Paragraphe II : Les réformes institutionnelles au
coeur de la réforme du système de sécurité :
garanties de non répétition
Nous rappelons que la réforme institutionnelle fait
partie du dernier pilier, le dernier instrument légal de la justice
transitionnelle après les procès, l'enquête et la
réparation. Autrement dit, les principales approches de la justice
transitionnelle comprennent les poursuites pénales engagées
contre les auteurs des violations des droits de l'homme, les efforts de la
vérité pour déterminer et reconnaître l'ampleur et
la nature des violations, les réparations accordées aux victimes
et la réforme des institutions215. La réforme
institutionnelle pour prévenir la récurrence des violations
graves constitue un élément important de la justice
transitionnelle. Ces réformes visent à prévenir les
conflits violents et les crimes contre les droits humains en éliminant
ou en transformant les conditions structurelles qui leur ont donné lieu.
Etant donné que les violations flagrantes, graves et
systématiques de droits humains sont principalement le fait des forces
de sécurité des Etats, ou de groupes armés
non-étatiques, la réforme du secteur de sécurité
(RSS) reste d'un intérêt particulier pour la présente
étude.
Le concept de "réforme du secteur de la
sécurité" (RSS), apparu vers la fin des années 1990, vise
à créer un lien direct entre développement et
sécurité. L'élément fondateur repose sur le fait
qu'il ne peut y avoir de développement économique et de
réduction de la pauvreté sans sécurité, et
inversement. Plusieurs organisations internationales, liées au
développement, ont ainsi lancé le débat, comme le PNUD en
1994, la Commission pour le Développement humain en 2003 ou encore
l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE) en 2004. Dans ce contexte, la RSS concerne surtout
les Etats en sortie de conflit ou en transition démocratique, et
constitue un élément central des réformes à mettre
en oeuvre en matière de démocratisation, bonne gouvernance,
développement économique et transformation pacifique des
sociétés. Les définitions du secteur de la
sécurité restent cependant nombreuses, en fonction des
compétences et des intérêts de l'organisation
internationale qui souhaite s'impliquer dans la réforme. Chaque
intervenant a sa propre conception - plus ou moins large - de la RSS, et les
expressions utilisées sont synonymes et interchangeables :
réforme du secteur de la sécurité, réforme du
système de la sécurité, modernisation du secteur de la
sécurité, transformation du secteur de la sécurité,
reconstruction du secteur de la sécurité, etc.
215 Louis Joinet, Question de l'impunité des auteurs
des violations des droits de l'homme civils et politiques, Rapport final
révisé, E/CN.4/Sub.2/1997/20/Rev.1, p.10.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
Les Nations Unies ont, par exemple, proposé la
définition suivante du secteur de la sécurité en 2008,
dans le rapport du Secrétaire général intitulé
« Assurer la paix et le développement : le rôle des Nations
Unies dans l'appui à la réforme du secteur de la
sécurité » :
les termes "secteur de la sécurité"
désignent, d'une manière générale, les structures,
les institutions, et le personnel chargés de la gestion, de la
prestation et de la supervision des services de sécurité dans un
pays. L'on s'accorde habituellement à inclure dans ce secteur la
défense, la police, l'administration pénitentiaire, les services
de renseignement, les organismes chargés du contrôle des
frontières, la douane et la protection civile. Y figurent aussi les
services judiciaires chargés de statuer sur les allégations
d'actes délictueux et d'abus de pouvoir. Le secteur de la
sécurité comprend aussi les acteurs qui gèrent et
supervisent l'élaboration et l'application des mesures de
sécurité, tels que les ministères, les organes
législatifs et certains groupes de la société civile. On
compte aussi, parmi les acteurs non étatiques du secteur de la
sécurité, les autorités coutumières ou informelles
et les services de sécurité privés.216
Koffi Annan estime que la RSS « s'entend d'un
processus d'analyse, d'examen et d'application, aussi bien que de suivi et
d'évaluation mené par les autorités nationales et visant
à instaurer un système efficace et responsable pour l'Etat et les
citoyens, sans discrimination et dans le plein respect des droits de l'homme et
de l'état de droit »217.
