De l'action en réduction des libéralités excessives en droit comparé rwandais et congolais( Télécharger le fichier original )par Fabrice KASEREKA MUSAVULI Université de Goma - Licence 2011 |
§2. Des libéralités excessivesIl faut noter que tous les legs et donations sont normalement passibles de réduction lorsqu'elles portent atteinte à la réserve successorale, sauf si les héritiers réservataires renoncent en tout ou en partie de leur réserve dans une succession. Une conception exacte des libéralités excessives se conçoit par une appréhension profonde des notions de réserve et de quotité disponible. Ce n'est qu'après avoir su ce que sont la réserve et la quotité disponible dans leur montant, qu'on peut dire exactement qu'il ya eu à réduction des libéralités excessives ou non. A. Notions des libéralités excessives. Conformément aux règles de droit commun, la cause doit exister et ne pas être fausse. La cause, comme on le sait déjà, ne doit pas être illicite ou immorale. D'abord est elle est illicite lorsque l'auteur de la libéralité a violé une disposition d'ordre public et d'autre part elle est immorale lorsqu'elle est contraire aux bonnes moeurs.19(*) Soucieux de rechercher et de maintenir l'équilibre entre le droit de disposer et les droits des héritiers, les droits rwandais et congolais à l'instar d'autres droits, prévoient des limites à ne pas dépasser lors du consentement à une libéralité sous peine de consentir à une libéralité excessive. A.1 Définition des libéralités excessives Selon cet auteur, la réserve est « pars hereditatis » c'est-à-dire partie de l'hérédité, de la succession. La réserve est donc une fraction de la succession, c'est pourquoi l'héritier n'a droit à la réserve que s'il est appelé à la succession. La réserve ne profite pas à l'héritier renonçant. Précisons ici que les biens qui constituent la réserve sont dévolus selon les règles de la succession ab intestat. 20(*) Le droit des successeurs, dépendant de l'existence des biens dans la succession, est très fragile. Il risque, en effet, de disparaitre devant les aliénations consenties par le de cujus de son vivant, au legs qu'il a insérés dans son testament. Parmi ces actes de dispositions, ceux réalisés à titre gratuit sont les plus redoutables puisqu'ils ne font entrer aucune valeur en contrepartie dans le patrimoine du de cujus. Donations et legs ne sont permis au de cujus qu'à condition de ne pas entamer la réserve ; le de cujus ne peut consentir des libéralités que dans la mesure de la quotité disponible.21(*) La réserve a été instituée contre les libéralités excessives adressées soit à un héritier ou à une personne étrangère à la famille.22(*) Nous pouvons remarquer d'entrée de jeu que les législations rwandaises et congolaises ne définissent pas ce que sont les libéralités excessives. Cependant à vouloir bien définir cette notion, nous devons d'abord déterminer ce que sont la réserve héréditaire et la quotité disponible qui du reste, sont les déterminatifs des libertés excessives. Toujours est-il que toutes les deux législations n'ont pas défini ce qu'est une réserve ou une qualité disponible. Seulement elles se sont limitées de déterminer leur montant et leurs destinataires. Devant le silence de la loi, L. nous donne une définition. Ainsi, la réserve est une quote-part ou encore une fraction de la succession revenant obligatoirement aux héritiers réservataires. Plus précisément, la réserve est une portion de la succession accordée par la loi (la réserve est d'ordre public) à certains héritiers dits réservataires.23(*) L'art. 779 du code de la famille24(*) dispose « la quote-part revenant aux héritiers de la première catégorie ne peut être entamée par les dispositions testamentaires du de cujus établies en faveur d'héritiers des autres catégories ou d'autres légataires universels ou particuliers ». Quant à la quotité disponible, celle-ci est définie comme étant une fraction des biens que le défunt avait le droit de donner ou de léguer librement malgré la présence des héritiers réservataires. Partant nous pouvons dire que la quotité disponible peut donc être conçue comme la partie de la succession, en dehors de la réserve, ou encore une quote-part du patrimoine d'une personne dont elle peut disposer librement par donation au testament, même en présence d'héritiers réservataires. De manière générale, les libéralités excessives peuvent être conçues comme des actes de disposition à titre gratuit par lesquels, au détriment de sa proche famille, le disposant a franchi les limites prévues par la loi au profit des tiers, et que la loi sanctionne par une réduction. Les libéralités excessives sont celles qui ont été consenties par le