Chapitre I. : Etude de perception
L'étude de perception s'est basée
principalement sur des interviews en focus groups. Au
total, 321 personnes se composant en 27 % de chefs d'exploitations, 49 % de
femmes et 24 % de jeunes, furent rencontrées dans l'ensemble des cinq
villages lors de la phase d'enquête qualitative. Les perceptions que les
populations se font du Parc W sont traduites par leur degré de
convoitise des différents éléments constitutifs du Parc.
Mais avant, il conviendrait de s'attarder un peu sur certaines remarques
effectuées lors des enquêtes.
La quiétude des différents groupes
rencontrés se trouve troublée dès lors où le mot
parc est mentionné. Autrement dit, les riverains du Parc W n'aiment pas
parler de ce dernier. En particulier, les activités de chasse et de
pêche sont des sujets tabous. Hors mis les villages de Nangbanli et
Tchontchonga où les vieux ont exprimé leur besoin en viande
sauvage, cette dernière semblait non désirée. Ceci est
d'autant plus vrai que seulement 15 % des hommes enquêtés ont
reconnu pratiquer les activités de chasse et de pêche ; alors
qu'au cours de l'exercice de notation (entre 0 et 10) de ces deux
activités selon leur importance, la grande majorité des
enquêtés a donné des notes différentes de
zéro. Ce qui présage que plus des 15 % des hommes
enquêtés pratiquent la chasse.
De plus, des cas de commercialisation illégale
de viande sauvage nous ont été rapportés par des personnes
ressources. Les villages de Nangbanli, de Lada et de Gnimbwama ont
également été indexés par rapport à
l'ampleur du phénomène de braconnage. Par ailleurs, la
pénétration clandestine dans le Parc semble admise dans la zone.
En réalité, au cours de l'enquête qualitative, à la
question de savoir quelles difficultés caractérisaient certaines
de leurs activités quotidiennes telle que la récolte des Produits
forestiers non ligneux (PFNL) et l'artisanat, les premières
difficultés citées par la population cible sont les
problèmes de saisies, et les excès12 commis par les
pisteurs. Ce n'est qu'après que la raréfaction des ressources
naturelles dans le terroir villageois est citée. Suite à ces
observations, il apparaît évident que la fraude est perçue
par les riverains du Parc comme une stratégie qui contribue à
garantir leur survie.
12 Il s'agit entre autres des séances de
bastonnade et de manoeuvre des personnes appréhendées, et du
massacre des caprins en cas d'infraction.
. 1. Perception des chefs d'exploitation
Le Parc constitue pour les populations situées
à sa périphérie une contrainte pour leur satisfaction en
produits forestiers. Le genre constitue un facteur déterminant de ces
besoins. En outre, les besoins en produits forestiers d'un genre donné
dépendent des responsabilités ou des activités qui lui
sont assignées.
Ainsi, les hommes qui occupent une grande
responsabilité dans la construction des maisons et des greniers
accordent un grand intérêt à la paille et au bois de
construction. Un intérêt non moins important est accordé
aux plantes médicinales. Aussi, leurs anciens champs aujourd'hui dans le
Parc sont les constituants les plus convoités. Autrement dit, les hommes
demandent à ce qu'on leur concède une partie du Parc. Ce
phénomène de convoitise de la terre est grandissant à
cause des effets combinés de l'augmentation démographique et de
la baisse de fertilité des sols.
Après les constituants13 ci-dessus
cités du Parc (paille, bois de construction, plantes médicinales,
champs), viennent les facteurs de production de l'activité
d'élevage à savoir les sources d'eau et les pâturages
naturels. Le grand attachement des habitants de Kotchari à
l'activité d'élevage, la raréfaction du fourrage et des
points d'eau en saison sèche, la presque inexistence de pâturages
en saison pluvieuse sont entre autres les déterminants du haut
degré de convoitise de ces facteurs de production de
l'élevage.
Les autres produits du Parc tels que le charbon pour
les forgerons, le gibier, le miel, le pain de singe, les raisins sauvages et le
tamarin intéressent dans une moindre mesure cette frange de la
population.
.2. Perception des jeunes
La traduction de la perception que les jeunes se font
du Parc à travers les éléments convoités ne
s'écarte pas trop de celle des chefs d'exploitation. Cet état des
choses peut s'expliquer, d'une part, par le fait que les jeunes recherchent
souvent des produits forestiers pour leurs pères, et, d'autre part,
parce que le plus souvent, n'étant pas loin du statut de chef
d'exploitation, ils exercent à peu près les mêmes
activités.
