1.3 Histoire d'une configuration, compositions,
recompositions familiales.
Martine et Eva
À la différence de Martine, Eva commence en
présentant la configuration de sa famille dont elle fait pleinement
partie. Parler de parentalité pourrait éventuellement l'exclure,
selon les représentations. Parler d'un projet de coparentalité
tel que l'entend l'APGL l'inclut forcément.
Au départ, elle raconte qu'elle et Martine souhaitaient
avoir un enfant et elles ont rencontré un homme qui vit en couple et qui
voulait aussi avoir un enfant. Elles ont rencontré plusieurs personnes
et ont choisi cet homme-là. Ce serait principalement Martine, la future
mère « biologique », qui aurait fait son choix
même si l'avis d'Eva comptait aussi. C'est Martine qui aurait «
bon, cette personne m'intéresse, cette personne ne
m'intéresse pas... » Elles auraient rencontré des
hommes ensemble, elles auraient fait plusieurs rencontres intéressantes
et assez rapidement selon Eva, elles ont rencontré George et elles ont
fait un enfant avec lui. Leur famille, c'est une coparentalité,
c'est-à-dire qu'il y a deux parents « biologiques »
et des coparents qui seraient plus ou moins investis dans l'éducation de
leur fils.
Eva est sa « deuxième maman », elle
se présenterait à lui comme telle et il la prendrait comme telle
aussi alors que le copain de George, lui se présenterait comme
« parrain ». Pour elle, il participe beaucoup à
l'éducation mais ne le considère pas comme son fils. Il se ferait
appeler « parrain », par son prénom. Eva et Martine aurait
bien senti qu'il y aurait d'un côté, les enfants de Jim et de
l'autre, le fils de George. Alors que selon Eva, elle et Martine
considèreraient Esteban comme leur enfant et les suivants seraient leurs
enfants quelle que soit la « mère biologique ».
Se définir comme parents revient à
définir ce qui n'est pas un parent. Tout comme Vanessa parlait de
l'investissement de Karine en opposition à la non implication de
Maël, Eva se compare à Jim qui se ferait appelé «
parrain » ou par son prénom et qui donc serait « moins »
parent que Eva. On attribue des critères à une identité
auxquels on s'identifie (être parent c'est se présenter comme
« maman » ou « papa », je me présente comme «
deuxième maman » donc je suis maman) en s'opposant à ceux
qui n'y répondent pas. Dans le même temps, si Eva se
présente comme la « deuxième maman », elle se fait
appeler par un diminutif proche de son prénom.
Pour son projet de coparentalité, Eva aurait
rencontré plusieurs hommes. Ce serait un peu différent de la
situation de Martine, car Eva les rencontrerait seule alors que Martine et
Eva auraient rencontré ensemble George et ceux qui
l'ont précédé. Martine ne souhaiterait rencontrer les
hommes seulement quand Eva considère qu'ils pourraient être le
père de ses enfants. Cela signifie que quelque chose a changé
depuis qu'elles sont devenues les parents d'Esteban. Sans doute, leur
première conception de la coparentalité tendait vers plus «
d'égalité » alors qu'aujourd'hui, mère statutaires et
« deuxième maman » sont très
différenciées. Quand Martine se veut « en retrait
» vis-à-vis des enfants d'Eva, dans son discours, face à moi
ou dans le choix de leur père, cela lui permet de justifier les
inégalités présentes avec sa conjointe. Toutes deux
renvoient cela au « naturel », à la capacité de
réflexion supposée supérieure de la part de la mère
qui sera enceinte. Et cela même avant la grossesse puisque cela se joue
dès le choix du père.
Martine a rencontré quelques hommes
sélectionnés par Eva qui pour l'instant ne correspondraient pas.
Parce que, pour Eva, le conjoint est aussi important. Elle aime bien rencontrer
les hommes seuls, surtout au départ et puis s'il et elle ont quelque
chose en commun, elle rencontre aussi leurs conjoints. Jusqu'à
présent, le conjoint aurait posé problème parce que la
personne révélait une partie d'elle-même qui ne
correspondrait pas à ses projets.