disposant au-delà de la quotité disponible. Les libéralités excessives présentent certains traits caractéristiques, qui leur sont propres. A.2. Caractéristiques des libéralités excessives. L'institution d'une réserve serait sans efficacité si elle n'était d'ordre public. Le de cujus disposerait, en effet, trop souvent de moyens lui permettant d'obtenir de ses successibles une renonciation à leur réserve. Ainsi, la transmission des biens compris dans la réserve s'opère par la volonté de la loi ; dès lors, le pater familias ne peut, par aucune disposition entre vifs ou testamentaire, modifier les conditions légales de cette transmission dans un sens défavorable à l'héritier réservataire : autrement dit, les biens qui constituent la réserve doivent parvenir à cet héritier dans des conditions au moins bonnes que s'ils lui étaient transmis de façon purement légale.25(*) Nous estimons que le législateur a voulu protéger les héritiers réservataires contre les libéralités excessives par l'utilisation de la réserve. Comme on l'a dit précédemment la réserve est une fraction de la succession qui est légale, impérative, minimum et intangible. La réserve est une fraction de la succession en ce que les héritiers réservataires soient d'abord héritiers avant d'être réservataires et doivent venir effectivement à la succession. Le droit à la réserve ne s'ouvre qu'au moment du décès. La réserve comme fraction de l'hérédité, a un caractère légal et impératif. D'une part le montant de la réserve est prévu par les dispositions légales et d'autre part personne ne peut convenir en supprimant ou en réduisant les droits que les réservataires puisent dans la loi. Mais aussi tout acte qui aurait pour effet de restreindre directement ou indirectement le droit des réservataires serait nul, comme contraire à des dispositions légales impératives. Il sied de remarquer que la réserve constitue également le minimum des biens successoraux auxquels les réservataires ont droit et elle est par ce fait intangible c.à.d. s'imposant de manière absolue au de cujus 26(*), car étant d'ordre public. Partant même de la définition ci-haut donnée et nous référant aux caractéristiques sus-énumérées, les libéralités excessives sont : - Des libéralités en ce qu'elles doivent réunir toutes les conditions exigées pour la validité d'une libéralité (acte juridique). - Illégales parce qu'elles violent des dispositions impératives limitant la volonté de disposer à la quotité disponible. - Licites et morales, d'où la réduction ou la rétrocession comme sanction au lieu de la nullité, frappant normalement les actes juridiques illicites ou immorales - Partie de la succession, raison pour laquelle les libéralités réduites rentrent dans la masse successorale. En fin, pour qu'on sache si les libéralités consenties sont excessives, il faut qu'il y ait preuve du dépassement de la quotité disponible. B. Calcul du montant de la réserve et de la quotité disponible. Pour savoir si les libéralités faites par le de cujus ont dépassé ou non la quotité disponible, et s'il ya lieu, par conséquent de les réduire, il faut procéder à une double opération. La première est la formation de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible. Elle consiste à déterminer les chiffres absolus auxquels doivent être appliquées les fractions légales. La seconde opération est de procéder à l'imputation des libéralités que le de cujus a consenties. Elle consiste à déterminer le montant proprement dit de la réserve et de la quotité disponible. B.1. Masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible Aux termes de l'article 869 al. 1&2 du code de la famille « Il est formé une masse de tous les biens existant au décès du donateur ou du testateur. Après déduction des dettes, la masse comprend les biens dont le défunt a disposé entre vifs, d'après leur état à l'époque des donations et leur valeur au temps du décès, sous réserve des dispositions de l'art. 865. Il convient de constater que la législation rwandaise a prévue la réserve et la quotité disponible sans toute fois songer à la masse de calcul.27(*) Ainsi trouve-t-on la masse de calcul en procédant par trois étapes : d'abord en déterminant les biens existants , ensuite en y déduisant des dettes et enfin en y ajoutant les biens disposés. Il ne s'agit là que d'une réunion fictive c.