13
Il faut tout de même relativiser cet ordre de succession
des produits forestiers, car les CE Peul ne mettent rien devant les facteurs de
production de l'élevage.
Les particularités au niveau de ce genre sont
entre autres, l'intérêt qu'il accorde au pain de singe et au
tamarin perçus comme une bonne source de revenu, car atteignant
respectivement 20 000 et 3 000 F CFA le sac de 100 Kg, et les solutions qu'ils
proposent pour atténuer les effets pervers du Parc sur ses riverains.
Ainsi, contrairement aux parents qui souhaitent la restitution d'une partie du
Parc, la majorité des jeunes souhaite que des permis de
prélèvement leur soient octroyés. Ce constat montre que
les jeunes ont mieux intégré l'existence du Parc dans leur vie
par rapport aux personnes âgées.
.3. Perception des femmes
Dans le terroir de Kotchari, les femmes ont pour
activité principale le ménage. Elles pratiquent également
l'agriculture et l'élevage à petite échelle car n'ayant
pas droit à la terre. C'est probablement la raison pour laquelle les
groupes de femmes rencontrés dans le cadre de cette étude de
perception n'ont pas tellement fait ressentir des besoins en terre, en
pâturage, ou en eau d'abreuvement du bétail. De même, la
paille et le bois d'oeuvre ou de construction ne représentent pas
grand-chose à leurs yeux.
En revanche, le bois de chauffe, le pain de singe, le
tamarin, les grains de néré pour le soumbala, les tisanes, l'eau
de boisson en saison sèche sont les constituants du Parc qui retiennent
le plus l'attention de ces femmes. Le principal facteur déterminant de
ce phénomène est la raréfaction de ces produits dans les
espaces villageois suite à la forte pression exercée sur les
ressources naturelles, induite elle-même par l'augmentation de la
population. Un autre facteur explicatif de l'engouement des femmes
vis-à-vis de ces produits se trouve dans les petites activités
génératrices de revenus qu'elles exercent très souvent. Il
s'agit entre autres de la production du dolo (la bière du sorgho
exigeante en bois et en eau), du commerce de la farine des fruits du baobab, du
tamarin et du soumbala.
Chapitre II : Evaluation des impacts 2. 1. Impact
socio-économique
Dans le souci d'une meilleure présentation des
résultats de l'étude d'impact nous traiterons d'abord, (1) de
l'impact relatif au foncier. Ensuite, sera présenté (2) l'impact
relatif aux produits forestiers. Enfin, (3) les pratiques adaptatives mises en
place par les paysans pour faire face aux conséquences liées
à l'existence du Parc seront appréhendées.
2. 1. 1. Impact en relation avec le foncier
Les premiers changements dus à l'existence du Parc
sont relatifs à la réduction des espaces villageois et ses
conséquences.
Le Parc W a acquis son statut d'aire
protégée depuis 1926. A cette époque, la province de la
Tapoa se caractérisait par de très faibles densités de
population. Ainsi, la délimitation du Parc a donné lieu à
des déguerpissements, et les populations concernées se sont vues
refoulées. On assiste à l'époque, à une
légère augmentation des densités de population, d'une
part, et d'autre part, à une amélioration de la cohésion
sociale avec des communautés qui, autrefois, étaient très
éloignées.
De nos jours, la croissance démographique de la
zone d'étude met à nu la réduction de l'espace par le
Parc, et cela à travers la raréfaction des ressources naturelles
dont la terre.
Les systèmes de production rencontrés
dans le terroir de Kotchari sont du type extensif. La restauration de la
fertilité des sols dans ces systèmes est assurée par la
mise en jachère lorsque la disponibilité en terres cultivables
est importante. Cependant, les données du tableau 3 montrent que la
pratique de la jachère est en baisse dans les villages
enquêtés.
Tableau 3 : Répartition des enquêtés
par rapport à l'utilisation de la jachère
|
Pratique de jachère
|
Statut
|
Non
|
Oui
|
Total
|
Autochtone %
|
96
|
15
|
111
|
86
|
14
|
100
|
Allochtone %
|
8
|
1
|
9
|
89
|
11
|
100
|
Total %
|
104
|
16
|
120
|
87
|
13
|
100
|
Source : Données de l'enquête
Le tableau ci-dessus est le résultat du
croisement des deux variables, statut et adoption de la jachère comme
stratégie agricole. Ainsi, outre le fait de donner des informations sur
le degré d'adoption de la jachère, le tableau donne des
indications sur l'origine des enquêtés. La question de savoir si
l'enquêté pratique la jachère ou pas, s'est adressé
aux 120 personnes de notre échantillon. Au total, 104
enquêtés dans l'ensemble des villages ne se livrent pas à
la pratique, et cela à cause, principalement du manque d'espace
cultivable.
Ainsi, la jachère n'est pratiquée que
par seulement 13 % des personnes touchées au cours de l'enquête.
Ceci dépeint un peu la situation foncière dans laquelle se
trouvent les villages riverains du Parc. Au regard des proportions du tableau,
il apparaît évident que le statut d'autochtone ou d'allochtone ne
constitue pas un facteur déterminent dans la non adoption de la
jachère. En effet, respectivement 86 et 89 % des autochtones et
allochtones ne pratiquent pas la jachère. Autrement dit, la
raréfaction des terres cultivable sévit aussi bien chez les
autochtones que chez les allochtones.
Aussi, les ratios superficie de terre disponible sur
taille de l'exploitation, consignés dans le tableau ci-dessous,
traduisent bien le phénomène de raréfaction de la
terre.
Tableau 4 : Répartition des exploitations selon le
ratio superficie de terre disponible sur taille de l'exploitation
Village
|
classes du ratio
|
] 0; 1]
|
] 1; 2]
|
] 3; + [
|
Total
|
Gnimbwama %
|
9
|
3
|
0
|
12
|
75
|
25
|
0
|
100
|
Nangbanli %
|
12
|
0
|
0
|
12
|
100
|
0
|
0
|
100
|
Lada %
|
9
|
2
|
1
|
12
|
75
|
16,67
|
8,33
|
100
|
Todouanga %
|
9
|
3
|
0
|
12
|
75
|
25
|
0
|
100
|
Tchontchonga %
|
12
|
0
|
0
|
12
|
100
|
0,00
|
0,00
|
100
|
Total %
|
51
|
8
|
1
|
60
|
85
|
13,33
|
1,67
|
100
|
Source : Données d'enquête
Ce tableau 4 est le fruit du croisement de la variable
village, et du ratio, superficie de terre disponible sur taille de
l'exploitation. Pour éviter les discontinuités, les ratios
exprimés en ha par membre de l'exploitation, ont été
regroupés en trois classes. La classe] 2 ; 3] se caractérisant
par des fréquences nulles a été ignorer lors de la
présentation du tableau.
85 % des exploitations enquêtées
disposent de moins d'un hectare (1 ha) par individu et seulement 2 % disposent
de plus de trois hectares (3 ha). Ce ratio peut s'avérer impertinent
échelle national à cause du fait que tout le monde ne pratique
pas l'agriculture. Cependant dans un milieu où l'économie n'est
basée que sur les ressources naturelles il peut être
considéré comme un bon indicateur de pression sur la
terre.
Par ailleurs, au sein des populations
enquêtées, la terre n'appartient qu'à l'homme. C'est
pourquoi les superficies de terres rapportées au nombre d'hommes dans
l'exploitation (Tableau 5) reflètent mieux le phénomène de
raréfaction de la terre.
Tableau 5 : Répartition des exploitations selon le
ratio superficie de terre disponible sur nombre d'hommes de
l'exploitation
Village
|
Classes du ratio
|
] 0; 1]
|
] 1; 2]
|
] 2; 3]
|
] 3; + [
|
Total
|
Gnimbwama %
|
6
|
2
|
4
|
0
|
12
|
50
|
16,67
|
33,33
|
0
|
100
|
Nangbanli %
|
9
|
3
|
0
|
|
12
|
75
|
25
|
0
|
0
|
100
|
Lada %
|
7
|
3
|
1
|
1
|
12
|
58,33
|
25,00
|
8,33
|
8,33
|
100
|
Todouanga %
|
5
|
4
|
2
|
1
|
12
|
41,67
|
33,33
|
16,67
|
8,33
|
100
|
Tchontchonga %
|
10
|
2
|
0
|
0
|
12
|
83,33
|
16,67
|
0
|
0
|
100
|
Total %
|
37
|
14
|
7
|
2
|
60
|
61,67
|
23,33
|
11,67
|
3,33
|
100
|
Source : Données de l'enquête
Le tableau 5 résulte du croisement de la
variable village, et du ratio, superficie de terre disponible sur nombre
d'homme de l'exploitation. Pour éviter les discontinuités, les
ratios exprimés en ha par homme de l'exploitation, ont été
regroupés en quatre classes.
Ainsi, dans 62% des exploitations
enquêtées, chaque homme dispose de moins d'un hectare de champ
qu'il devra repartir équitablement entre ses fils. On assiste donc
à une raréfaction croissante des terres cultivables dans la
périphérie du W. Cette raréfaction des terres induit deux
autres phénomènes que sont la surexploitation des terres
disponibles et la forte compétition foncière entre l'agriculture
et l'élevage.
Le premier phénomène est à
l'origine de processus bien connus à savoir la dégradation des
sols, la baisse des rendements agricoles, et partant l'augmentation de la
pauvreté. Cependant, les différentes exploitations adoptent de
nouvelles stratégies de production pour faire face à ces
difficultés (cf. sous-section 2.1.3, p.34).
Le second phénomène, c'est-à-dire
la compétition foncière entre l'agriculture et l'élevage
se solde comme partout au Burkina par une ascendance de l'activité
agricole (cf. photo n°1).
Photo n°1 : Occupation d'espace pastoral par un
champ de coton (cliché de l'auteur)
Ceci achève de rendre difficile la pratique de
l'activité d'élevage. En effet, la raréfaction des
pâturages est plus poussée surtout pendant les campagnes
agricoles. Or, en plus du fait que le terroir est une zone de transit et
d'accueil pour les transhumants (SAWADOGO, 2004), les populations qui s'y
trouvent sont fortement attachées à l'activité
d'élevage. Le cheptel à contenir hors des champs est très
important, si bien que les conflits éleveurs/agriculteurs sont
récurrents. Le phénomène prend de l'ampleur d'année
en année et les figures n°1 et 2 traduisent cet état des
choses.
Nombre de conflits
350
300
250
200
150
100
50
0
2005-2006 2006-2007 2007-2008
175
Campagnes agricoles
271
298
Cumuls des conflits
Figure n°1 : Evolution des conflits au sein de la
population enquêtée.
pourcentage d'enquetes
40%
60%
50%
30%
20%
10%
0%
53
2005-2006 2006-2007 2007-2008
24
13
54
campagnes agricoles
35
33 2932
15
9
8
24
8
8
0
]0; 2] ]2; 4] ]4; 6] ]6; +[
Figure n°2 : Evolution du pourcentage
d'enquêtés par rapport au nombre de conflits par
campagne
Au regard des figures, au cours des trois
dernières campagnes agricoles, le nombre total de conflits pour ce qui
est des exploitations enquêtées a connu une hausse
régulière, passant de 175 en 2005-2006 à 298 en 2007-2008
(Figure n°1). Plus spécifiquement, le pourcentage
d'enquêtés n'ayant pas été impliqués dans un
conflit au cours de la même période est passé de 53
à 29 %, tandis que celui des enquêtés ayant
été 3 ou 4 fois impliqués ou plus de 6 fois par campagne
à pratiquement doublé ; allant de 13 à 24 % (cf. figure
n° 2). Par ailleurs, la part des enquêtés ayant
été au moins une fois acteurs dans un conflit est passée
de 47 % à 71 % au cours des trois campagnes. Cette situation n'est pas
de nature à faciliter l'une ou l'autre des deux activités. En
réalité, les dégâts causés par le
bétail sur les cultures provoquent une baisse des productions
végétales. On assiste également à une
réduction du cheptel par vente car 49 % des enquêtés
vendent souvent leurs animaux pour éviter les
dégâts.
Face à ces difficultés, les paysans
adoptent un certain nombre de stratégies qui sont entre autres, le
pâturage illégal dans le Parc, la réduction du troupeau par
vente ou à travers la transhumance, l'utilisation des résidus de
culture, la recherche de fourrage. Au nombre des stratégies
précitées, il conviendra de s'attarder sur quelques-unes qui
peuvent jouer négativement sur l'activité de production animale
(cf.2.1.3, p.34).
|