1.2 La séparation : d'une histoire de couple
à une histoire individuelle
Vanessa
Dans la situation de Vanessa, la conception de l'enfant se
passe par insémination artisanale et c'est Karine qui « engendre
» Vanessa. Vanessa raconte qu'au moment où elle est tombée
enceinte, elle a été surprise du calme de Maël qui aurait
simplement répondu : « C'est bien. ». Karine
participe à la grossesse de Vanessa chez le gynécologue et chez
elles : écographie, monitoring, les mouvements du bébé,
découverte du sexe du bébé. Tout le long de son
récit, Vanessa parle au « nous ». Maël ne vient ni aux
échographies ni aux préparations à l'accouchement. Selon
Vanessa, il n'est pas intéressé par leurs récits qu'elles
écrivent. Il ne compte pas participer à l'accouchement ce qui
arrange Vanessa qui vit alors la grossesse exclusivement en couple.
Vanessa prépare un projet de naissance pour la
maternité afin que Karine puisse participer à l'accouchement,
être la première à être en contact avec l'enfant si
Vanessa devait être inconsciente, couper le cordon ombilical et faire les
premiers soins.
Avant de partir à l'hôpital pour accoucher, elles
sont toutes les deux et Karine prend une dernière photo de son amie
enceinte. Puis Vanessa discute de la configuration de sa famille avec la
sage-femme. Comme prévu, Karine participe à l'accouchement, coupe
le cordon, prend l'enfant dans ses bras après la pesée. Vanessa
précise que c'est au moment où Karine a
pris Antoine dans ses bras qu'il s'est arrêté de
pleurer. Maël est venu quelques heures après la naissance. Pour
Vanessa, il n'a fait preuve d'aucune émotion.
On voit bien alors que quand Vanessa parle de Karine, la
« deuxième maman » sans statut, elle en parle dans un
rôle de partenaire de la mère. C'est-à-dire que Karine
aurait fait ce qu'il est attendu d'un père lorsqu'il est en couple avec
la mère dans un contexte hétéroparental : engendrement,
suivi de la grossesse, participation aux échographies, à
l'accouchement. Cette manière d'être et de faire est reconnue
comme permettant d'investir le rôle de parent quand l'enfant n'est
présent physiquement que dans le corps de la mère. A condition
d'être en couple avec la mère (ici, le père ne participe
pas par exemple). Cette manière d'investir la grossesse n'est pas
universelle et en France, elle date des années soixante-dix avec la
redéfinition de la place de chacun-e dans la famille. Béatrice
Jacques rappelle que « selon les sociétés, l'accouchement
peut être un moment exclusivement maternel, exclusivement paternel
(rôle symbolique du père) ou exclusivement social (l'enfant est
avant tout accueilli par un groupe) »108. Les us et coutumes
autour de la grossesse varient avec le contexte, avec les époques, avec
l'espace géographique, avec le milieu. Dans le contexte de Vanessa et
Karine, cela permet de se faire reconnaître ou de faire reconnaître
l'autre comme parent qui se soucie de sa conjointe et de l'enfant. Ensuite,
pour appuyer sans doute la reconnaissance de Karine comme parent, Vanessa
insiste sur l'absence d'investissement du père. Karine serait donc
« meilleure partenaire de la mère » que le père
lui-même. Cette reconnaissance se fait alors au sein du couple, aux yeux
du personnel médical et à toute personne, collectif ou
institution109 à qui on veut bien le raconter. Ici, en me
racontant son histoire, Vanessa s'adresse à l'institution universitaire
puisque je me suis présentée comme une étudiante
rédigeant un mémoire.
Par ailleurs, lorsque Vanessa relate les conflits avec le
père, elle inclut Karine dans un « nous » en opposition
à Maël. Cette manière de « faire bloc » permet
également de légitimer la place de sa partenaire, qu'on
reconnaît comme ayant son mot à dire face au père
statutaire.
Dans le mail que Vanessa m'a envoyé en me joignant son
récit, elle commence par le conclure en expliquant que depuis que Karine
est sortie de sa vie, elle a de meilleures relations, plus franches avec
Maël. Une grosse dispute au moment de la séparation aurait
108 JACQUES Béatrice (2007), Sociologie de
l'accouchement, Paris, Presses Universitaires de France, p.151.
