4.2 Être parent de tous les enfants sous son toit
153 ENSELLEM Cécile (2004), Naître sans
mère ? Accouchement sous X et filiation, Presse Universitaire de
Rennes, Collection « Le Sens social ».
154 SINGLY François de (2007), op.cit.
Avec les enfants de son épouse, son système
fonctionnerait au même titre que ses propres enfants. Cependant, il
n'oublie pas qu'il et elle ont un père, un « vrai »
précise-t-il. Il ne souhaite pas prendre sa place et il souhaite
être capable de vivre certaines difficultés du type «
T'es pas mon père » : ce que lui avait dit Romain quand il
avait 15 ans. Il ne veut pas pour autant, accepter tout et n'importe quoi.
Même s'il n'est pas le « père », il est un
adulte que l'on doit, selon lui, respecter comme tou-te-s les autres. Cet
adulte, vivant au quotidien avec ses « vrais » ou «
faux » enfants, ne pourrait échapper à sa
responsabilité. Pour lui, l'adulte se doit de dispenser autant aux
un-e-s qu'aux autres, et de la même manière, les
éléments qu'il juge nécessaires de transmettre.
Donc pour Philippe, il est parent de tous les enfants vivant
sous son toit et son attitude vis-à-vis des un-e-s ou des autres doit
être égale, « « vrais » ou « faux »
enfants ». Mais il ne sait pas s'il est « papa »
car, selon lui, cela dépend du sens que l'on met derrière :
génétique, légal, à l'écoute, tendre etc.
Lui ne mettrait rien de particulier derrière ce terme. Il n'est pas
sûr qu'il y ait une réelle définition à ce stade.
Pour lui, il pense que « parent » serait un terme
général qui définirait celui ou celle qui assume une
responsabilité de transmetteur-e. Il se situe donc dans ce
cas-là. Alors qu'il pense que « papa » donne une
approche plus nuancée car il apporterait une dimension beaucoup plus
tendre dans la relation. Dans son cas, Emilie et Romain ayant vécu leur
prime jeunesse avec leur père, il et elle l'appellent de fait «
papa ». Philippe est conscient que rentre ici une notion d'habitude
sociale. Le père, c'est « papa » et la mère, c'est
« maman ». Il pense qu'il en est de même dans toutes les
langues et toutes les cultures du monde. Ce qui n'est pas tout à fait
exact puisque dans de nombreuses sociétés, père et
mère sont défini-e-s différemment. Le père peut ne
pas exister et le géniteur être appelé par son
prénom par les enfants, qui le considèrent comme un villageois
quelconque (chez les Na de Chine)155, il peut être une femme
stérile ou ménopausée (chez les Nuer)156, ou
correspondre à tous les frères de l'homme qui a engendré
l'enfant en plus de cet homme (chez les Iroquois)157 etc. Les
appellations sont donc difficilement comparables puisque la place
elle-même n'est pas définie de la même manière.
Philippe pense que s'il les avait eu-e-s beaucoup plus jeunes,
Emilie et Romain l'aurait probablement appelé « papa ». Mais
leur relation, même si elle est, selon lui, extrêmement tendre, ne
pouvait pas se traduire dans ce vocabulaire.
155 HUA Cai (1997) Une société sans père
ni mari, Paris, Presses Universitaires de France.
156 CADORET Anne (1999), « La filiation des
anthropologues face à l'homoparentalité », in Borrillo
Daniel, Fassin Eric, Marcela Iacub (dir), Au-delà du PaCS :
L'expertise familiale à l'épreuve de l'homosexualité,
Paris, Presses Universitaires de France, p.205-224.
157 SEGALEN Martine (2008), Sociologie de la famille
(6ème édition), Paris, Armand Colin.
Ceci révèle l'exclusivité donnée
au père et à la mère, y compris pour les appellations
« papa » et « maman », ce qui est une
spécialité de quelques sociétés occidentales dont
la nôtre. Notre système de parenté est fondé sur un
système bilatéral et sur l'idée d'une filiation construite
exclusivement dans un couple hétérosexuel158. Dans la
logique de notre société, n'entre donc pas la possibilité
d'une pluralité de pères et de mères, de « papas
» ou de « mamans ».
Pour Philippe, « père »
relève clairement de la définition du géniteur. Il pense
qu'il suffit de se référer aux papiers d'identité ou tout
autre document « officiel ». Sa vision du « père
» n'empêche pas, selon lui ses « faux »
enfants, dans certaines circonstances sociales et pour se faciliter la vie, de
l'appeler ou de le présenter comme leur père - mais plus
généralement, comme leur beau-père.
Il pense que tout cela est très compliqué et
relève surtout de la proximité existante entre les un-e-s et les
autres, et de l'histoire vécue entre eux/elles. L'âge des enfants
au début de la relation ainsi que la durée, la
pérennité, et la profondeur vont, selon lui, certainement donner
des utilisations de vocabulaire différentes. Cela dépendrait
aussi des relations entre « vrais » et « faux » parents.
Philippe hésite donc entre une définition
sociale et juridique qu'il perçoit et qui lierait selon lui la
parentalité à l'engendrement, et plusieurs constats au sein de
son parcours de relations existantes de parentalité sans engendrement ni
statut. Dans son récit, il est parti de la définition de «
parent », se posant lui-même les questions de ce que
c'était, son rôle, il approfondit et constate que - par une
démonstration presque mathématique - c'est ce qu'il est
auprès des enfants de sa conjointe. Si parent est un rôle d'un
adulte vers un enfant, alors il n'est plus sûr de la
nécessité d'un engendrement.
Pour lui, transmettre au quotidien passe par les «
règles » de politesse, de courtoisie, de respect, de
propreté, d'ordre, d'horaires, d'apprentissage scolaire etc. Pour
eux/elles, ça aurait été facile car avant les
recompositions familiales, les règles étaient globalement les
mêmes entre les différents parents. Pour lui, l'important est de
les expliquer, d'en faire comprendre l'intérêt et la
nécessité. Elles deviendraient alors incontournables sans
négociation possible.
Afin de se donner le temps de l'échange, et face aux
agendas différents de chacun-e (travail, école, fac, stage),
ils/elles ont convenu d'un temps quotidien durant lequel tout le monde est
rassemblé : le diner. Personne, le soir, ne mangerait dans son coin.
Toute la famille serait réunie et l'échange pourrait avoir lieu
de façon conviviale. Tout le monde entendrait
158 SEGALEN Martine (2008), Sociologie de la famille
(6ème édition révisée), Paris, Armand
Colin.
donc tout le monde pourrait débattre. Il n'y aurait pas
de sujet tabou, ils/elles parleraient de tout - avec des différences
liées à l'âge. Souvent, des questions posées le
matin entre deux portes, se solderaient pas un « on en parle tous
ensemble ce soir au dîner ». Cela laisserait si
nécessaire, le temps à l'enfant de réfléchir plus
loin à sa question. Et aux parents, également, de préparer
leurs réponses. Il arriverait que les parents aient un rapide
échange dans la journée afin de caler leurs idées. Cet
échange est le moyen de faire participer l'enfant pour qu'il ou elle
comprenne lui/elle-même l'intérêt de la chose. Cela
éviterait toute notion de punition ou de coercition. Cela faciliterait
aussi grandement la transmission aux « vrais » ou «
faux » enfants puisque tout le monde suivrait la même
partition.
Cela leur aurait en tout cas permis de ne jamais se mettre en
colère. Philippe ne croit pas avoir une seule fois dû crier ou
avoir entendu crier, ni d'avoir dû punir. Il pense d'ailleurs que cela ne
servirait à rien. Pour lui, si une règle est mal ou pas suivie,
c'est qu'elle n'est pas comprise, donc il souhaite la réexpliquer sans
colère ni heurts.
On voit qu'il y a une recherche d'égalité entre
tous les enfants et d'unicité familiale à travers cet espace, cet
échange et ce temps communs que représente le « repas de
famille ». Je mets des guillemets pour appuyer le fait qu'il s'agit de
toute une construction faite autour de ce temps partagé. Le « repas
de famille », qu'il soit festif ou ordinaire, exceptionnel ou quotidien
sert à rendre physique l'unicité de la famille par un moment et
un espace identifié. C'est un temps d'échange où chacun-e
prend connaissance de ce que devient l'autre, de ce qu'il vit, où l'on
construit des souvenirs communs, des représentations communes. C'est
également un temps où chacun-e réaffirme ou reconstruit sa
place au sein de l'organisation (se traduisant parfois physiquement par une
place à table). Pour Philippe, c'est le moment où tout le monde
peut échanger et débattre ensemble sur une question - et donc
cela participe à construire un point de vue commun, des règles
communes au sein du foyer, avec lesquelles tout le monde sera d'accord.
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