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Exclu-e-s du livret de famille : les parents sans statut, se raconter au sein d'une pluriparentalité

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par Elodie Regnoult
Université de Bretagne Occidentale - Master 2 2011
  

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1.2 La séparation : d'une histoire de couple à une histoire individuelle

Vanessa

Dans la situation de Vanessa, la conception de l'enfant se passe par insémination artisanale et c'est Karine qui « engendre » Vanessa. Vanessa raconte qu'au moment où elle est tombée enceinte, elle a été surprise du calme de Maël qui aurait simplement répondu : « C'est bien. ». Karine participe à la grossesse de Vanessa chez le gynécologue et chez elles : écographie, monitoring, les mouvements du bébé, découverte du sexe du bébé. Tout le long de son récit, Vanessa parle au « nous ». Maël ne vient ni aux échographies ni aux préparations à l'accouchement. Selon Vanessa, il n'est pas intéressé par leurs récits qu'elles écrivent. Il ne compte pas participer à l'accouchement ce qui arrange Vanessa qui vit alors la grossesse exclusivement en couple.

Vanessa prépare un projet de naissance pour la maternité afin que Karine puisse participer à l'accouchement, être la première à être en contact avec l'enfant si Vanessa devait être inconsciente, couper le cordon ombilical et faire les premiers soins.

Avant de partir à l'hôpital pour accoucher, elles sont toutes les deux et Karine prend une dernière photo de son amie enceinte. Puis Vanessa discute de la configuration de sa famille avec la sage-femme. Comme prévu, Karine participe à l'accouchement, coupe le cordon, prend l'enfant dans ses bras après la pesée. Vanessa précise que c'est au moment où Karine a

pris Antoine dans ses bras qu'il s'est arrêté de pleurer. Maël est venu quelques heures après la naissance. Pour Vanessa, il n'a fait preuve d'aucune émotion.

On voit bien alors que quand Vanessa parle de Karine, la « deuxième maman » sans statut, elle en parle dans un rôle de partenaire de la mère. C'est-à-dire que Karine aurait fait ce qu'il est attendu d'un père lorsqu'il est en couple avec la mère dans un contexte hétéroparental : engendrement, suivi de la grossesse, participation aux échographies, à l'accouchement. Cette manière d'être et de faire est reconnue comme permettant d'investir le rôle de parent quand l'enfant n'est présent physiquement que dans le corps de la mère. A condition d'être en couple avec la mère (ici, le père ne participe pas par exemple). Cette manière d'investir la grossesse n'est pas universelle et en France, elle date des années soixante-dix avec la redéfinition de la place de chacun-e dans la famille. Béatrice Jacques rappelle que « selon les sociétés, l'accouchement peut être un moment exclusivement maternel, exclusivement paternel (rôle symbolique du père) ou exclusivement social (l'enfant est avant tout accueilli par un groupe) »108. Les us et coutumes autour de la grossesse varient avec le contexte, avec les époques, avec l'espace géographique, avec le milieu. Dans le contexte de Vanessa et Karine, cela permet de se faire reconnaître ou de faire reconnaître l'autre comme parent qui se soucie de sa conjointe et de l'enfant. Ensuite, pour appuyer sans doute la reconnaissance de Karine comme parent, Vanessa insiste sur l'absence d'investissement du père. Karine serait donc « meilleure partenaire de la mère » que le père lui-même. Cette reconnaissance se fait alors au sein du couple, aux yeux du personnel médical et à toute personne, collectif ou institution109 à qui on veut bien le raconter. Ici, en me racontant son histoire, Vanessa s'adresse à l'institution universitaire puisque je me suis présentée comme une étudiante rédigeant un mémoire.

Par ailleurs, lorsque Vanessa relate les conflits avec le père, elle inclut Karine dans un « nous » en opposition à Maël. Cette manière de « faire bloc » permet également de légitimer la place de sa partenaire, qu'on reconnaît comme ayant son mot à dire face au père statutaire.

