2.1.2- L'appropriation du web documentaire par les
internautes
Au delà de la manipulation du dispositif, le lecteur,
pour prendre réellement sa place, doit s'approprier le webdoc
historique. C'est donc cette démarche d'appropriation qui est l'objet de
notre réflexion. Cette appropriation est commandée par la logique
du choix. L'internaute est toujours soumis à un choix qui conditionne sa
lecture et ainsi son appropriation du document. La dimension temporelle est
fondamentale pour penser la démarche d'appropriation. Les liens passeur
qui structurent le webdoc historique mènent l'internaute vers le monde
de l'urgence. Se développe chez les personnes interrogées une
certaine crainte de ne pas tout voir, de ne pas tout comprendre. Au sein du
web-documentaire se côtoient le temps court et le temps long. Le premier
se réfère aux différents liens passeur qui incitent
à changer de page ou de contenu et qui inscrivent ainsi l'internaute
dans une logique de zapping. Il s'agit d'ailleurs d'un temps marqué par
la discontinuité. Le second est matérialisée par les
différents signes du paratexte. La plupart des vidéos des webdocs
sont accompagnées d'une frise horizontale qui indique la durée de
la vidéo et le temps qui passe. Ce temps continu est souvent long
puisque ce sont des témoignages ou des images d'archive qui ne sont pas
coupées au montage. L'appropriation du webdoc historique est
gênée par cette dimension temporelle.
Toutefois elle est possible et dépend du dispositif.
S'approprier le web-documentaire historique,
79 Ibid
80 Ibid
81 GANTIER, Samuel, BOLKA, Laura, L'expérience
immersive du webdocumentaire, op cit.
82 Ibid
c'est également accepter sa propre liberté
d'action et la délinéarisation du texte. Il existe une
véritable tension, une sorte d'équilibre fragile entre
l'internaute et le dispositif. A titre d'exemple, chaque web-documentaire
propose différents choix de format de lecture (plein écran ou
dans la page). Certains proposent même d'éviter la vidéo
d'introduction. Chaque choix consiste ainsi en une appropriation du webdoc.
Dans l'ouvrage L'outre lecture, les auteurs traitent la question de la
délinéarisation :
« Il s'agit d'une acceptation de la
délinéarisation des références, de la perte de
prescription des énoncés, de la fin des autorités de
toutes sortes et donc de celles qui produisent le texte, remplacées,
pense-t-on par l'autopublication, l'hypertextualité et
l'autoréférence individualisée. »83
L'internaute s'autonomise, construit son propre parcours.
Ainsi l'appropriation est plus efficace. Toute appropriation passe par l'agir
de l'internaute. Cet agir est indispensable84. Néanmoins
toute appropriation requiert une capacité d'adaptation. Cela est
d'autant plus essentiel que l'ensemble des personnes observées ne
savaient pas ce que signifier le web-documentaire et ce à quoi cela
consistait. Il s'agissait pour ces individus d'une forme médiatique
inédite. D'un point de vue général, le webdoc
nécessite cette capacité d'adaptation du fait de la
diversité de ses formes et de ses narrations. Lorsque nous avons
interrogé les individus observés sur l'idée qu'ils se font
du webdoc, cela nous a permis de déterminer quelques horizons d'attente.
Or le média internet déconstruit systématiquement ces
horizons d'attente. Seule Anne-Marie a proposé une définition
intuitive qui se rapproche de ce qu'est le web-documentaire :
« Ça permet d'aller sur plusieurs documents
différents. On peut en voir davantage et les choisir. Il y a peut
être plus d'informations et on peut s'orienter vers autre chose, aller
plus loin dans la recherche. 85»
Les autres individus interrogés ont imaginé le
web-documentaire historique comme une retranscription d'un documentaire
télévisé sur internet. Certains pensent même que le
web-documentaire est une forme de catch-up tv. C'est le cas par exemple d'Alice
:
« C'est un documentaire que tu peux trouver sur
internet. Ils sont publiés à la télévision et qui
sont retransmis sur internet. Il y en a beaucoup plus qu'à la
télé. Tu peux avoir accès à ce que tu veux : tu
peux regarder n'importe quoi n'importe quand. Tu peux regarder le temps que tu
veux. »86
Lorsque les individus sont confrontés aux
web-documentaires, l'appropriation est donc biaisée par cette
représentation du web-documentaire. La plupart des personnes
interrogées ont conscience de cela puisqu'ils sont capables de
mentionner des différences profondes par rapport au documentaire
télévisé. Les commentaires positifs ou négatifs
témoignent d'une véritable prise de position par rapport au
genre. Les remarques des individus sont également l'indice qui nous
informe que leur lecture s'est déroulée selon des codes propres
à celui du documentaire télévisé. Emilie met en
avant le problème d'une « lecture trop saccadée
»87 alors qu'Hélène insiste sur l'aspect
« ludique »88 du
83 L'outre lecture, op cit.
84 Annexe 28
85 Annexe 19
86 Annexe 17
87 Annexe 22
88 Annexe 18
web-documentaire. Le processus d'appropriation se
réalise à travers le modèle du documentaire
télévisé puisque ce sont les codes et les repères
de ce dernier qui sont mobilisés au cours de le lecture des webdocs.
Nous tenons à préciser que les individus n'utilisent pas
seulement les codes du documentaire télévisé. L'usage des
repères du média internet est essentiel également.
Jean-Louis Weissberg résume bien, dans son article Figures de la
lectature en quoi consiste l'appropriation :
« L'activité d'appropriation du document
majore donc la dimension interventionniste [de l'internaute] puisqu'il
faut à la fois l'interpréter, le mettre en scène et
créer les conditions favorables de son auto-animation. Celui-ci sera
alors perçu et reçu selon le niveau de compétences du
destinataire qui en percevra plus ou moins la richesse selon les programmes
qu'il pourra mobiliser. »89
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