De l'action en réduction des libéralités excessives en droit comparé rwandais et congolais( Télécharger le fichier original )par Fabrice KASEREKA MUSAVULI Université de Goma - Licence 2011 |
§.3. Sanctions en cas des libéralités excessives.Si les héritiers réservataires reçoivent moins que la fraction de succession à laquelle ils ont impérativement droit, c'est nécessairement que des libéralités trop importantes ont été consenties. Celles-ci doivent être réduites, la réduction ( en droit congolais) ou la rétrocession ( en droit rwandais) est l'opération correspondante. En effet, la sanction spécifique de l'atteinte à la réserve est la réduction des libéralités excessives même si les réservataires ont la faculté d'y renoncer. La réduction est ordonnée pour sauvegarder les droits des héritiers qui ne doivent pas être victimes de l'esprit généreux, excessif, du disposant. Cette réduction se fait dans un ordre déterminé et suivant les modes précis. A. Réduction des libéralités excessives. Il nous semble utile de préciser qu'il existe un distinguo à faire entre le rapport et la réduction des libéralités excessives. La réduction pour atteinte à la réserve protège les héritiers réservataires contre les libéralités excessives. Elle ne joue donc pas à l'absence de tels héritiers, ni quand la réserve n'est pas atteinte, et elle ne joue que dans la mesure nécessaire au rétablissement de la réserve : c'est la réduction.32(*) Elle fonctionne à l'encontre de tout gratifié, qu'il soit ou non héritier. Les règles de la réserve, qui ont pour but la protection de la dévolution légale et du patrimoine familial sont d'ordre public, le de cujus ne saurait les écarter pour en dispenser les légataires ou donataires. Par ailleurs, le rapport n'a pour fait que d'assurer l'égalité entre les héritiers.33(*) Rétablissant l'égalité rompue par une libéralité, le rapport joue pour le tout : il oblige le copartageant à rapporter l'intégralité. Il fonctionne même si chacun des héritiers reçoit sa part de réserve ou si les cohéritiers ne sont pas réservataires. Les règles du rapport ne sont pas impératives, mais seulement interprétatives de la volonté du de cujus, qui peut donc les écarter. Brièvement disons que la réduction suppose que le défunt a voulu avantager un tiers ou un héritier alors que la loi le lui interdit ; le rapport suppose que le défunt n'a pas voulu avantager un héritier bien que la loi le lui permette. La réduction constitue la sanction des libéralités excessives. Elle peut frapper tous les héritiers que les non héritiers, qui devront restituer à la succession des biens indûment perçus à moins que les héritiers réservataires renoncent à tout ou à partie de leur réserve. A.1. Détermination des biens à déduire Le législateur confère aux héritiers un droit intangible sur la succession, qu'est la réserve. Dans cette conception, s'il apparaît que des libéralités ont été faites au-delà de la quotité disponible, les héritiers réservataires pourront en demander réduction c.à.d. ce sont des biens constituant des libéralités excessives qui sont l'objet de la réduction. Par contre toute libéralité excessive n'est pas réductible. A.2. Limites sur des biens à réduire Il est à noter que le législateur rwandais a limité les biens à réduire sur les libéralités faites dans trois ans avant l'ouverture de la succession. L'on peut bien se demander pourquoi le législateur a bien voulu limiter ce délai à trois ans. A ce propos, le rapport de la commission de l'Assemblée Nationale de Transition (A.N.T) indique que ce délai a été tenu parce qu'il est jugé raisonnable.34(*) Néanmoins, le législateur congolais n'a prévu aucune limite pour les biens à réduire. A notre avis, un délai serait utile car cela permettrait aussi d'assurer la sécurité du commerce juridique à laquelle de tels recours portent manifestement atteinte. Par ailleurs, nous pouvons remarquer que les règles de la réserve héréditaire auraient suffi à protéger les héritiers d'une manière aisée, s'il n'y avait pas de délai de forclusion de l'action en réduction. B. ORDRE A SUIVRE POUR LES REDUCTIONS. Il faut remarquer que la réduction prend tout son intérêt lorsque plusieurs libéralités excèdent le disponible et met la réserve en danger.35(*) La désignation des libéralités réductibles et l'importance de leur réduction dépendent alors de l'ordre d'imputation. Dans ce sens, l'on distingue la réduction concurrente ( B.1.) de la réduction chronologique (B.2). B.1. Réduction concurrente des libéralités Les libéralités doivent être réduites par ordre de date, à partir de la plus récente. Aussi bien commence-t-on par réduire les legs avant de réduire les donations.36(*) Lorsque