Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité( Télécharger le fichier original )par Elodie Regnoult Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011 |
1.4 Raconter l'investissement des rôles parentaux au sein d'un seul foyerMartine explique qu'Esteban fait sa crise oedipienne avec Eva et non avec son père puisque c'est Eva qui est en couple avec Martine et non son père. Puis elle explique que s'il a besoin d'un câlin, ce serait vers Martine qu'il viendrait en priorité. Pour tout ce qui est de l'ordre du maternage, ce serait vers elle. Pour le jeu, ce serait de préférence vers Eva. Cette fois-ci, ce n'est pas le récit de la grossesse qui permet de se positionner comme parent, partenaire de la mère, mais les références psychologiques quant aux développements de l'enfant. Certains psychologues décrivent un partage de tâches paternelles et maternelles comme le montre cet extrait de Jean Le Camus114. « K.E et K. Grossmann (1998) [...] ont suggéré des moyens d'investigation mieux ajustés aux rôles spécifiques de chacun des deux parents. Confirmant que la situation étrange convenait bien à l'examen du lien de l'enfant à sa mère, ils ont soutenu que la situation de jeu se prêtait mieux à l'étude de la relation de l'enfant à son père. [...] Les auteurs ont conclu à la nécessité de respecter les adéquations: jeu et « père stimulant » d'une part, situation étrange et « mère réconfortante » d'autre part, bref de positionner la mère et le père à des places différentes sur « le continuum attachement-exploration » Jean Le Camus, « Le lien père-bébé ». L'idée ici, n'est pas de questionner ces courants de pensée psychologiques (je n'en ai pas les compétences) mais de voir ce qui peut en être retenu et interprété par d'éventuel-le-s lecteurs et lectrices. En effet, dans les milieux sociaux moyens supérieurs, la lecture 114 LE CAMUS Jean (2002), « Le lien père-bébé », Devenir, n°22, p.151-152 d'ouvrages de psychologie est courante et porteuse de courants de pensée de sens commun. Chacun-e l'interprète et définit les rôles de père et mère de manière différenciée, en les associant à des vérités naturelles (vérités car l'auteur-e est légitimé-e par son titre universitaire). La mère aurait un rôle lié à l'affect et le père, un rôle lié au jeu, aux stimulations motrices et tou-te-s deux seraient donc différent-e-s et complémentaires. On retrouve ces représentations dans les discours, les pratiques, les articles de presse dite féminine. Pour reprendre l'article de Marie-Claire, sur « Ces hommes qui adoptent en solo », on remarque cette différence des rôles entre homme-père et femme-mère. Pour les hommes ayant pu aller au bout des démarches d'adoption, et ayant adopté, leur rôle parental est défini comme à la fois « père » et à la fois « mère », à la fois « autoritaire » et à la fois « câlin »115. Il y aurait deux sexes, il y aurait donc deux parents : le père et la mère. Le père et la mère sont censé-e-s être les représentants de la différence entre les hommes et les femmes tout en représentant la tendance à l'égalité et la démocratie dans la famille (chacun-e a son mot à dire). Un père n'est pas supposé « materner » et une mère n'est pas supposée faire le lien entre la sphère familiale et la sphère publique. Lorsqu'un parent est seul, on dit qu'il « endosse » le rôle de l'autre, sans toutefois pouvoir réellement compenser (d'où la demande d'un entourage de sexe opposé). Eric Fassin montre à quel point ce principe de différenciation sexuée est devenu une loi culturelle même s'il n'est pas une loi politique116. Les parents cherchent donc à être à la fois unifiés, porteurs d'un même discours au sein de la famille, « complémentaires » à travers les différences afin de justifier voire de taire les inégalités entre les femmes et les hommes. Dans le cas de Martine et d'Eva, il ne s'agit pas d'une femme et d'un homme mais de deux femmes. La transposition permet de faire valoir alors la partenaire de la mère comme parent, puisqu'elle intègre le rôle socialement mais aussi - dans ce cas précis - scientifiquement117 reconnu comme étant celui d'un parent, le père. De la même manière, alors que Vanessa expliquait que Maël considérait qu'il devait séparer la mère de l'enfant, Martine explique que c'est le rôle d'Eva puisqu'elle est sa conjointe. Là encore, ce qui est décrit par la psychologie comme étant le rôle du père permet de faire valoir Eva comme parent « scientifiquement reconnu ». 115 BLAIZE Cécile, MARESCAUX Laure, « Ces hommes qui adoptent en solo », Marie-Claire, [en ligne], URL : http://www.marieclaire.fr/,ces-hommes-qui-adoptent-en-solo,20161,186.asp, Consulté le 10 avril 2009. 116 FASSIN Eric (1999), « Pour l'égalité des sexualités », Audition publique du 27 janvier 1999, Vacarme, n°08, [en ligne], URL : http://www.vacarme.org/article22.html, Consulté le 19 mai 2009. 117 Scientifiquement car venant des écrits des psychologues - en tout cas de leurs interprétations. De toute manière, même face à la science, il s'agit de rester critique et prudent-e. Dès le 18ème siècle, durant l'époque coloniale, le racisme politique et populaire était appuyé par un racisme scientifique. Ceci est valable au sein d'un même foyer, pour un couple cohabitant. C'est la cohabitation qui permet de dire ce partage des rôles même si l'enfant a un père reconnu comme tel. En effet, l'espace cadre la définition de soi. Si on se situe dans un espace plus large qu'est celui au sein duquel l'enfant circule, Eva doit se différencier du père pour définir un rôle qui n'est pas déjà investi. En se situant au sein du foyer composé par Martine, Eva et Esteban, Eva peut se définir comme le dit « complément » de la mère en référence au rôle reconnu comme celui du père. Les temps et les espaces étant séparés en deux foyers et sur le mode d'une résidence alternée, Eva ne fait donc pas concurrence au père et peut se faire reconnaître à travers les traits qui lui seraient habituellement attribués. |
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