2.2.4 - La recherche d'un espace d'intimité pour
les communications privées orales
L'utilisation du téléphone portable au travail
entraine des stratégies de mise en retrait de leur environnement de
travail pour pouvoir se consacrer à la communication
téléphonique orale. Elles les conduisent à s'isoler dans
différents lieux pour retrouver l'intimité d'une relation
personnelle comme le fait Chloé :
« Oui, je m'isole toujours pour
téléphoner, je sors toujours de salle [...] Je vais sortir cinq
minutes pour écouter, ou même pas, une minute [...] Dans le
vestiaire, je trouve 5 minutes pour sortir et appeler. »
Ou encore Carine : « je m'isole soit au vestiaire
soit en salle de pause et je fais ça comme ça. [...] pour qu'on
m'entende pas, voilà, ma conversation pour prendre rendezvous chez le
coiffeur ou le médecin ça n'intéresse pas euh,
voilà et puis pour pas non plus le faire devant les patients quoi
voilà. Je n'ai pas envie que mes collègues ou les patients disent
"ah ben elle appelle, elle passe des coups de fils sur son temps de travail
voilà" des choses comme ça. » La crainte d'un jugement
exprimée par Carine semble rejoindre l'analyse de Stéphana
Broadbent concernant les appels privés au travail : « Les appels
privés cassent le contrat social qui oblige le travailleur à
consacrer, en échange d'une rémunération, une attention
complète à ses tâches. Toute infraction à ce
principe doit être sanctionnée. Le téléphone mobile,
parce qu'il se fait remarquer, rend les écarts d'attention
extrêmement visibles, bien plus que le fait de rêvasser ou bavarder
avec des collègues150. »
Et Laurent: « Oh souvent à l'extérieur,
je préviens mes collègues que je sors deux minutes et je vais
dehors euh à l'endroit où l'on fume pour pouvoir parler un peu
tranquillement quoi.[...] Bah pour pas être écouté par
euh... Enfin, c'est personnel donc euh »
Selon S. Broadbent « Quand les employés
téléphonent sur le lieu de travail, ils violent la
séparation entre la sphère privée et la sphère
professionnelle. Ils défient le principe historique du cloisonnement
entre les deux espaces151. » Nous pouvons comprendre dès
lors que les soignants recherchent un espace discret qui permette une
150 Op. Cit. Broadbent S. , 2011, p.115.
151 Ibidem.
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mise en suspend de leur identité "individu travail" le
temps d'une communication téléphonique privée. D'autant
que l'auteure explique ce qui se joue lors de ces appels : « les gens
montrent "les coulisses" de leur vie, ils révèlent leur personne
privée à travers leurs intonations, le choix de leurs mots, les
thèmes abordés. C'est un peu comme voir ses collègues en
pyjama152. » Cette recherche d'intimité dans le contexte
d'une communication privée n'est pas l'apanage de la
téléphonie mobile et Laurent se remémore qu'il
procédait de même quand il utilisait la ligne fixe du service pour
ce type de communication :
« C'est des choses qu'on faisait même avant
avec un téléphone fixe, sauf qu'on ne sortait pas. On s'isolait
peut-être dans un bureau. »
Le téléphone mobile ne serait pas alors un
facteur de recherche d'isolement plus important qu'auparavant, lorsque la ligne
fixe du travail était utilisée. En revanche, nous mesurons
combien la possibilité d'utiliser un outil personnel démultiplie
les occasions d'en faire usage puisqu'ils sont joignables plus facilement et
échappent au contrôle de l'employeur en n'utilisant plus la ligne
téléphonique de l'établissement. Le contrôle social
se révèle moins grand et entraine dès lors une plus grande
liberté d'usage.
Mais en fonction du contexte de travail et de la typologie des
patients, la mise en retrait n'est pas toujours possible. Pour Samia, la
surveillance constante en salle de réveil ne lui permet pas de pouvoir
s'absenter pour s'isoler et la conduit à téléphoner depuis
son poste de travail :
« Du fait que c'est de la surveillance, je garde
quand même un oeil sur les patients. [...] Je garde un oeil dessus tout
en ayant ma conversation. »
Elle ne renonce pas à communiquer, bien que les
patients se trouvent à proximité. Ces patients à la
conscience altérée, lui permettent de mener une conversation
privée dans leur environnement proche. En revanche elle ne souhaite pas
être vue et entendue de ses collègues sans qu'elle précise
si c'est pour ne pas qu'ils soient témoins de contenu de la conversation
ou simplement parce que son comportement pourrait être jugé
inadapté.
152 Ibidem.
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