la réduction des legs n'est pas suffisante pour assurer la réserve, l'on pourra procéder à la réduction des donations . Cela tient à ce que l'ordre de la réduction soit bien évidemment l'ordre inverse d'imputation , et les donations s'imputent toujours avant les legs. La réduction concurrente frappe les libéralités ayant même date. En premier lieu les legs sont réduits simultanément et en totalité si les donations épuisent à elles seules la quotité disponible et ils sont réduits simultanément et au prorata de leur montant si les donations n'absorbent que partiellement la quotité disponible. Précisons que ces règles s'appliquent à tous les legs, sans distinction entre les legs universels et les legs particuliers. En second lieu, sont réduites et au marc franc les donations portant même date ou faites simultanément dans un même acte. Par contre, la réduction des libéralités portant dates différentes se fait autrement. B.2 Réduction chronologique des libéralités Les libéralités ayant dates différentes s'imputent dans l'ordre où elles ont été consenties et sont réduites dans l'ordre inverse d'imputation. Ainsi, les donations ayant plus souvent dates différentes, sont réduites donations après donations en commençant par les plus récentes, en remontant aux plus anciennes jusqu'à ce que la réserve soit constituée. La réduction chronologique des libéralités est justifiée par la règle de l'irrévocabilité des donations et s'explique par le principe qui veut que entre deux gratifiés, « celui qui a acquis ses droits le premier soit préféré à son rival ». L'idée générale dominant la question est qu'il faut respecter les droits les plus anciens, et il est, en effet, de bonne politique de ne point bouleverser les situations les plus anciennement créées : la réduction est moins douloureuse au légataire qui n'a encore reçu qu'au donataire qui devra restituer. Telles sont les justifications de la réduction chronologique des libéralités, mais il faudrait encore résoudre la question du mode de réduction. C. MODES DE REDUCTION. En principe, la réduction des libéralités excessives se fait en nature. Les biens qui composent la réserve, doivent être les biens même du de cujus parce que c'est en tant qu'héritier que le réservataire les recueille.37(*)Cependant, il arrive que le bien donné ne se trouve plus dans le patrimoine du donataire et la réduction en nature s'avère impossible, d'où la réduction en valeur. C.1. Réduction en nature L'objectif de la réduction étant la restitution des biens disposés gratuitement au-delà de la quotité disponible afin de pouvoir reconstituer la masse successorale, la réduction doit en principe, se faire en nature, pour dire que ce sont les biens donnés ou légués qui doivent venir dans la masse pour être partagés entre les réservataires. Une réduction en nature permet, en effet d'éviter que les biens ne sortent définitivement de la famille. Cependant, la réduction ne nature n'est pas dans tous les cas possible. C.2. Réduction en valeur Le gratifié, ayant acquis un droit de propriété sur un droit donné, n'est pas obligé de conserver le bien mais plutôt peut en exercer tous les droits lui conférés par le droit de propriété. C'est de cette manière que la réduction en nature peut s'avérer impossible, et dans certains cas, s'effectuer en valeur. La réduction des libéralités qui portent atteinte à la réserve se fait en valeur dans le cas où le bien donné a été subrogé, si la chose donnée a été aliénée, et si le bien donné a péri par la faute du donataire. Comme il a été souligné précédemment, si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de leur aliénation et s'il ya eu subrogation de la valeur de nouveaux biens, au jour de l'ouverture de la succession38(*). Force est de constater que la réduction en nature est la règle tandis que la réduction en valeur en est l'exception. C'est donc lorsque la réduction en nature fait défaut qu'on recourt à la réduction en valeur. Tout au plus, la réduction comme sanction des libéralités excessives ne devient efficace que, par l'action en rétrocession (réduction) et il est venu le moment d'envisager la manière dont celle-ci est exercée. * 32 A. BRETON, Leçons de droit civil : successions et libéralités, éd. MONTCHRESTIEN., Paris, 1982, p. 844. * 33 idem * 34 HABIMANA Pie, Op. cit. , p. 13. * 35 Idem, p. 12. * 36 L. BACH, Droit civil, régimes matrimoniaux, successions et libéralités, droit privé notarial, 4e éd. SIREY, Paris, 1991, p. 305. * 37 A. BRETON, Leçons de droit civil : successions et libéralités, éd. MONTCHRESTIEN, Paris, 1982, p. 183.. * 38 L. BACH, Op. cit., p. 304. |
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