cet outil de communication a pris chez leurs utilisateurs. Cela conforte ce qui avait été pressenti dans l'enquête exploratoire et rejoint les observations du comité d'évaluation et de diffusion des innovations technologiques de l'AP-HP, qui, dans ses recommandations de 2003, dénonçait déjà l'obsolescence de cette circulaire169. Ce non-respect de la réglementation semble avoir permis le développement de l'usage du téléphone par le personnel hospitalier au travail.

L'enquête nous révèle également que l'usage du téléphone mobile pendant le travail à l'hôpital joue un rôle prégnant de réassurance pour le personnel interrogé. Cette réassurance, essentiellement orientée vers la famille nous conforte dans l'idée qu'elle constitue une diminution de la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle. Qu'il s'agisse de garder le lien avec leurs proches ou de recourir à internet pour

169 Op. Cit. CEDIT - AP-HP, 2003.

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consulter des données à titre personnel, l'analyse des entretiens nous permet de confirmer notre hypothèse : les soignants interrogés font usage de leur téléphone portable en lien avec leur vie privée pendant le travail selon leur libre arbitre, en s'affranchissant d'une circulaire que l'institution hospitalière ne cherche plus à faire respecter.

3.2 - Mise en perspective professionnelle

L'objectif poursuivi dans ce travail de recherche était de déterminer comment les soignants concilient l'usage de leur téléphone mobile avec l'activité de soin alors que nous avons vu qu'une circulaire recommande de ne pas en faire usage dans les hôpitaux. L'analyse des entretiens a permis de mettre en évidence plusieurs problèmes auxquels ont à faire face les cadres de santé.

D'une part le téléphone mobile présente un risque pour la qualité et la sécurité des soins identifiées à la fois par les cadres et le personnel soignant. Risque lié à l'hygiène mais aussi à la déconcentration que l'usage du portable peut entrainer chez les soignants. Les cadres de santé sont garants de la qualité et de la sécurité des soins dispensés à la personne soignée et à ce titre ont toute la légitimité pour mettre en oeuvre des actions qui permettent de respecter ces principes de qualité et de sécurité des soins inscrits dans la loi Hôpitaux Patient Santé Territoire (HPST) n°2009-879 du 21 juillet 2009. Celle-ci a été encore renforcée par le Décret n° 2010-1408 du 12 novembre 2010 relatif à la lutte contre les événements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé. Le cadre de santé doit veiller au respect des procédures d'hygiène et à l'application des protocoles. Il doit également s'assurer que le personnel travaille dans des conditions qui garantissent la sécurité du patient.

D'autre part, l'enquête exploratoire a montré qu'il existe un risque éthique par un usage irraisonné du téléphone mobile. Nous évoquions alors le cas de déficits cognitifs ne permettant pas à la personne soignée de se rendre compte de la manière dont elle est respectée.

Les cadres de santé interrogés dans l'enquête ont conscience de certains risques occasionnés par la présence du téléphone mobile. Ils interviennent au coup par coup en fonction des situations mais il nous semble que l'hétérogénéité des pratiques dans un

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même établissement devrait faire l'objet d'une réflexion plus globale au coeur de l'institution afin qu'un consensus sur les règles en matière d'utilisation et d'interdiction du téléphone portable soit clairement établi et connu de tous. En effet, à l'heure où les procédures de soins sont de plus en plus encadrées et standardisées afin de répondre à des critères de performance et d'efficience, nous nous étonnons de constater que la pratique du téléphone portable à l'hôpital ne fasse plus l'objet d'une réglementation claire et uniforme qui permette à chacun des acteurs (soignants et cadres) de savoir à quel niveau placer le curseur de ce qui est tolérable ou ne l'est pas. De plus l'absence de règle formelle ne permet pas le contrôle social que chacun exerce sur l'autre dans une organisation. Pourtant, ce contrôle social par les pairs permet souvent d'éviter au personnel d'encadrement de rappeler sans cesse la règle aux agents dont il a la responsabilité. En effet, une règle connue de tous peut entrainer une autocensure de ceux qui seraient tentés de l'enfreindre, par le simple regard de l'autre et la pression du groupe de référence170.

Dans ce contexte d'évolution culturelle de la société qui a fait entrer le téléphone portable à l'hôpital et dans le but d'améliorer la performance de l'hôpital et le service rendu à l'usager, il nous semble que le cadre de santé pourrait remonter l'information de cette problématique à sa hiérarchie et aux instances de l'établissement (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; commission de soins infirmier de rééducation et médicotechnique, comité d'éthique, comité de lutte contre les infections nosocomiales). Cela permettrait d'engager la réflexion à l'échelle de l'établissement et de définir des actions concertées pour permettre ensuite à l'encadrement de proximité de prendre appui sur des bases fixées institutionnellement. Qu'elles prennent la forme d'une charte ou soit l'objet d'un avenant au règlement intérieur, l'existence même d'une norme d'usage permettrait d'offrir une lisibilité à tous de ce qui est permis et de ce qui ne l'est pas.

Pour autant, comme nous l'avons vu dans l'analyse, les cadres de santé ne sont pas démunis de marge d'action locale pour infléchir la tendance d'usage du téléphone mobile par les soignants. Ainsi, nous pouvons élaborer une sensibilisation du personnel par l'affichage d'articles et d'études qui montrent les risques liés à l'utilisation de ces appareils, tels que ceux que nous évoquions dans notre cadre conceptuel. Mais le levier

170 Cohen-Scali V. , Sociologie des organisations, cours de master 1 , UCBN Caen, 2011.

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le plus important à notre avis est de sensibiliser toute nouvelle recrue et stagiaire accueillie dans le service en lui spécifiant les règles à respecter en matière d'usage du téléphone portable pendant le temps de travail. L'exemplarité du cadre, en la matière est évidemment nécessaire.

Il nous semble également qu'un cadre de santé rompu à l'analyse des pratiques professionnelles pourrait utiliser ce levier pour faire réfléchir les équipes et remettre en question les professionnels sur leurs comportements et leurs pratiques d'utilisation du téléphone portable pendant le travail. Le besoin de réassurance légitime vis-à-vis de leur famille ne doit pas pour autant être nié par le cadre et pour combler ce besoin il n'est pas inutile de rappeler que le téléphone du service reste un moyen d'être joignable en cas d'urgence personnelle.

L'enquête révèle également la prégnance d'utilisation du téléphone portable chez les jeunes professionnels diplômés ou en devenir, pour qui il est particulièrement intégré à leur mode de vie. Là aussi le cadre de santé peut s'appuyer sur son rôle pédagogique pour susciter la réflexion et donner du sens au travail mais il doit également affirmer clairement son positionnement pour les aider à intégrer leur posture et leur identité professionnelle encore en construction.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote