Partie 3- Le web-documentaire historique : quel impact
sur la mémoire collective et sur la transmission du savoir ?
« Les ordinateurs n'ont pas qu'un impact sur les
domaines scientifiques et informatiques. Ils sont en train de
révolutionner la façon même dont notre civilisation
crée,emmagasine et transmet le savoir. »112
La mémoire historique d'un individu et celle d'une
société se construisent simultanément mais selon des
processus distincts. Les médias ont un rôle à jouer dans
ces processus. Ils construisent des modes de pensée particuliers et
influencent fortement les comportements des individus. Ils proposent
également des formes de transmission du savoir différents selon
la nature et le contexte socio-historique du média. Le web-documentaire
historique propose t-il un nouveau modèle de transmission du savoir ?
Est-il au coeur d'une évolution majeure de nos pratiques culturelles et
informatives ? De telles questions doivent être posées au cours de
cette partie. Nous pensons que les pratiques médiatiques nouvelles
nées de l'émergence du webdoc historique sont à la source
d'un renouvellement de nos manières de penser l'Histoire et de se
souvenir.
3.1- Le web-documentaire historique, un média du
souvenir
3.1.1- L'histoire dans la société et dans les
médias : l'objectif, c'est l'avenir.
Marc Ferro souligne dans son article, Les oublis de
l'Histoire113, que le XV ème siècle est un
siècle charnière de l'évolution des représentations
de l'Histoire. Elle devient une passion commune et commence « à
exercer des fonctions qu'elle a souvent gardées, la glorification de la
patrie, la légitimation des institutions et de l'Etat. Là encore,
l'objet est certes le passé, mais l'objet est l'avenir ».
Parler en ces termes de l'Histoire, c'est lui accorder une certaine
fonction sociale. Bien qu'érigée en science sociale au cours du
XIX ème siècle, l'Histoire a toujours suscité
débats et polémiques. Nous pouvons même avancer qu'il
s'agit d'une des caractéristiques de cette discipline : elle suscite un
certain engouement qui parfois la dépasse. Ce n'est pas la
littérature qui va prêcher le contraire tant les exemples de
romans ou poèmes historiques sont légions. Alexandre Dumas,
Flaubert, Victor Hugo ont tracé un sillage dans lequel se sont inscrits
de nombreux auteurs à succès.
112 VANDENDORPE, Christian, Du papyrus à l'hypertexte,
op cit.
113 FERRO, Marc, Les oublis de l'Histoire, dans
Communications n°49, La mémoire et l'oubli, Seuil, 1989
Anatole France décrit dans Les dieux ont soif
en 1912 la Terreur à Paris. Mais nous pouvons surtout citer des
auteurs comme Jacques Laurent ainsi que le couple Anne et Serge Golon qui on
respectivement signé les deux premiers grands succès de la
littérature historique au milieu des années 50 avec Caroline
chérie et Angélique, marquise des Anges. Ce dernier
connaîtra un succès fantastique avec près de cent millions
de lecteurs. L'oeuvre de Maurice Druon, Les Rois maudits, fait partie
également de cette époque glorieuse pour le roman historique. Cet
attrait pour l'Histoire est encore prégnant au XXI ème
siècle. Ce sont notamment les médias qui portent cet engouement.
Des émissions telles que "La marche de l'histoire" (France Inter) ou
"Les secrets de l'Histoire" (France 2) sont des succès très
importants en terme d'audience. L'émission de Stéphane Berne a
réalisé de très bons résultats au cours du mois de
juillet114. Le 21 jui 2012 Delphine Le Goff115 estime
même, au regard des résultats, que l'Histoire est un secteur
porteur pour les titres du magazine papier. Elle souligne notamment
l'émergence de nouveaux titres tels que Figaro Histoire ou Géo
Historie. Quelque soit le média, l'Histoire connaît un
succès conséquent bien qu'il soit porté par seulement
quelques titres ou émissions.
Cet attrait est donc le signe que l'Histoire est doté
d'une fonction sociale propre. Dans cette optique les différents
médias jouent un rôle décisif. Ils font le lien entre la
population et l'Histoire. Isabelle Veyrat-Masson afirme que
« la télévision historique constitue un instrument plus
amples, plus fondamental, un mode de communication fonctionnant en rituel
social permettant aux individus de se situer au delà de leur
individualité, comme être collectif »116. Elle
cite également la notion proposée par John Hartley et John Fiske
de « fonction bardique » de la télévision dont le
programme historique serait un symbole. « Le barde, comme la
télévision est un ''médiateur de langage'Ç il
compose, à partir des mots communs, des images structurées
destinées à communiquer et à renforcer auprès des
membres de sa communauté culturelle une version forte d'elle même
»117. Le succès de l'Histoire
médiatisée s'inscrit donc dans une optique sociale
extrêmement intéressante. Il participe de la formation d'une
communauté ou plutôt d'une représentation de
communauté. Dès lors, le passé est un source d'avenir pour
la communauté qui se reconnaît des visées communes à
travers certains rituels comme celui de la médiatisation de
l'Histoire.
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