Selon les directives du Comité d'aide au
développement (CAD) de l'OCDE sur les directives concernant la RSS, il
s'agit « de la transformation du système sécuritaire,
qui inclut tous les protagonistes, leurs rôles, responsabilités et
actions, de concert pour gérer et exploiter le système dans le
droit fil des normes démocratiques et des principes solides de bonne
gouvernance »218. Ces protagonistes comprennent les forces
de sécurité nationales, les instances de direction et de
supervisions sécuritaires, les institutions de justice et d'application
des lois, ainsi que les groupes armés non étatiques, les
armées de libération, les guérilleros, les milices des
partis politiques et les organisations de sécurité
privées. Ainsi, d'après l'OCDE, « les forces de
sécurité responsables et devant rendre des comptes
réduisent les risques de conflit, assurent la sécurité des
citoyens et créent un environnement favorable au
216 ONU, Rapport A/62/659-S/2008/39 du 23 janvier 2008.
217 Idem.
218 OCDE/CAD, « Réforme du secteur sécuritaire
» (2007).
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
développement durable. L'objectif en
général de la RSS est d'établir un environnement
sécurisé qui stimule le développement
»219.
Les opérations de soutien à la réforme du
secteur de la sécurité se sont en fait multipliées depuis
le début des années 2000, lorsque la nécessité
d'appuyer la RSS dans le cadre d'une démarche plus globale (accord de
paix, transition démocratique) a été comprise. Le
Département des Affaires politiques du Secrétariat des Nations
Unies220 a ainsi aidé les parties au Guatemala et au Salvador
à intégrer, dans leurs accords de paix respectifs, des
dispositions relatives au rôle et aux responsabilités des forces
de sécurité. Il a également encouragé les parties
au Népal à prendre en compte les questions relatives au secteur
de la sécurité dans le processus de paix. Sur le plan des
opérations de maintien de la paix, l'ONU s'est impliquée dans le
domaine de la RSS en Sierra Leone dès 2002, mais également au
Timor-Leste, en Côte d'Ivoire, au Liberia, et en République
démocratique du Congo dans les années suivantes. La
nécessité d'établir un secteur de la
sécurité efficace, responsable et respectueux des droits de
l'homme tend à devenir une partie intégrante des
stratégies de sortie des opérations de maintien de la paix.
Le Rwanda a connu des réformes institutionnelles qui
ont permis à la sécurité de nettement s'améliorer
entre 2001 et 2012 c'est ainsi que la gouvernance des services de
sécurité a connu des améliorations significatives. Le
Rwanda a mis en place la réforme du secteur de la sécurité
qui incite à adopter une approche globale et coordonnée de
l'ensemble des réformes engagées dans différents secteurs
(défense, police, contrôle parlementaire et public des acteurs de
sécurité, gestion transparente des budgets alloués,
respects des droits de l'homme dans l'exercice des fonctions), ce faisant, la
réforme du système de sécurité s'est imposée
comme l'une des principales activités vouées à promouvoir
la paix et la stabilité en ce sens qu'elle vise à fournir une
sécurité humaine et publique efficace et efficiente dans un cadre
de gouvernance démocratique. Elle vise à rétablir le
contrôle légitime de l'Etat du recours à la force et
à régler les déficits sécuritaires matériels
et humains. Du point de vue de la justice, la RSS vise à renforcer
l'intégrité du système sécuritaire, promouvoir sa
légitimité
219 Idem.
220 Nous mentionnons que d'autres institutions du
système onusien, tels que le Bureau d'appui à la consolidation de
la paix, du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), le
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), le Fonds de
développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), l'Office des
Nations Unies contre la drogue et le crime, ou encore le Fonds des Nations
Unies pour l'Enfance (UNICEF) sont engagées dans des actions de soutien
à la RSS dans des pays aussi variés que le Kosovo (Serbie), le
Népal ou Haïti ou encore l'Ouganda.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
et habiliter les citoyens, afin de transformer un
système d'abus en un système respectueux et protecteur des droits
humains.