Dans le mail que Vanessa m'a envoyé en me joignant son récit, elle commence par le conclure en expliquant que depuis que Karine est sortie de sa vie, elle a de meilleures relations, plus franches avec Maël. Une grosse dispute au moment de la séparation aurait

108 JACQUES Béatrice (2007), Sociologie de l'accouchement, Paris, Presses Universitaires de France, p.151.

109 En se basant sur la définition d'Ervin Goffman, les institutions sont « des lieux (pièces, appartements, immeubles, ateliers) où une activité particulière se poursuit régulièrement. [...] Certaines institutions fournissent un cadre à des activités qui définissent la position sociale de l'individu, indépendamment du zèle ou de l'indifférence qu'il y manifeste. D'autres, au contraire, ne sont que le cadre d'activités libres et gratuites, pratiquées en dehors du temps consacré à des tâches plus sérieuses. » GOFFMAN Erving (1968), Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Edition de Minuit (1ère édition 1961, Anchor Books)

permis de dire ce que chacun-e pensait et de rappeler qu'en tant que parents reconnus, chacun-e pouvait avoir le juge de son côté en cas de litige. Elle pense avoir toujours essayé de maintenir une bonne relation père-fils dans l'intérêt d'Antoine. Antoine serait très content d'aller voir son père et cela ferait plaisir à Vanessa.

Si Vanessa avait été la « deuxième maman », elle imagine qu'elle aurait été présente tout comme la « mère biologique ». Elle imagine que sa place aurait été tout aussi importante au quotidien. Elle se voyait devoir prendre cette place dans la société en forçant la reconnaissance car elle n'aurait pas supportée d'être mise de côté. Elle s'est donc efforcée en tant que « mère biologique » de faire en sorte que la société ne mette pas Karine de côté quand elle était présente. Mais pour elle, Karine ne voulait pas cette place et ne s'est jamais battue. Elle a ressenti ce qui s'est passé durant la rupture comme une confirmation de ce sentiment.

En tant que conjointe séparée, Vanessa a dû revoir l'angle de vue sous lequel elle regardait sa famille. Elle ne peut plus parler de son histoire comme d'une histoire exclusivement de couple (« afin que chacune ait sa place de « parent » ») puisque le couple est terminé et que l'histoire continue, sans la présence physique de Karine auprès de l'enfant. La décision qu'elle a prise concernant Karine, elle n'aurait pas pu la prendre avec Maël qui a un statut et des droits reconnus. Elle doit donc faire avec Maël d'une manière ou d'une autre.

De plus, si Maël concurrençait l'histoire que Vanessa aurait voulue exclusivement conjugale, la rupture du couple rompt également la concurrence. La redéfinition de la relation entre Vanessa et Karine entraîne une redéfinition des autres relations alentours.

Quand je l'incite à revenir sur le choix de qui d'elle ou Karine, sera enceinte de leur enfant, Vanessa se dit déçue qu'après un long travail de recherche, Karine finisse par lui annoncer qu'elle n'était pas prête. Elle pense aujourd'hui qu'elle s'est laissée entrainée par son envie (à Vanessa) d'avoir un enfant sans le vouloir vraiment. Elle a évoqué l'idée de prendre le relai et Karine aurait tout de suite été d'accord. Plus tard, elles auraient envisagé avec Maël d'avoir un deuxième enfant. Vanessa raconte que Maël voulait que ce soit Karine qui le porte. Vanessa était d'accord. Elle raconte que Karine n'était pas prête et qu'elle ne savait pas si elle le serait un jour. Pour Vanessa, c'était le début des conflits, elle voulait savoir s'il y aurait un deuxième enfant et Maël ne voulait pas, selon elle, attendre, à cause de l'âge. Vanessa avait l'impression qu'il n'y avait plus aucun dialogue possible, plus aucune envie en commun, dont l'envie d'avoir un enfant.

En relisant ce passage de mon entretien, j'ai pensé immédiatement à l'article de Gilda Charrier et François de Singly, « Vie commune et pensée célibataire »110 dans lequel il et elle s'interroge sur la construction d'une « pensée conjugale » et la conservation d'une « pensée célibataire » dans le mariage à partir des théories de Maurice Halbwachs. « La mémoire fonctionne non pas selon un principe d'accumulation, mais selon l'actualité de notre appartenance (et les intérêts associés à ces appartenances). »111 Car Vanessa parle depuis son point de vue de conjointe séparée. Elle ne se situe plus comme membre d'un couple et n'a plus à faire valoir sa relation de couple ni une sphère de « pensée commune », pour reprendre l'expression de Gilda Charrier et François de Singly. Pensée commune qu'elle valorisait par le « nous », dans le récit qu'elle a écrit à l'époque où elle était en couple. Un « nous » qui servait à faire corps. Aujourd'hui, Vanessa explique que Karine exprime toujours l'envie de voir l'enfant mais elle ne parle pas de ce désir comme étant commun à toutes les deux, car cela signifierait l'appartenance à la relation conjugale pourtant rompue et ne justifierait pas la rupture de contact entre Karine et l'enfant. Elle peut alors se placer d'un autre point de vue en faisant valoir ses responsabilités de mère qui choisit qui peut se trouver dans l'entourage de l'enfant sans lui nuire.

En revanche, depuis la séparation, elle a à faire valoir sa relation non pas de couple mais de partenariat parental avec Maël qui peut, lui, faire valoir juridiquement ses droits. Cela implique de redéfinir le discours, le parcours. Pour Maël, elle n'utilise pas le « nous », car nul besoin de revendiquer une pensée commune. Elle est « avec » lui comme deux conjoint-e-s séparé-e-s continuent d'être « avec » l'autre dans la sphère parentale, c'est-à-dire capable de négocier les questions d'éducation avec leurs différences de points de vue individuels parce que tous deux ont des droits vis-à-vis de l'enfant112.

Lisa

Lisa a envie d'être parent après une rupture. Elle vient de vivre dix ans de vie commune et elle est alors en plein dans sa vie d'adulte avec toutes sortes de responsabilités professionnelles et associatives. Il est évident pour elle qu'elle peut choisir une nouvelle région plus avenante où vivre et construire une famille. Elle l'imagine adoptive, avec elle pour seule parent. Elle ne pense pas encore à un nouveau couple.

110 SINGLY François de, CHARRIER Gilda (1988), « Vie commune et pensée célibataire », Dialogue, n°102, p.44-53.

111 Ibid. p.46.

112 MARTIN Claude (1997), op cit.

Enfant, à l'école élémentaire, elle aurait dit comme les autres qu'elle souhaitait plus tard avoir deux enfants, mais il était alors selon elle inimaginable d'être « prise pour épouse » ou d'être « prise pour mère ». Elle aurait été élevée par une mère qu'elle dit misogyne et qui aurait banni les poupées. Elle aurait imaginé l'avenir de sa fille dans la carrière ou du moins dans le travail. Lisa raconte qu'elle avait l'esprit et le corps indépendants. Elle se voyait plutôt maîtresse d'école et aventurière. Pas encore clairement lesbienne, mais cela serait venu au lycée. Le désir d'enfant apparut plus tard, vers trente ans, après ces dix ans de conjugalité.

Parler de son enfance donne du sens à son parcours ensuite. On légitime nos manières de dire, de faire par l'enfance. Soit par une vocation113, soit par une éducation donnée. Cela ne signifie pas que les choses se sont passées comme telles. Lisa parle depuis son point de vue d'adulte séparée de la mère de son fils dans un contexte particulier. Elle offre de cette manière une cohérence à ses propos et à son vécu de parent et de féministe, tout en appuyant sur le fait que ses choix sont individuels, inscrits son parcours et non issus d'un couple ou d'une négociation conjugale.

Elle rencontre Véronique avant de changer de région. Elles auraient parlé famille quasiment à la première conversation. Elle reste donc dans la ville où elle réside et quelques jours après, elles cohabitent. Il y aurait une forme d'évidence. Mais les choses ne se passent pas exactement comme Lisa le souhaite. Véronique aurait lancé une demande d'adoption au bout de quinze jours sans lui en parler, sans l'associer. Ensuite, avec l'accord de Véronique, Lisa approche un ami gay de longue date et devant son refus, un autre ami gay très proche, Axel, en couple avec Christian, pour une coparentalité. Finalement, c'est Christian qui « fait » le premier enfant avec Véronique qui laisse alors tomber sa demande d'adoption. Axel et Lisa doivent « faire » ensuite le second.

Lisa vivrait la grossesse de Véronique au jour le jour, véritablement passionnée, comme un compagnon pourrait l'être, elle l'imagine, en couple hétérosexuel. Cet enfant, elle l'aurait, dès la conception, « adopté ». Quand Lisa dit qu'elle a « adopté » Thibault « dès la conception » et qu'elle s'est « engagée comme parent », cela signifie pour elle qu'à compter de ce moment-là, elle l'aurait pris en charge en son nom, qu'il y ait ou non d'autres parents. Elle considère qu'elle doit lui assurer son bien-être matériel (sa sécurité et ses principaux besoins) et son éducation, ce qui viserait si possible son bonheur par le sentiment qu'il devrait avoir d'être important dans cette relation, par le développement de ses aptitudes physiques,

113 CHARRIER Gilda (1993), Mémoire et identité : le souvenir de l'accès à la profession comme expression de l'identité pour soi, Thèse de doctorat dirigée par François de Singly, Université Paris V.

par sa compréhension du monde qui l'entoure, par son insertion sociale et son ouverture aux autres, et surtout sa progressive autonomie.

