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Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?

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par Félix Rainaud
Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012
  

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Troisième partie : Un lieu symbolique

3.1 Une « ville libre »  au coeur de la capitale

Christiania s'insère dans le quartier de Christianshavn (littéralement « le port de Christian »), le plus vieux quartier de Copenhague. On constate également sur cette carte que Christiania se situe à moins d'un kilomètre de tous les lieux de pouvoir danois : le commissariat central de police (en bleu sur la carte), le parlement (en vert), le palais royal (en rouge).

Comme Paris, la ville de Copenhague peut être définie comme une « ville primate » selon la définition que Mark Jefferson avait proposée en 1939 : une ville au moins deux fois plus grande que la deuxième ville d'un pays, signifiant une disproportion importante entre la première et la deuxième ville du pays. D'après les chiffres de la banque de statistiques du Danemark14(*), la ville de Copenhague compte en 2012, 1 213 822 habitants15(*) quand la deuxième ville du Danemark, Aarhus, en compte 314 545.

Bien qu'en pratique, comme le rappellent Yves GRAFMEYER et Jean-Yves AUTHIER (2008 : 12), « les critères de la taille et de la densité du peuplement ne suffisent certes pas à distinguer ce qui est ville de ce qui ne l'est pas, d'autant plus qu'ils sont sujets à d'inépuisables controverses socio-culturels différents. Mais on ne peut pas non plus faire abstraction de ces indicateurs commodes qui traduisent, tant bien que mal, l'une des dimensions constitutives du fait urbain ».

Les villes primates, en tant que fait urbain, ont ainsi davantage tendance à être des pôles d'attraction de la population qui tendent ainsi à grossir et s'étendre de plus en plus.

D'un simple regard sur une carte du centre-ville de Copenhague, on s'aperçoit que la « commune libre de Christiania » (en orange sur la carte ci-dessus) occupe une place centrale dans la capitale danoise en terme de géographie, basée sur les anciennes fortifications, qui jusqu'à il y a 150 ans bordaient la ville.

Le phénomène urbain renvoie inévitablement à l'idée de centralité : « Centralité du marché qui permet et régule les échanges économiques ; centralité du pouvoir qui contrôle, redistribue, et institue des règles de coexistence entre les groupes sociaux ; centralité des dispositifs qui organisent la division technique et sociale du travail ; centralité, aussi, des lieux de culte, de loisir, et plus généralement de tous les services offerts par la ville. Les propriétés géométriques de l'espace, l'antériorité historique du noyau initial à partir duquel la ville s'est étendue, les représentations symboliques qui lui sont associés, sont autant d'éléments qui tendent à faire du coeur géographique de l'agglomération le principal point d'appui et le lieu emblématique d'un grand nombre de fonctions centrales » (Ibid. 14).

Cette définition de la ville à la lumière du concept de centralité permet certainement de comprendre pourquoi Christiania a pu apparaitre comme un quartier « banal » de Copenhague, un quartier comme un autre, et ainsi développé un contre-discours de promotion du freetown face à la stigmatisation, la marginalisation et la répression. On retrouve en effet à Christiania tout ce qui détermine le caractère « central » d'une ville d'après la définition donnée ci-dessus : une économie et un système politique parallèles aux autres quartiers du centre-ville, des lieux de culte (un temple bouddhiste par exemple) et de loisir (les nombreux parcs pour les enfants, l'écurie, les promenades autour du lac...) ainsi que des services (épicerie, médecin...). Christiania pourrait donc être défini comme un phénomène urbain « marginal » ou « contre-culturel », intégré dans un phénomène urbain « classique » ou « traditionnel ». On peut dès lors émettre l'hypothèse que sa popularité ne serait pas la même aujourd'hui si les éléments principaux de la notion de centralité, que l'on retrouve dans tous les centres-villes, n'y existaient pas. En effet, de nombreuses personnes viennent profiter de services proposés soit exclusivement à Christiania (achat de haschich en pleine rue ou la possibilité de fumer un joint avec des risques limités), voire d'autres services qu'ils pourraient aussi retrouver ailleurs dans le centre-ville de Copenhague (parcours de footing, produits bio...).

Pour Yves GRAFMEYER et Jean-Yves AUTHIER, « si l'on veut étudier une population particulière, il faut se donner les moyens d'identifier les personnes concernées [...] une première façon de procéder consiste à délimiter à priori un sous-ensemble présentant une relative homogénéité au regard d'un critère que l'on juge pertinent compte tenu de l'objectif de la recherche (Ibid. 22)». Dans certains cas il s'agira alors de s'orienter vers des critères démographiques comme l'âge ou la structure du ménage, dans d'autres le critère sera celui de la position socio-professionnelle, l'origine géographique ou encore le type d'habitation.

