4 Pour Philippe, être parent de tous les enfants
: une question de génération
Philippe s'est marié à Ruth à l'âge
de 24 ans. Tou-te-s deux ont eu trois enfants : Julien, Maéva et Yoann.
A 42 ans, Philippe divorce et ses enfants restent vivre avec leur mère.
Il rencontre Odile, sa seconde épouse et s'installe avec elle. Odile vit
alors avec ses deux enfants, Emilie et Romain.
Julien et Maéva ont quitté le domicile de leur
mère, il y a une dizaine d'années. Préférant, selon
Philippe, « vivre avec des « frères et soeurs »
» (les guillemets sont de lui), Yoann est venu vivre avec son
père. Puis, quatre ans plus tard, Maéva reprend ses études
et emménage chez Philippe et Ruth pour repartir trois ans
après.
Entre temps, Emilie est partie vivre de son côté.
Au moment de l'entretien, seuls Yoann et Romain vivent encore avec mon
interlocuteur et sa compagne. Romain vient de trouver du travail et envisage,
selon Philippe, de quitter la maison d'ici peu.
Philippe se considère comme un « vrai
père » et un « faux père
»151. Selon lui, c'est la même chose pour Odile dans
l'autre sens.
4.1 La notion de « parent » : éduquer et
transmettre
Pour lui, un parent est à la base celui ou celle qui a,
génétiquement, engendré l'enfant. Ensuite, la loi ou
simplement l'ordre social, s'appuyant sur cette idée, donnerait au
parent des droits et des devoirs. En disant cela, Philippe oublie les cas
d'adoption et d'IAD dans lesquels une partie ou l'ensemble des parents n'a pas
engendré l'enfant. Ils/elles ont pourtant également des droits et
de devoirs vis-à-vis de celui/celle-ci. Et le parent d'origine, dans le
cas de l'adoption, perd l'autorité parentale. En cas d'adoption
plénière, c'est même toute la filiation qui est rompue et
l'enfant est dit « né-e de » ses parents
adoptifs152.
Philippe souhaite alors s'approcher de la notion de «
responsabilité » : laquelle ou lesquelles ? Il pense que dès
la gestation, un enfant est un être indépendant, destiné
à s'autodéterminer. Le parent n'aurait alors, selon lui, plus de
droits et seulement des devoirs. Faire de l'enfant un adulte responsable
capable d'exister par lui-même, de se gérer seul et de pouvoir,
à terme, faire la même chose avec ses propres enfants. On
reconnaît alors l'idéologie
151 Les guillemets autour de « vrai » et « faux
» ont été systématiquement écrites par
lui-même.
152 Article 354 du Code Civil
dominante, qui a grandit au cours de la seconde moitié du
XXème siècle : l'enfant devient le centre.
Cela impliquerait donc une permanence dans l'éducation,
le transfert de la morale, l'ouverture intellectuelle, l'apprentissage des
essentiels. Pour lui, il s'agit de transmettre. Mais il ne souhaite pas
transmettre tout ce que ses parents lui ont transmis. Ce sont ses propres
analyses, convictions, croyances et idées (adaptées à
l'époque à laquelle ses enfants vivent) qui construisent,
explique-t-il, son propre référentiel.
Il s'est donné quelques règles. Etre permanent
et pérenne dans le discours : il ne veut pas changer les règles
au fil de sa propre vie. Etre toujours juste : ne pas faire de
différence entre les enfants. Etre toujours honnête : ne pas
mentir. Etre simplement moral, ce qui pour lui relève d'un vaste
débat. Enfin, il trouve qu'une chose est primordiale pour que tout le
reste fonctionne, c'est d'aimer. Pour lui, il n'y a pas de parent sans
amour.
Il se pose alors la question de ce qu'est «
aimer » et ce qu'est « aimer ses enfants ». Il
pense qu'il ne devrait pas y avoir d'obligation puisque les enfants seraient,
dès leurs conceptions, des êtres indépendant-e-s. Hors, il
n'aime pas tout le monde. Probablement estce une question d'alchimie de la vie.
Il n'a donc pas de réponse précise.
Pour Philippe, être parent c'est donc éduquer,
transmettre et aimer. Il attribue ces fonctions au géniteur. Cela fait
penser à l'interrogation de Cécile Ensellem sur
L'accouchement sous X : Naître sans mère ? Elle se
demande si on peut ne pas être mère d'un enfant dont on a
été enceinte153. Socialement, un parent est parent
parce qu'il a engendré, reconnu ou adopté l'enfant. En
réalité, on peut engendrer un enfant et ne pas se
reconnaître comme étant le parent. Philippe se situe entre une
position spécifique à la seconde moitié du XXème
siècle qui enjoint aux parents d'aider l'enfant à se «
révéler » lui-même154 et celle qui veut que
les parents transmettent des normes et valeurs aux enfants, de manière
verticale - position qui de toute manière, ne s'est pas
complètement évaporée en 1970, elle s'est
complexifiée dans une logique de construction identitaire. Il ne faut
plus seulement éduquer et transmettre, il faut aimer.
|