Dans son discours, Lisa assoie une nouvelle fois l'individualité de son parcours, son identité de parent indépendante de celle des autres. Elle investit dans le même temps des rôles reconnus comme parentaux notamment dans un milieu intellectuel (en cultivant l'enfant), reconnus comme plutôt « masculins » (accompagnement de la grossesse, bien-être matériel, stimulation motrice) ou plutôt « féminins » quand elle racontera plus tard qu'elle s'occupe également de tout ce qui appartient au quotidien vital et utilitaire de l'enfant, ce qui est plus souvent attribué aux mères (hygiène, coucher, achats). Elle investit alors un rôle parental qui comprend plusieurs aspects reconnus indépendamment de la dimension genrée de ce rôle (« masculin », « féminin ») - ou alors, selon le point de vue depuis lequel on se place - dépendamment de toutes les dimensions genrées de ce rôle. Cela signifie qu'elle ne dépendrait pas des autres parents pour assurer l'éducation de l'enfant, c'est-à-dire qu'elle ne serait pas simplement le « complément » de la mère ou du père, ce qui révèle une autre manière d'individualiser son parcours de parentalité.

Thibault naît le 5 octobre 1999. Lisa accompagne Véronique pendant l'accouchement, sauf que malgré l'autorisation qu'elles ont obtenue de pouvoir y assister, père « biologique » et compagne, Lisa doit sortir la dernière heure pour lui laisser la place. Elle vit cela comme sa propre expulsion et angoisse car l'accouchement est difficile et elle craint qu'il arrive quelque chose à l'enfant. Christian lui annonce la naissance. A la sortie de la maternité, une photo d'eux quatre montrent les « garçons » entourant Véronique de tous leurs soins et Lisa en bordure. C'est un peu l'image qu'elle garde de cette configuration familiale où tout se serait passé trop vite, selon elle, la famille avant le couple et le couple de parents « biologiques » avant la coparentalité à quatre. Ils et elles n'auraient pas eu assez le temps de se parler, Lisa a le sentiment de n'avoir pas été écoutée et entendue. Axel et Lisa ne parviennent pas à « faire » le second enfant tant désiré, malgré un an et demi de tentatives rationnalisées, la prise d'hormones, le recours finalement interrompu à une clinique d'insémination bruxelloise. Elle part en 2001 pour une autre qui la fait rêver. Thibault a un an et demi.

Dès lors, elle se serait affirmée comme parent et elle se représente cela comme une question de survie car le lien à Thibault serait profondément inscrit en elle. Elle est alors dévorée par la culpabilité à rompre avec la mère de son fils, d'autant que sa nouvelle relation serait sans intérêt et qu'elle s'y accrocherait à l'absurde. Elle aurait besoin de voir Thibault, de le voir vivre, grandir et son existence n'aurait aucun sens si elle ne pouvait assurer cet

engagement qu'elle a pris à son égard. Elle aurait insisté mais n'aurait pas pu le voir durant les premières grandes vacances.

Lisa raconte qu'elle a eu plusieurs fois l'impression d'être mise de côté. Notamment quand Véronique et Christian auraient décidé que tou-te-s deux feraient l'enfant sexuellement. Lisa était contre, mais Christian aurait affirmé qu'un enfant se fait comme cela, et qu'il n'imaginait pas d'autre solution. Dans tous les cas de coparentalité qu'elle connait, cela s'est toujours passé par insémination soit domestique soit médicalement encadrée. D'ailleurs, Lisa et Axel ont fait leurs tentatives par insémination domestique et au bout d'un an et demi d'échec quand elle lui a proposé de le faire aussi en passant par la sexualité, il s'y serait refusé.

