1.5 Raconter l'investissement des rôles parentaux
dans le cas d'une séparation
Lisa, séparée de Véronique, ne vit plus
avec elle. L'investissement parental est alors raconté
différemment. Lisa explique qu'il faut toujours se réapprivoiser,
se retrouver, ce n'est pas évident d'être un « coparent
divorcé » comme elle s'appelle. A ce titre, elle partagerait
la situation émotionnelle des pères divorcés. Depuis fin
2006, elles formeraient une sorte de « famille recomposée
» avec sa compagne et Thibault. Elle suppose que sa compagne serait une
sorte de « belle-mère » mais elles n'ont jamais
encore employé ce terme. Elle pense qu'elle a peut-être aussi
aimé et choisi sa compagne parce qu'elle la projetait dans ce
rôle-là. Lisa explique qu'elle a insisté auprès de
Véronique afin de lui verser une petite pension alimentaire.
C'était pour elle, symboliquement fort. La pension alimentaire, c'est la
preuve de la participation matérielle, la preuve d'un apport reconnu
communément comme étant celui des pères divorcés.
C'est de plus un apport reconnu comme relevant de la parentalité quand
on n'est pas quotidiennement auprès de l'enfant. C'est la ressemblance
avec des familles reconnues, des parents reconnus.
Elle raconte qu'elle a dû quitter le logement familial
en avril 2001 et elle n'a pu voir Thibault que quelques heures par ci par
là jusqu'aux grandes vacances. Puis elle se serait entendue dire qu'il
était hors de question qu'elle l'ait pendant les vacances car tout
était organisé avec les pères et les grands-parents et que
c'était déjà assez compliqué comme ça. Et de
fait, il ne lui aurait pas été confié. A la rentrée
de septembre, elle a dû appeler pour organiser une rencontre
hebdomadaire. Elle ne sait plus quels termes elle a employés. Elle ne
croit pas avoir dit que Thibault en avait besoin par exemple. Elle ne pense pas
non plus qu'elle ait parlé d'un quelconque droit. Elle ne pense
même pas avoir dit qu'elle était sa mère
ou son parent. Elle pense avoir plutôt parlé de
la configuration sur laquelle s'était construite leur famille, qu'elle
existait et qu'elle tenait à Thibault. C'était plutôt le
registre sentimental selon elle. Mais elle ne se souvient plus.
Elle raconte qu'en août 2006, par
téléphone, Véronique lui a reproché un article paru
dans un magazine sur les ruptures homoparentales, alors qu'elle l'aurait fait
sans haine pour évoquer ce qu'elle considère comme des
échecs. Véronique dit que Lisa les a totalement
abandonné-e-s elle et Thibault. Lisa explose et rappelle ses demandes
répétées qui étaient rejetées, sans issue,
le refus de sa pension alimentaire, le peu dont elle se contentait depuis cinq
ans, jamais une nuit chez elle, aucun week-end, aucune vacances etc. Ce
jour-là d'août 2006, Lisa se souvient avoir parlé d'un
droit tout théorique à avoir Thibault un quart du temps soit une
semaine toutes les quatre semaines, et un quart des vacances. Véronique
serait restée sans voix, Lisa pense qu'elle ne l'avait jamais
envisagé sous cet angle et Lisa aurait continué en disant que
comme elle avait bien conscience que Thibault avait déjà deux
foyers chez Véronique et chez les pères, ce ne serait pas
très évident pour Thibault d'en gérer un troisième.
Lisa aurait renoncé à cette idée mais elle trouverait
normal de le voir et de l'avoir davantage avec elle. Elle pense qu'ayant
échappé au pire (le quart du temps), Véronique aurait
concédé ou compris sa vision et elles se seraient mises d'accord
sur un week-end tous les deux mois entre chaque vacances scolaires et au moins
une semaine pendant les vacances.
En septembre 2006, ce fut leur premier week-end à tous
les deux et elle raconte qu'elle était très heureuse. Elle avait
acheté tout le nécessaire pour qu'il puisse dormir chez elle, des
choses qui représentent le quotidien : brosse à dent, pyjama,
slip de rechange, tee-shirt, puis le petit maillot de bain... Pour elle, ce
sont de vrais fétiches dont elle en a conservés certains. Pour
elle, il et elle ont été inscrit-e-s dans une autre histoire
à partir du moment où il a dormi et pris son petit
déjeuner chez elle, où il et elle ont même le temps de
prendre le temps.
Lorsqu'elles vivaient ensemble, Lisa aurait assumé les
fonctions parentales à parité avec Véronique. Mis à
part l'allaitement dès début, elle aurait nourri Thibault,
l'aurait lavé, changé, habillé, mais jamais
arrêté le travail pour le garder, cela aurait été
selon difficile à expliquer. Elle aurait joué, lui aurait lu des
histoires, joué de la guitare et chanté des chansons,
expliqué le monde, et d'autres choses. Et après la
séparation, dès qu'elle le voit, c'est toujours ce qu'il et elle
feraient. Ces pratiques sont celles que l'on reconnaît aujourd'hui comme
faisant partie des fonctions parentales : offrir les outils de
compréhension du monde, cultiver l'enfant tout en assurant le quotidien,
les pratiques ordinaires : habillement, l'hygiène, le coucher, le lever,
les repas. L'achat de choses simplement « utiles » est le symbole
même de la parentalité. Il ne s'agit pas des cadeaux que
l'entourage plus ou moins proche pourrait faire. Il s'agit d'objets
dont l'enfant se moque (comme la brosse à dent) mais
qui lui sont nécessaires. Subvenir à ce genre de besoin place la
personne dans un rôle particulier, reconnu socialement comme celui de
parent.
Et puis, il y a eu la première semaine de grandes
vacances. Lisa aurait eu Thibault exceptionnellement deux semaines
l'été dernier. Le clan composé de Thibault, Lisa et sa
compagne, peut alors partir plus loin, en Grande-Bretagne. Voyage qui a
donné lieu à des photos que j'évoquerai plus
loin118, photos qui sont les premiers éléments de
l'histoire de Lisa auxquels j'ai eu accès, dès la première
prise de contact.
Voir l'enfant sur un rythme - sinon quotidien - comparable
à celui des familles après la séparation des parents,
permet de faire reconnaître une parentalité pratiquée en
face à face avec des moments passés ensemble et donc la
construction d'une histoire commune, avec des objets qui participent à
la construction de cette histoire et d'une mémoire
familiale119 (Lisa conserverait d'ailleurs ces objets, qui ne sont
communément conservés que par les parents). Le rythme
régulier des rencontres et la pension alimentaire font échos
à un droit réservé habituellement aux parents statutaires
(les grands-parents ayant droit à une semaine par an) et finalement
reconnu - puisque permis - par la mère statutaire.
Si le lien peut être reconnu en mobilisant d'autres
liens alentours (avec la mère statutaire par exemple), il en est
d'autant plus précaire puisque dépendant de l'espace privé
et principalement de la mère. Si la reconnaissance, quand elle est
possible, en est accrue c'est parce qu'elle n'est pas systématique et
que la démocratisation au sein de la famille est un processus qui ne
concernent que les personnes ayant un statut parental défini par
l'espace politique. Le statut empêche toute remise en question de
l'existence de la relation.
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