VII. Définition ou discussion théorique
autour des concepts clés
· Mobilisation de la démarche
judiciaire
Selon le Dictionnaire du vocabulaire
juridique59, la démarche judiciaire renvoie aux organes
de l'Etat chargés de dire le droit pour trancher le litige à
l'aide d'un raisonnement juridictionnel et avec autorité de la chose
jugée. Ici, on a affaire à une justice
traditionnelleinstitutionnelle, régulatrice et sanctionnatrice du
quotidien. Seulement, dans la présente analyse, cette justice se
mobilise ; elle reçoit une compétence spéciale pour
traiter de crimes de génocide commis en 1994 au Rwanda. Elle intervient
en période transitionnelle et elle est rendue non seulement par des
mécanismes judiciaires mais également non judiciaires. La
démarche judiciaire se mobilise ainsi dans le processus de justice
transitionnelle en s'attaquant à des événements survenus
en contexte de génocide, afin de concilier les impératifs de
justice et de réconciliation.
· Justice Transitionnelle
La justice transitionnelle est communément
définie comme un ensemble de mesures qui tente de répondre
à une demande de justice après des situations de conflits et de
violations massives des droits de l'Homme. Elle vise à affronter le legs
d'exactions graves en vue de prévenir une réémergence des
conflits, d'éviter l'impunité et de soutenir le
rétablissement de l'Etat de droit et la réconciliation nationale.
Le rapport du Secrétaire général des Nations Unies du mois
d'août 2004 propose une définition claire de la justice
transitionnelle :
Les divers processus et mécanismes mis en oeuvre
par une société pour tenter de faire face à des exactions
massives commises dans le passé, en vue d'établir les
responsabilités, de rendre justice et de permettre la
réconciliation. Peuvent figurer au nombre de ces processus des
mécanismes
59 Remy Cabrillac, Dictionnaire du Vocabulaire
Juridique, Edition revue et augmentée, Paris, Lexis Nexis, 2012.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas
échéant) une intervention plus ou moins importante de la
communauté internationale, des mesures pénales contre des
individus, des indemnisations, des enquêtes, visant à
établir la vérité, une réforme des institutions,
des mesures d'épuration, ou une combinaison de ces
mesures60.
Dans notre étude, nous donnons au terme justice le sens
des actions punitives, de guérison, de réconciliation, de
rétablissement de l'état de droit, de la lutte contre
l'impunité. Par justice, nous entendons justice pénale et justice
sociale, c'est-à-dire l'équité, l'état de droit. Le
terme transitionnel61 recouvre quant à lui des situations
telles que le passage du postapartheid, post-dictature, post-génocide,
post-guerre à une autre situation qui se réfère à
l'état de droit, à la démocratie et à la bonne
gouvernance. La justice transitionnelle doit déboucher sur le passage
d'une gestion violente des conflits à la gestion non violente, le
passage de la méfiance à la confiance citoyenne. Elle doit avoir
pour ambition de soutenir la transformation des sociétés
opprimées en sociétés libres, en réglant les
injustices du passé par des mesures qui permettront un avenir
équitable pour tous.
La justice transitionnelle peut ainsi se réaliser
à travers cinq axes majeurs : poursuite en justice des auteurs des
crimes ; initiatives en faveur de la recherche de la vérité en
vue d'appréhender les violations commises par le passé ;
réconciliation ; octroi de réparation aux victimes de violations
des droits de l'homme ; et reformes des institutions judiciaires et politiques.
Les poursuites judiciaires sont au fondement du processus de justice et de
surcroît de justice transitionnelle. Il n'y a pas de réparation ni
de réconciliation sans poursuites. Mais celles-ci marquent aussi la
limite de l'action de la justice `ordinaire' et justifient l'instauration de la
phase transitionnelle. D'où l'exigence de recherche de la
vérité. Là encore, la quête de la
vérité est au coeur du fonctionnement de la justice
traditionnelle ; mais elle prend une importance toute particulière dans
la justice transitionnelle au regard des violations massives des droits de
l'homme qui ont été commises. Les Commissions
Vérité et réconciliation participent de cette
démarche. L'expression de la vérité doit aboutir à
la réconciliation ; le droit de savoir conduit au pardon possible. Les
réparations accordées aux victimes arrivent en quatrième
temps du processus de justice transitionnelle et se présentent comme la
conséquence mécanique de la démarche de
vérité et réconciliation. Enfin, si la justice
60 Rapport du Secrétaire
général des Nations Unies au Conseil de sécurité
sur le Rétablissement de l'état de droit et l'administration de
la justice pendant la période de transition dans les
sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit,
S/2004/616, 23 août 2004, para. 8, p. 7.
61 Nous soulignons ici que la justice
transitionnelle n'est que transitionnelle et qu'elle ne doit pas devenir
permanente. Donc par essence, la transition ne peut être permanente, elle
est nécessairement temporaire. Elle vise malgré tout à
déboucher sur l'état de droit et la promotion d'une paix
durable.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
transitionnelle place les individus au centre du processus, les
institutions de l'Etat sont aussi les sujets, par ricochet, de la
démarche.
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