Lisa ressent qu'elle est entrainée dans cette histoire sans avoir de pouvoir. La rupture se serait passée sur le même mode. Elle rêvait d'une autre, et débutait tout juste une relation sexuelle avec elle. Véronique était au courant, ce n'était pas une situation facile et elle n'aurait pas duré longtemps, selon elle, d'une façon ou d'une autre. Un jour, Christian les aurait tou-tes « convoqué-e-s » et aurait dit à Lisa que si elle faisait souffrir Véronique il fallait qu'elle parte et qu'elle l'avait terriblement déçu. Et ni Véronique ni Axel n'auraient répondu. Elle est partie, mais selon elle, mal partie. C'est comme si Christian, par son genre, par son âge, par sa profession peut-être aussi de directeur d'entreprise culturelle, d'employeur et de licencieur, était devenu le chef de leur famille associative qui englobait désormais son couple.

Lisa et Christian sont en concurrence. En engendrant sexuellement Véronique, Christian entre dans un rôle convenu comme étant celui du partenaire de la mère, ce même rôle qui fait reconnaître Lisa comme parent. La place que prend Christian fragilise alors la reconnaissance que Lisa pourrait avoir en tant que parent, à travers son couple. La sexualité, longtemps considérée comme devant être exclusive afin d'assurer l'exclusivité de la filiation, prend une symbolique très forte dans le cas de l'engendrement d'un enfant. Dans la situation de Lisa, la relation sexuelle entre Christian et Véronique empêche Lisa de raconter l'histoire de la parentalité au sein de son couple au moment de l'engendrement comme l'a fait Vanessa. Hors être présent dès la conception est une variable importante dans les familles faisant un accord de coparentalité, car c'est ce qui permet de se distinguer des beaux-parents des recompositions familiales. Lisa insiste d'ailleurs sur le fait qu'elle a « adopté Thibault dès la conception ». De la même manière, pour l'accouchement, sa sortie de la salle de travail la fait passer « après » Christian et elle ne peut plus accompagner la naissance de l'enfant, acte reconnu comme parental.

Lisa a l'impression que Véronique était angoissée à l'idée que Lisa lui « vole » son enfant. Elle ne saurait dire pourquoi elle ressent cela, mais elle croit qu'il était insupportable

pour Véronique d'imaginer une « autre mère », une « mère alternative » comme si elles avaient pu être en rivalité de maternité, en concurrence, et que Véronique n'aurait pas été sûre de l'emporter. Pour Lisa, cette possessivité allait contre les projets conjugaux comme familiaux.

La concurrence s'est jouée entre Lisa et Véronique toujours parce que les rôles de mère et père sont socialement construits pour être exclusifs mais de plus parce que Véronique a le pouvoir d'accepter ou non la place de Lisa auprès de Thibault. L'enjeu pour Lisa de raconter sa parentalité comme un parcours individuel devient donc à la fois nécessaire (puisqu'elle ne peut pas prendre appui sur les parents statutaires - ou alors très peu) et difficile puisque elle n'a pas de statut. Parler de l'angoisse de Véronique permet quelque part de montrer sa propre place auprès de l'enfant. Elle permet de plus de rappeler les accords de départ en termes de construction de projets et de configurations familiales que Lisa, dans son récit, dit « mieux » respecter que les autres parents de l'enfant. Cela permet de mettre en avant un parcours de parentalité plus cohérent que celui des autres, qui eux/elles ont un statut reconnu de parent.

Si Lisa et Vanessa passe toutes deux d'une histoire de couple à une histoire individuelle, l'enjeu reste néanmoins différent. Contrairement à Vanessa, Lisa n'a pas de statut et faire de son histoire, une histoire individuelle ne permet pas seulement d'offrir une cohérence à son parcours à travers son discours. Cela permet également de se faire reconnaître comme parent « inconditionnellement » tout en rappelant que l'histoire vient d'une configuration qui l'impliquait, d'une histoire de couple qui est la sienne voire même d'une histoire qui précédait son histoire de couple, puisqu'elle aurait projeté d'être parent avant de rencontrer Véronique. Par ailleurs, Vanessa revient sur ses propos anciennement écrit en expliquant que finalement, Karine ne souhaitait peut-être pas cette place. Lisa, elle, insiste sur sa place de parent dès le départ, dans un projet individuel puis conjugal.

Cela passe par l'envie - individuelle - d'avoir un enfant, une implication dans la grossesse en tant que partenaire dans le couple, l'inscription dans une configuration qui la comprend comme « parent », le tout permettant de revendiquer la parentalité même individuelle après la séparation.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King