3.4 - L'équipe et le portable
Pour enrichir notre recueil de données, nous avons
demandé aux personnes interrogées de nous expliquer comment les
autres membres de l'équipe utilisent leur téléphone
portable. Pour Michel quelques agents laissent leur téléphone au
vestiaire, mais la plupart l'ont sur eux en mode sonnerie dans son service et
répondent quand il y a un appel. Pour Laure, c'est le mode vibreur qui
serait utilisé par les agents. Les trois interviewés signalent
des comportements d'usage inadaptés, pendant les soins ou encore les
transmissions, mais là encore c'est dans le service de psychiatrie que
la problématique semble la plus répandue. Toutefois, les cas
relatés concernent chaque fois un agent en particulier dans des
situations qui ne correspondent pas à l'usage de l'ensemble de
l'équipe. Tous évoquent les tensions que ces usages marginaux
peuvent générer dans l'équipe.
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3.5 - Génération Y
Il semble qu'il y ait un effet de génération
entre les utilisateurs de téléphone mobile. En effet, les trois
personnes interrogées évoquent un phénomène d'usage
prépondérant chez les jeunes de moins 30 ans tandis que les
anciens « vers 50-60 ans » ne l'utilisent pas dans le service de
Laure. Michel pense même qu'il y a un conflit de valeurs sur les usages
du mobile entre les nouvelles générations de professionnels et
les plus anciens pouvant entrainer des conflits. Pour François, les
jeunes qui ont des Smartphone consulteraient leurs réseaux sociaux
pendant le travail.
3.6 - Qualité et sécurité des
soins
L'utilisation du téléphone mobile parait
impacter la qualité et la sécurité des soins. Elle est
mise en question par les deux cadres de santé mais pour des raisons
différentes. Michel considère que l'utilisation du portable rend
les soignants moins disponibles car ils s'isolent pour téléphoner
et cela entraine des problèmes de sécurité liés
à son secteur d'activité. Tandis qu'Laure met en avant un risque
lié à l'hygiène. François ne perçoit pas de
risque mais au contraire considère que le téléphone
portable peut-être une ressource utile dans son activité de soin.
Enfin Michel relève aussi un risque lié à la
confidentialité par la diffusion d'informations sur les réseaux
sociaux.
3.7 - Réglementation et positionnement
hiérarchique
La connaissance de la réglementation n'est pas
homogène parmi les personnes interrogées et le positionnement du
cadre de santé parait parfois difficile faute d'une cohérence
institutionnelle. Ainsi Michel a un positionnement réflexif et
pédagogique sur l'usage du portable. Il a déjà fait preuve
d'autorité pour faire cesser des pratiques qu'il considère non
respectueuses du patient. Il se plaint de ne pas avoir suffisamment d'influence
sur l'équipe pour régler cette problématique du fait de
l'absence de règlement intérieur et de politique
institutionnelle. Il dénonce également une
hétérogénéité des pratiques dans son
établissement et une absence de consensus sur la stratégie
à adopter de la part de l'encadrement supérieur. En effet,
certains considèrent que l'interdiction serait « une atteinte
à la liberté » et le directeur des soins n'a pas
statué sur la question. D'après Michel, les cadres
supérieurs auraient un raisonnement
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basé sur leur propre rapport au téléphone
mobile. Par ailleurs, selon lui, la circulaire actuelle n'est pas
adaptée pour interdire l'usage des mobiles dans son service puisque la
psychiatrie ne présente pas de dispositif sensible aux ondes
émises par ces appareils.
Dans leur management, les deux cadres appellent volontiers les
agents sur leur téléphone portable pour des ajustements de
planning. Celui-ci permettrait de joindre plus facilement les agents.
Laure ne connait pas la réglementation et avoue ne pas
avoir cherché à savoir s'il en existe une. Elle s'est
informée auprès de son cadre supérieur qui
considère que le personnel ne doit pas l'avoir dans la poche.
François pense que l'usage est toléré
mais risque de bientôt être interdit à la suite des
polémiques que cela suscite dans son service.
Ces trois entretiens semblent également mettre à
jour une différence statutaire dans la gestion des communications
personnelles. Les cadres de santé disposent tous deux d'un bureau qui
constitue un espace « privé » de travail dans lequel ils ont
une ligne téléphonique qui leur est propre et leur permet
d'être facilement joignable, contrairement à l'aide-soignant.
Michel a d'ailleurs donné le numéro de sa ligne directe à
ses proches.
Ces données recueillies permettent d'élargir
notre question de départ. Nous nous interrogeons sur l'usage réel
du téléphone portable par les soignants et les cadres, puisqu'il
semble qu'il n'y ait une difficulté à trouver un accord sur la
régulation de cette pratique. Nous nous demandons également en
quoi l'usage du téléphone portable est en lien avec la vie
privée. Cet usage au travail reflète-t-il l'usage qui en est fait
dans le privé ? A travers le téléphone portable, est-ce la
vie privée qui entre au travail et quels effets cela peut-il produire
sur l'activité de soin ?
Nous allons maintenant exposer le cadre conceptuel pour
découvrir ce que la littérature scientifique, médiatique
et professionnelle nous apprend de la téléphonie mobile et ses
enjeux pour le secteur hospitalier.
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