Ce mode de rencontre implique les parents non statutaires tout
en offrant la priorité aux futurs parents statutaires. Mais Eva donne de
l'importance au conjoint et le fait qu'elle soit elle-même conjointe de
la mère statutaire d'Esteban n'est sans doute pas anodin puisque ne pas
reconnaître d'importance au conjoint, c'est ne pas revendiquer sa propre
importance vis-à-vis d'Esteban. Elle doit donc négocier ce qui
est convenu au sein du couple (priorité au parent statutaire) et
reconnaissance individuelle.
Pour Eva, « deuxième maman », ce
n'est pas vraiment un rôle, ce serait plutôt une relation. Ce
serait de l'émotion, de l'affection, de l'investissement
émotionnel, de l'investissement éducatif. Au départ, elle
aurait considéré qu'elle allait être sa mère. Elle
ne se serait pas dit, suite à une rencontre avec lui « tiens,
je vais être sa mère », elle s'est dit au départ
« voilà, c'est l'idée de notre famille »,
qu'elles seraient deux mères, avec une clarté évidente que
ce serait deux mères différentes, que ce ne serait pas
forcément la même chose chez les autres. Elle souhaitait
présenter à Esteban les choses de manières très
claires. Il pourrait compter sur elle comme sur une mère et elle
s'occuperait de lui comme une mère.
Martine - elles en auraient discuté ensemble -
souhaiterait se positionner comme « deuxième mère
». Eva pense que Martine, en tant que « mère
biologique » comme en tant que « co-maman », se
positionne plus dans du ludique, de l'émotion, de la tendresse et elle
pense qu'elle le fera pour les deux. Eva pense que ce ne sera pas la même
relation de toutes
façons parce qu'il y aurait clairement une
différence du fait qu'Esteban est son « fils biologique
». Dans l'émotion, dans le côté « tripes
», dans le côté « animal », Eva pense que
ce sera différent mais elle pense que pour Martine, Martine attend sa
fille, elle ne se dit pas qu'elle attend la fille d'Eva mais sa fille.
On sent une tension entre le renvoi à la nature et la
définition de soi. D'un côté, dans le couple, elles ont
toutes deux convenu qu'il y avait un savoir « naturel », «
viscéral ». Martine précise qu'elle est la mère
d'Esteban et qu'Eva sera la mère de ses propres enfants. Mais pour Eva,
les relations semblent moins cloisonnées. Elle se considère comme
la mère d'Esteban tout en se différenciant de Martine. Et elle
pense - alors même que Martine ne parvenait pas à se projeter -
que Martine aura une relation similaire avec ses enfants qu'avec Esteban. Eva
fait preuve d'une tension - plus que Martine - entre la volonté de
hiérarchiser les « savoirs parentaux » (pour éviter les
situations conflictuelles irrésolvables en cas de désaccord dans
le couple) et la volonté de se faire reconnaître comme parent
d'Esteban et donc de tendre vers une égalisation des relations
parentales, d'une égalisation entre les enfants eux-mêmes (agir de
la même manière avec les un-e-s et les autres que le lien soit
statutaire ou non).
Elle sait peu de choses sur Jim parce qu'elles ne le voient
plus du tout. Il y aurait eu un moment donné où elles se seraient
rendues compte qu'elles ne pouvaient pas gérer la situation à
quatre, qu'il y avait beaucoup de malentendus, de quiproquos. Tous et toutes
auraient décidé que Martine et Georges allaient gérer
tou-te-s seul-e-s, entre eux deux. Ce qui ne les empêcherait pas pour Eva
et Martine de prendre les décisions à deux, et pour George et
Jim, de prendre les décisions à deux mais qu'il n'y ait qu'un
seul point de rencontre et pas quatre.