En somme, la réforme du secteur de
sécurité vise à améliorer la capacité des
pays à répondre à tout l'éventail des besoins de la
société nationale en matière de sécurité,
d'une manière qui soit compatible avec les normes démocratiques
et les principes de bonne gestion des affaires publiques, de transparence et de
respect de la règle du droit. En 1998, de vastes parties du pays des
milles collines étaient toujours affectées par
l'insécurité, et notamment le nord-ouest qui subissait de
fréquentes incursions transfrontalières depuis la RD Congo de la
part des interahamwe. Afin de contrer cette menace, les forces
rwandaises ont pénétré en RD Congo en août 1998 et y
sont restées durant quatre ans. Depuis 2001, la situation au Rwanda en
matière de sécurité s'est améliorée.
Plusieurs miliciens et combattants ont quitté la RD Congo pour le Rwanda
et ont fait l'objet d'un programme de désarmement, démobilisation
et réintégration (DDR) par lequel à ce jour sont
passés un peu plus de 6000 rapatriés221. Mais,
certains miliciens originaires du Rwanda se trouvent encore à l'est de
la RD Congo. De façon générale, le secteur de la
sécurité regroupe l'armée et les forces de l'ordre, ainsi
que les instances de gouvernance, législatives et de supervision. La
réforme de ces structures doit comprendre entre autres des mesures
visant à mettre fin aux abus et à la violence de la
société. Pour ce qui est des éléments constituant
la réforme du secteur de la sécurité, nous nous
intéressons aux organes de sécurité du Rwanda que sont :
la Force rwandaise de défense, la police nationale rwandaise (PNR), la
Local Defence (Défense locale) et le service national de
sécurité responsable du renseignement intérieur et
extérieur, ainsi que des questions d'immigration et d'émigration.
Mais, l'accent sera uniquement mis sur la réforme de l'armée et
de la police.
A. La réforme de l'armée
Les violations les plus massives et les plus
systématiques sont généralement commises par des
organismes et des groupes qui ont les moyens d'exercer une force
coercitive222 dont les forces armées. Il s'agit très
souvent de dissoudre les groupes armés non étatiques, dont les
221 Chiffre fourni par le Programme de démobilisation
et de réintégration du Rwanda. Au total, 6059 membres d'autres
groupes armés opérant hors du Rwanda ont été
démobilisés entre 2001 et décembre 2007. Par ailleurs, 21
706 ex- FAR (anciennes Forces armées rwandaises) sont passés par
le processus de démobilisation national entre avril 2002 et
décembre 2007. Les anciens rebelles rentrant au Rwanda suivent des cours
d'éducation civique, d'alphabétisation et de formation
professionnelle et reçoivent un paquet de retour.
222 La force coercitive prend en compte les forces
armées, les organismes chargés de l'application des lois et
autres organes de sécurité intérieure, ainsi que les
groupes armés non étatiques. Une stratégie efficace de
prévention des violations ou de leur résurgence devrait donc
viser, en priorité, ces organismes et ces groupes.
La mobilisation de la démarche judiciaire dans le
processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit :
le cas du Rwanda.
membres doivent être démobilisés ou
intégrés dans des institutions régulières de
l'Etat. Généralement, la réforme des forces armées
est axée, en particulier, sur le désarmement, la
démobilisation et la réintégration du personnel
excédentaire dans la vie civile, la démilitarisation du secteur
chargé de l'application des lois, et la limitation du rôle des
forces armées à des fonctions de défense
extérieure. Au cours de la dernière décennie, la Force
rwandaise de défense (RDF) a subi d'importantes restructurations, y
compris une démobilisation de grande échelle et un renforcement
des capacités pour les soldats restants. Plus de 40 000 soldats de la
RDF ont été démobilisés de sorte qu'environ 20 000
hommes sont restés sous les armes223. L'un des indicateurs
clés de cette tendance est la réduction des dépenses
militaires qui sont passées du chiffre estimatif de 4,3% du PNB en 1998
à 1,6% du PNB en 2007224. L'importante réduction de la
masse salariale de la RDF a permis à l'armée d'investir dans la
formation et dans l'équipement. La RDF est largement
considérée comme l'une des forces armées les mieux
formées et les plus efficaces d'Afrique. Elle a développé
des compétences de maintien de la paix et 3000 de ses soldats ont
beaucoup servis au Soudan en 2008.
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