3.2 Vivre la ville
autrement
L'une des choses les plus marquantes à Christiania
concerne le rapport à la ville et la façon de vivre la
ville :
Notes de terrain
Les routes sont en réalité des chemins de
terre ou pavés, tout ce qui est communément appelé
« mobilier urbain » est quasiment absent, exception faite
du mobilier réellement utile et directement fonctionnel :
poubelles, bancs... Il n'y a pratiquement pas de réverbères, du
fait de la volonté d'économiser l'électricité, ce
qui crée une atmosphère très sombre, en particulier
l'hiver lorsque la nuit tombe dès 15h30 et que Christinia est
plongé dans le noir. Il n'y a pas non plus de plaques de rues
étant donné qu'il n'y a pas officiellement d'adresses (à
l'exception d'une rue en hommage à une célèbre chanteuse
de reggae danoise d'origine jamaïcaine décédée dans
un accident de voiture : Natasja's Gade). Des panneaux de communications
sont en revanche disposés dans de nombreux endroits. Ils annoncent
souvent des journées d'actions (`aktionsdag') qui sont ouvertes à
la bonne volonté de tous. Il s'agit souvent en l'occurrence de venir
aider au nettoyage des chemins, des berges du lac, ou bien de réaliser
des constructions un peu plus importantes. Il y a en revanche plusieurs espaces
pour enfants avec balançoires, toboggans... Il y également
quelques toilettes et des range-vélos. Les voitures étant
interdites il y a une borne rétractable à une entrée, et
peu de places de stationnement à l'extérieur. Les sucettes
publicitaires, abris-bus, et toutes les petites choses qui contrôlent
l'usage que l'on a traditionnellement de la ville (potelets, carrefours,
passages piétons, trottoirs, etc...) sont ici inexistants et
remplacés par des oeuvres d'art (parfois très sommaires il faut
le reconnaitre), laissant transpirer une ambiance et un sentiment de
liberté.
Cette observation est confirmée par le récit qui
est fait par John Jordan et Isabelle Fremeaux dans « Les sentiers
de l'utopie » : « Nous marchons le long d'un
mur de fortification de ce qui ressemble, de l'extérieur, à une
cité médiévale. Au bout de quelques minutes, nous nous
retrouvons face à une arche de pierre marquant l'entrée de cette
mystérieuse enclave. Soudain, c'est comme si nous avions
pénétré un autre monde ou une autre époque. Au lieu
de la ville frénétique que l'on vient de laisser derrière
nous, l'endroit est incroyablement paisible. Pas de lampadaires, pas de
néons, pas de panneaux publicitaires. Au lieu des cris stridents des
klaxons et du brouhaha assourdissant des moteurs, il n'y a que le calme des
rues pavées et des simples chemins de terre battue où seuls
circulent vélos et piétons. Nous sommes au coeur d'une capitale
européenne et, pourtant, on peut respirer, voir les étoiles,
discuter sans avoir à élever la voix ! Bienvenue à
Christiania, « Libre Ville » depuis 1971, chef-lieu de
l'imprévu » (FREMEAUX & JORDAN 2011 : 269).
Ce qui est valable à Christiania pour le mobilier
urbain, l'est encore plus en ce qui concerne l'architecture. La fantaisie
architecturale de Christiania contraste très nettement avec
l'homogénéité architecturale des centres-villes
modernes : « les bords du lac sont parsemés de
maisons fabriquées au cours des années par les Christianites,
avec pour seules restrictions leurs goûts, leurs envies, leurs fantasmes.
On y trouve au hasard une maison flottante, un luxueux chalet de bois ou une
habitation entièrement faite de verre ; plus loin, une sorte de
vaisseau spatial semble posé à côté d'un arrangement
complexe de baraques de chantier décorées de peintures
d'inspiration népalaise » (ibid. 271).
L'architecture joue aujourd'hui un rôle majeur dans
l'organisation et la pratique de la ville puisqu'elle a été
associée à une idéologie liant à la fois des
dimensions esthétique, historique, mais surtout aussi économique.
Ce n'est pas un hasard si dans nos sociétés l'architecte occupe
une place à part et est considéré comme une profession
intellectuelle supérieure. Il se distingue clairement des autres
métiers de la construction (pour la plupart manuels), distinction qui
est le résultat de la division du travail, et qui élève
l'architecte au rang de spécialiste et d'intellectuel (dans la mesure
où il est celui qui est capable d'imaginer le futur bâtiment parce
qu'il maitrise les mathématiques, la géométrie, qu'il peut
visualiser et créer un plan avec les bonnes proportions, etc...)
(SEGAUD, 2010).
|