Martine n'a pas toujours vu leur relation à elle et
George comme une relation de parents divorcés. Au départ, pour
elle, il et elle étaient comme des ami-e-s, des gens très proches
qui partagent un idéal, qui ont envie de créer une famille
différente à quatre, et non pas une famille deux et deux. Mais
cela n'a pas fonctionné de cette manière car pour Martine, du
côté de Georges et Jim, ce n'est pas très clair. Pour elle,
ce sont des gens très mondains et elle associe cela avec le port d'un
certain nombre de masques sociaux. Derrière ces masques, elle trouve que
ce ne sont pas forcément des choses très belles et la
parentalité ferait tomber les masques. Elles se seraient alors
trouvées en face de personnes différentes. Alors quand ça
dysfonctionne, Martine dit stop et elle dit « bon ok, on arrête de
se voir et puis c'est tout ». Elles auraient alors fait appel au tribunal
et au juge des affaires familiales. Et à partir de là, une
nouvelle relation aurait été inventée qui lui semble
beaucoup plus saine.
Martine et Eva ne raconte pas l'histoire de leur
parentalité de la même manière. Martine fait valoir une
histoire conjugale d'une part, dans laquelle elle donne la priorité de
sa filiation à sa conjointe. Elle fait valoir une histoire entre elle et
George d'autre part, une histoire qui ressemble à la construction d'une
parentalité au sein d'un couple. Il et elle se sont choisi-e-s «
avec le coeur ». Elle l'aime parce que c'est le père de
ses enfants. Tou-te-s deux sont comme des parents divorcés. Quand elle
parle de leur configuration, elle en parle comme quelque chose qui n'a pas
réussi, qui a dû être renégociée et
transformée. Eva, quant à elle, valorise prioritairement la
configuration qui lui donne une place, un rôle tout en appuyant sur le
fait que pour elle, leur famille c'est elle, Martine et Esteban.
C'est-à-dire son foyer, son couple. Elle différencie sa relation
avec Esteban de celle que Martine a avec lui comme cela semble avoir
été négocié dans son couple, tout en appuyant sur
l'idée de leur famille, basée sur la coparentalité.
D'ailleurs, pour Eva, rater sa famille, c'est ne pas la construire selon sa
propre notion de famille même si cette notion change avec le temps. Pour
Martine, rater sa famille, c'est constater que son enfant souffre. La
première mobilise ce qui permet de lui donner une place auprès
d'Esteban, la seconde répond aux attentes sociales vis-à-vis des
mères.
Eva aussi appuie sur la relation qui uni(ssait) George et
Martine, tout en parlant de sa relation avec l'homme qu'elle choisira pour ses
enfants. La négociation se joue dans le fait que toutes deux seront
mères statutaires et toutes deux seront parents sans statut. Une
manière d'équilibrer les inégalités à
défaut d'égalité. Si toutes deux ont un enfant reconnu par
l'Etat comme étant leur enfant, cela rééquilibre les
droits de chacune en cas de séparation (pour voir l'enfant avec lequel
on n'a aucun droit, on doit accepter que l'ex conjointe voie l'enfant avec
lequel l'Etat nous reconnaît des droits). La création
d'égalité est ainsi une forme de résistance à la
logique dominante. Elles se créent toutes les deux un statut et des
droits en équilibrant les relations vis-à-vis des enfants avec
qui elles vivent communément.
Lisa
Concernant la famille, c'est comme une association que Lisa
imaginait cette coparentalité, une sorte de travail d'équipe pour
un projet partagé. La famille comme démocratie locale, au niveau
du moins des parents. Famille associative, cela signifiait aussi plusieurs
choses : moins de risque "d'appropriation" de l'enfant, et aussi une certaine
relativité des normes (notamment les normes qu'assoie chaque structure :
alimentation, hygiène, vêtement...) mais ils et elles partageaient
les grandes valeurs, les horizons.
Comme Eva, Lisa appuie sur la configuration, sur les valeurs
communes, le milieu commun. Sur la constitution d'un groupe auquel elle
appartient, dont elle partage les valeurs, ce milieu. Faire pleinement partie
de ce groupe qu'est la famille associative, c'est se définir une place
au sein de cette famille, celle ici de parent. Comme Lisa le précise,
c'est l'idéal qu'elle avait imaginé et non celui qu'elle a le
sentiment d'avoir vécu dans sa réalité. Néanmoins,
elle raconte que pour avoir le droit de voir Antoine après la
séparation, elle a rappelé la configuration sur laquelle
s'était construite leur famille - ce qui montre bien l'importance de
cette configuration dans la définition de soi comme parent.
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