En ce qui concerne la population de Christiania, les autorités ont cherché à évaluer la « réalité sociologique » de la « ville libre » en 2004. Une commission de dix fonctionnaires a alors eu en charge de « cartographier la cité et ses habitants » en dix mois. Les conclusions de ce rapport sont présentées par Hans Drachmann dans un article pour le quotidien Politiken et repris par Courrier International. D'après le rapport, Christiania comptait officiellement 878 habitants et « les chiffres montrent que la population ne se renouvelle pas beaucoup. En une décennie, les habitants ont, en moyenne, vieilli de... dix ans. En fait, la moitié des habitants ont entre 30 et 49 ans et, malgré les 150 enfants dénombrés, il y a peu de jeunes et presque pas de personnes âgées ». Ces chiffres confirment le constat que la population ne s'est pas renouvelée et s'est plutôt au contraire installée à Christiania. « Par ailleurs, alors qu'on s'attendrait à une rigoureuse égalité entre les sexes, Christiania compte une majorité d'hommes. `Sur le plan démographique, Christiania est un quartier de quadras', constate la `commission Christiania' » rapporte ce même article. Une autre conclusion du rapport concerne les immigrés à Christiania : contrairement à Copenhague qui compte de nombreux immigrés, en particulier d'Afrique et du Moyen-Orient, et malgré l'image de « sanctuaire de tolérance » et un « antiracisme militant », « [Christiania] ne compte presque pas d'immigrés extra-européens ». Ceci s'explique par le système de cooptation d'une part et le manque de logement à Christiania, puisqu'il n'est plus possible de construire de nouveaux bâtiments. Par comparaison, en 1978, d'après l'ouvrage de CATPOH, et signe de l'ouverture des Christianites, au début de l'hiver, « on pouvait compter 750 personnes vivant en permanence à Christiania, 293 venant de Copenhague, 227 d'autres régions du Danemark et 230 de pays étrangers. Il faut ajouter à ce nombre plusieurs dizaines de personnes ne faisant qu'un séjour assez court dans la commune, en particulier des étrangers. »

On observe donc une grande homogénéité à Christiania vis-à-vis de ces données démographiques.

En matière d'habitat, le rapport indique que les habitants de Christiania jouissent de 50 mètres carrés en moyenne contre 44 mètres carrés pour les habitants des autres quartiers de Copenhague. Toutefois, cette moyenne ne doit pas masquer de grandes inégalités concernant le logement à Christiania : de grandes maisons très spacieuses et manifestement très confortables côtoient des logements très précaires, qu'il s'agisse de caravanes, ou des maisons sans eau chaude ni toilettes. Le rapport indique également qu'un habitant sur trois travaille, un autre tiers touche une allocation ou une pré-retraite, le reste n'ayant pas de revenus connus, et qu'en moyenne les revenus imposables des Christianites sont de 14 250 euros, soit la moitié de ce que gagnent les habitants de Copenhague. De plus, un habitant de Christiania sur trois gagne moins de 6 700 euros par an, et seul un sur huit gagne plus de 27 000 euros. Toutefois ces données ne doivent pas être prises comme un révélateur de précarité car d'une part « les habitants de Christiania vivent souvent en autarcie au sein d'une économie parallèle », mais aussi parce que la vie en communauté leur procure d'autres liens de solidarité (basés sur l'échange ou le don) que les liens de voisinage ou familiaux traditionnels. « Globalement, conclut l'article, les chiffres recueillis par la commission donnent une image contrastée de Christiania Une partie importante des 878 habitants a un emploi, des revenus confortables, et de bons logements. Une autre a de gros problèmes sociaux, consomme beaucoup d'alcool et de haschisch. On y trouve même quelques Groenlandais marginalisés, ajoute la commission, qui n'a pas voulu être prise en défaut de précision ».

En outre, d'après l'article, les habitants de Christiania possèdent plus de voitures par personne que les habitants de Copenhague. Cela confirme ce que l'on observe le long du mur d'enceinte qui longe la route (Refshalevej) où des dizaines de voitures sont garées, les voitures étant interdites dans Christiania. Ceci est un réel paradoxe : l'écologie est l'un des sujets les plus chers aux Christianites, au point qu'ils ont interdit la circulation aux voitures dans le freetown, mais ceux-ci ont plus de voitures que les autres habitants de Copenhague. Toutefois, ce paradoxe ne doit pas occulter le rapport à la ville différent qui a été promu et qui existe encore à Christiania.

* 14 http://www.statistikbanken.dk

* 15 Si l'on considère l'aire métropolitaine de Copenhague, « Hovedstadsområdet », soit les communes de Copenhague, Frederiksberg, Albertslund, Brøndby, Gentofte, Gladsaxe, Glostrup, Herlev, Hvidovre, Lyngby-Taarbæk, Rødovre, Tårnby and Vallensbæk, ainsi que certaines parties de Ballerup, Rudersdal, Furesø, Ishøj and Greve.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams