3 Pour François, pas vraiment parent mais «
je la considère comme ma fille » : se définir après
le décès du père statutaire
François commence en me présentant sa
configuration. Il est marié. Son épouse a été
mariée une première fois et elle a eu une fille qui a
actuellement 14 ans et que François connait depuis sept ans. Il
m'explique que le père de Sarah est décédé depuis
un an. Pour lui, la relation entre lui et Sarah est bonne, un peu pudique. Il y
aurait un respect mutuel et en même temps, Sarah serait assez
réservée. Elle ne se confierait pas facilement. Il l'aime
beaucoup. Elle avait six ou sept ans quand tou-te-s deux se sont
rencontré-e-s. Les choses auraient été très
difficiles au début, très compliquées à cause du
contexte du divorce et de la séparation. Puis il y a eu la
résidence alternée : une semaine chez son père, une
semaine chez lui et Michelle. Depuis le décès de Jean-Claude,
elle vit chez eux en permanence.
3.1 Faire plutôt que dire
Pour lui, les choses ont été très claires
dès le départ, puisqu'il lui a bien expliqué dès la
première rencontre qu'il n'était pas son papa et qu'il
n'usurperait pas le rôle de son père. Cela
147 THERY Irène, DHAVERNAS Marie-Josèphe (1993),
« La parentalité aux frontières de l'amitié : statut
et rôle du beau-parent dans les familles recomposées », in
Meulders-Klein Marie-Thérèse, Théry Irène (dir),
Les recompositions familiales aujourd'hui, Paris, Nathan,
p.159-187.
aurait été clair dans la tête de Sarah, et
dans la sienne aussi. Même s'il est là pour l'aider et pour
veiller sur elle, il n'est pas son père. C'est un peu particulier,
explique-t-il. Il pense qu'il la considère plus comme sa fille mais
l'inverse... il ne parvient pas à l'exprimer et ne termine pas ses
phrases. Il reste prudent, mesure ses mots quand ils concernent la relation. Il
m'explique qu'elle est toujours dans son processus de deuil, qu'il ne l'oublie
pas. Une manière de dire qu'il respecte ce moment de la vie de Sarah et
qu'il ne souhaite pas s'imposer comme parent.
Pour lui, sa famille au niveau des enfants est limitée
à Sarah. Il n'a pas d'enfants de son côté et ne pense pas
que lui et Michelle en auront. Il souhaite être là pour que Sarah
se sente bien, en sécurité, pour lui apporter de la tendresse, de
l'aide par exemple sur le plan scolaire. Mais elle est, selon lui, assez
douée donc il n'y aurait pas vraiment besoin de l'assister. Il aime
Sarah et selon lui, elle sait qu'elle peut compter sur lui si besoin est. La
semaine, ce serait plutôt sa mère qui veillerait. Le week-end, ce
serait un peu compliqué depuis quelques temps mais ce serait temporaire.
Michelle et François travaillent un week-end sur deux et donc,
après le décès de Jean-Claude, François a
accepté de prendre de manière temporaire un poste de nuit. Cela
leur faciliterait la tâche au niveau de l'organisation. Cela leur
permettrait d'avoir un « « parent » entre guillemets
» précise-t-il, à tout moment à la maison. Michelle
travaille le dimanche dans la journée par exemple, François
travaille la nuit. Sarah n'aurait juste qu'à le réveiller s'il
arrivait quelque chose. Il pense qu'elle est encore un peu jeune pour
être seule. Dans un an ou deux peut-être. Il souhaite
également être plus proche d'elle car c'est une année
charnière. Sarah est en troisième.
Mais ce serait temporaire et il retravaillerait par la suite
de jour. Alors le week-end, quand sa mère n'est pas là, il
vérifie qu'elle a bien fait ses devoirs, qu'elle n'est pas en
difficulté. Mais de toute manière, Sarah est, selon lui, assez
indépendante. Il arrive qu'il y ait un problème qu'elle n'ait pas
bien compris mais en général, ce serait vraiment une bonne
élève et elle n'aurait pas besoin d'aide. Il ajoute en riant
qu'il l'aide pour dire qu'il l'a aidée.
Et puis, comme elle est dans un club de basket, elle a des
entraînements et des matches alors il l'accompagne
régulièrement et va régulièrement la chercher.
François assure alors sa présence à sa
manière, c'est-à-dire en investissant des manières de
faire reconnues comme plutôt « masculines » auprès de
l'enfant : l'accompagnement dans l'espace public aux activités
sportives, une présence plus appuyée le week-end en
suppléance à la mère quand celle-ci s'occupe des
tâches de la semaine (école, devoirs etc.). Il s'agit d'une
présence « au cas où » sans tâche précise
à effectuer (il peut dormir). Cela rappelle l'étude
d'André Rauch qui précise que les pères s'investissent
davantage dans la socialisation de l'enfant en laissant aux
mères les tâches quotidiennes. Les hommes consacreraient 6% de
leur temps aux devoirs des enfants contre 10% pour les femmes148.
L'investissement « en suppléance » de François ne
correspondrait donc pas seulement à son absence de statut mais à
un investissement plutôt codé comme « masculin » en
général.
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