Paragraphe II : La théorie du double
génocide
La théorie du double génocide n'est rien d'autre
qu'une façon de nier le génocide commis en 1994 à
l'égard des Tutsi au Rwanda. Ainsi, le négationnisme se structure
autour de quelques affirmations266 qui permettent de dissimuler
l'intention criminelle- constitutive du crime de génocide- sans nier la
réalité des massacres et de soutenir la thèse du double
génocide. En effet, avant même que la France ait commencé
à parler d'une expédition humanitaire au Rwanda, à la
mi-mai, le FPR contrôlait l'est du Rwanda et ses forces avançaient
inexorablement vers l'ouest dans un large mouvement de tenailles au nord et au
sud de Kigali. Le monde entier découvrait ainsi toute l'ampleur de
l'extermination des Tutsi dans les régions libérées. Le
gouvernement rwandais et la RTLM prétendaient que les troupes
264 Communiqué de Reporters Sans Frontières du 06
Janvier 2011.
265 Degni- Segui, 1er rapport du 28 juin 1994, ONU
A/49/508.S/1994/1157. Commission des Droits de l'Homme de l'ONU.
E/CN.4/1995/7.
266 Selon Marie Fierens, auteure du livre Le
négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda, paru en 2009
aux éditions Golias, les arguments du négationnisme sont au
nombre de dix. Il s'agit des arguments parlant de la « colère
spontanée, de la guerre civile, de l'autodéfense, des haines
ethniques ancestrales, du double génocide, les massacres
perpétrés par le FPR, des massacres de 1996 dans les forêts
de Kivu, des tueries commises par les génocidaires à l'encontre
des opposants Hutu, de l'accusation en miroir, de la réconciliation et
du devoir de l'oubli ». (p. 194-195).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
du FPR tuaient tous les Hutu qu'elles trouvaient vivants. Les
porte-parole de l'armée française parlaient de `génocide
à double sens' en qualifiant le FPR de Khmers noirs mais, selon nos
différentes lectures, la presse internationale avait dans l'ensemble
l'impression d'une armée rebelle étonnement disciplinée et
correcte, déterminée à rétablir l'ordre. Et pour
les Tutsi et les Hutu à la conscience tranquille, le meilleur espoir de
salut était de rejoindre la zone du FPR, ou d'être rejoints par
celle-ci.
A. Une manipulation savamment entretenue
La confusion autour du génocide commis en 1994 à
l'égard des Tutsi au Rwanda n'est pas née du hasard. L'opinion
publique a été manipulée d'abord par les auteurs du
génocide, par certains milieux étrangers et les organisations
internationales267. Dire qu'il y a deux génocides signifie
que les Tutsi sont coupables au même titre que leurs bourreaux. Cette
confusion a été largement propagée.
Cette attitude confirme ce que certaines recherches sur le
génocide ont montré. En effet, selon plusieurs études, la
négation du génocide lui est consubstantielle268. Elle
fait partie du génocide par le fait qu'elle assassine sa mémoire,
oblitère ses preuves269. La négation du
génocide est la dernière étape du processus
génocidaire270.
Les négationnistes se comportent donc comme ceux qui
ont commis matériellement le génocide du fait qu'ils rendent
présentes les blessures occasionnées par le génocide. La
perversion du négationnisme consiste à créer une confusion
entre le rôle des victimes et celui des bourreaux271. La
démarche négationniste a ceci de particulier qu'elle use une
méthodologie partiale, opérant la sélection, la
dissimulation, le détournement ou la destruction d'informations
corroborant l'existence du génocide commis à l'égard des
Tutsi.
267 Rapport du Projet Mapping concernant les violations les
plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire
commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République
Démocratique du Congo, publié le 1er octobre 2010.
Faisant silence sur la responsabilité pendant et après le
génocide commis à l'égard des Tutsi, l'ONU accuse les
forces de l'AFDL/APR, et en particulier l'armée rwandaise, d'avoir
procédé au « massacre systématique des Hutu qui
restaient au Zaïre » à partir de 1996, donc d'avoir commis un
génocide. (Rapport Mapping, p. 287).
268 Denis Salas, « Le Droit peut-il contribuer au travail de
Mémoire ? » In La Lutte contre le négationniste. Bilan
et perspectives de la loi du 13 Juillet 1990 tendant à réprimer
tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, Paris, La
Documentation française, 2003.
269 Vidal- Naquet, Les Assassins de la mémoire,
Paris, La Découverte, 2005.
270 Ibid.
271 Marc Nichanian, La perversion historiographique. Une
réflexion arménienne, Lignes, 2006.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
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