à.d. d'un récolement qui ne se fait que sur papier. Ainsi, l'art.922 du code civil français28(*) dispose « la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existants au décès du donateur ou du testateur. Les biens dont il a disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant. Si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation. S'il ya eu subrogation, il est tenu compte de la valeur de nouveaux biens au jour de l'ouverture de la succession, d'après leur état à l'époque de l'acquisition. Toute fois, si la dépréciation des nouveaux biens était, en raison de leur nature, inéluctable au jour de leur acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation. On calcule sur tous ces biens, en égard à la qualité des héritiers qu'il laisse, quelle est la quotité dont le défunt a pu disposer » . De ce fait, il faut souligner que l'évaluation de la masse de calcul est commandée par deux directives de principe : - Les biens existants sont considérés au jour de l'ouverture de la succession. Cela est dû au fait que la réserve est un droit successoral, Par biens existants,29(*)on entend tous ceux dont le de cujus est resté propriétaire jusqu'à son décès mais n'y figurent pas des droits viagers (usufruit, usage, habitation, rentes, pensions ) dont le défunt était titulaire. - Les biens disposés sont estimés d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession. Ensuite sont déduites les dettes laissées par le défunt au jour du décès, s'y ajoutant les charges et dettes postérieures au décès mais qui trouvent leur cause dans celui-ci (comme les frais funéraires, frais de liquidation et de partage de la succession, etc.). L'actif net ainsi déterminé, on y ajoute tous les biens que le défunt a disposé soit entre vifs, soit à cause de mort. Quant à l'évaluation, le principe est l'évaluation des biens donnés au jour du décès, en fonction de leur état au jour de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession. Et lorsqu'il s'agit de biens qui, par hypothèse, n'ont pas quitté le patrimoine du donateur, l'évaluation ne peut être faite qu'au jour du décès, et en fonction de l'état de ce jour même. Tandis que si les biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur valeur à l'époque de l'aliénation et s'il ya eu subrogation, on tiendra compte de la valeur des nouveaux biens, au jour de l'ouverture de la succession.30(*) Soulignons que la masse de calcul doit correspondre autant que possible à ce qu'aurait été le patrimoine du défunt à son décès s'il n'avait aucunement disposé à titre gratuit. La masse de calcul ainsi trouvée, on peut déterminer le montant de la réserve et la quotité disponible. B.2. Montant de la réserve et de la quotité disponible En droit rwandais, sans tenir en compte du régime matrimonial, l'art.31 al. 2 et 3 de la loi n°22/99 du 12 Nov. 199 fixe le maximum de la quotité disponible à 1/5 si le disposant a au moins un enfant et 1/3 en absence d'enfant. Par déduction, le montant de la réserve est au minimum 4/5 en présence d'enfant et 2/3 si le donateur n'a pas d'enfant. Quant au droit congolais, aux termes de l'art. 759 « les héritiers de la première catégorie reçoivent les ¾ de l'hérédité. Le partage s'opère par égales portions entre eux et par représentation entre leurs descendants ». Qui plus est l'importance de la quotité disponible dépendant de la présence d'enfants ou non, l'on peut se demander comment se ferait le calcul si tous les enfants ont renoncé à la succession ou ont été déclarés indignes. En se référant à F. TERRE et Y. LEQUETE, l'héritier venant effectivement à la succession ayant seul droit à une part de réserve, et le renonçant ou l'indigne étant censé n'avoir jamais été héritier, la solution devrait être qu'on tienne compte des événements postérieurs au jour de l'ouverture de la succession.31(*) De notre part, le calcul de la quotité disponible et de la réserve s'effectue, donc dorénavant sans tenir compte des héritiers réservataires ayant renoncé à la succession ou déclarés indignes. * 19 LOUIS BACH, Op.Cit.,p 290 * 20 Idem. * 21 A. BRETON, Leçons de droit civil et libéralités, éd. MONTCHRESTIEN, Paris, 1982, p.175. * 22 Idem, p. 180. * 23 A BRETON, Op. cit., p.175. * 24 Loi n°87-010 du 1er Août 1987 portant code de la famille. * 25 A. BRETON, Op. cit., p.304. * 26 Titre honorifique donné à une personne qui vient de décéder et laissant une succession. Abréviation usuelle de l'expression latine « is de cujus successione agitur » (celui de la succession duquel il s'agit), qui sert à désigner la personne décédée dont la succession est ouverte (Voy G. CORNU. Vocabulaire juridique, 7e éd. PUF, Paris, p.19. * 27 HABIMANA Pie, De l'action en rétrocession en cas de libéralités excessives en droit positif rwandais, Mémoire, U.N.R, inédit, 2009, p. 12. * 28 Loi n° 71-523 du 3 Juillet 1971, dans J.O du 04 Juillet 1971 portant code civil français. * 29 LOUIS BATCH, Op. cit., p. 304. * 30 Idem . * 31 F. Terré et Y. Lequete., Grands arrêts de la jurisprudence civile, 2e éd. Dalloz, Paris, 1997, p.24. |
|