109 En se basant sur la définition d'Ervin Goffman, les
institutions sont « des lieux (pièces, appartements, immeubles,
ateliers) où une activité particulière se poursuit
régulièrement. [...] Certaines institutions fournissent un cadre
à des activités qui définissent la position sociale de
l'individu, indépendamment du zèle ou de l'indifférence
qu'il y manifeste. D'autres, au contraire, ne sont que le cadre
d'activités libres et gratuites, pratiquées en dehors du temps
consacré à des tâches plus sérieuses. » GOFFMAN
Erving (1968), Asiles : études sur la condition sociale des malades
mentaux, Paris, Edition de Minuit (1ère édition
1961, Anchor Books)
permis de dire ce que chacun-e pensait et de rappeler qu'en
tant que parents reconnus, chacun-e pouvait avoir le juge de son
côté en cas de litige. Elle pense avoir toujours essayé de
maintenir une bonne relation père-fils dans l'intérêt
d'Antoine. Antoine serait très content d'aller voir son père et
cela ferait plaisir à Vanessa.
Si Vanessa avait été la «
deuxième maman », elle imagine qu'elle aurait
été présente tout comme la « mère
biologique ». Elle imagine que sa place aurait été tout
aussi importante au quotidien. Elle se voyait devoir prendre cette place dans
la société en forçant la reconnaissance car elle n'aurait
pas supportée d'être mise de côté. Elle s'est donc
efforcée en tant que « mère biologique » de
faire en sorte que la société ne mette pas Karine de
côté quand elle était présente. Mais pour elle,
Karine ne voulait pas cette place et ne s'est jamais battue. Elle a ressenti ce
qui s'est passé durant la rupture comme une confirmation de ce
sentiment.
En tant que conjointe séparée, Vanessa a
dû revoir l'angle de vue sous lequel elle regardait sa famille. Elle ne
peut plus parler de son histoire comme d'une histoire exclusivement de couple
(« afin que chacune ait sa place de « parent » »)
puisque le couple est terminé et que l'histoire continue, sans la
présence physique de Karine auprès de l'enfant. La
décision qu'elle a prise concernant Karine, elle n'aurait pas pu la
prendre avec Maël qui a un statut et des droits reconnus. Elle doit donc
faire avec Maël d'une manière ou d'une autre.
De plus, si Maël concurrençait l'histoire que
Vanessa aurait voulue exclusivement conjugale, la rupture du couple rompt
également la concurrence. La redéfinition de la relation entre
Vanessa et Karine entraîne une redéfinition des autres relations
alentours.
Quand je l'incite à revenir sur le choix de qui d'elle
ou Karine, sera enceinte de leur enfant, Vanessa se dit déçue
qu'après un long travail de recherche, Karine finisse par lui annoncer
qu'elle n'était pas prête. Elle pense aujourd'hui qu'elle s'est
laissée entrainée par son envie (à Vanessa) d'avoir un
enfant sans le vouloir vraiment. Elle a évoqué l'idée de
prendre le relai et Karine aurait tout de suite été d'accord.
Plus tard, elles auraient envisagé avec Maël d'avoir un
deuxième enfant. Vanessa raconte que Maël voulait que ce soit
Karine qui le porte. Vanessa était d'accord. Elle raconte que Karine
n'était pas prête et qu'elle ne savait pas si elle le serait un
jour. Pour Vanessa, c'était le début des conflits, elle voulait
savoir s'il y aurait un deuxième enfant et Maël ne voulait pas,
selon elle, attendre, à cause de l'âge. Vanessa avait l'impression
qu'il n'y avait plus aucun dialogue possible, plus aucune envie en commun, dont
l'envie d'avoir un enfant.
En relisant ce passage de mon entretien, j'ai pensé
immédiatement à l'article de Gilda Charrier et François de
Singly, « Vie commune et pensée célibataire
»110 dans lequel il et elle s'interroge sur la construction
d'une « pensée conjugale » et la conservation d'une «
pensée célibataire » dans le mariage à partir des
théories de Maurice Halbwachs. « La mémoire fonctionne non
pas selon un principe d'accumulation, mais selon l'actualité de notre
appartenance (et les intérêts associés à ces
appartenances). »111 Car Vanessa parle depuis son point de vue
de conjointe séparée. Elle ne se situe plus comme membre d'un
couple et n'a plus à faire valoir sa relation de couple ni une
sphère de « pensée commune », pour reprendre
l'expression de Gilda Charrier et François de Singly. Pensée
commune qu'elle valorisait par le « nous », dans le récit
qu'elle a écrit à l'époque où elle était en
couple. Un « nous » qui servait à faire corps. Aujourd'hui,
Vanessa explique que Karine exprime toujours l'envie de voir l'enfant mais elle
ne parle pas de ce désir comme étant commun à toutes les
deux, car cela signifierait l'appartenance à la relation conjugale
pourtant rompue et ne justifierait pas la rupture de contact entre Karine et
l'enfant. Elle peut alors se placer d'un autre point de vue en faisant valoir
ses responsabilités de mère qui choisit qui peut se trouver dans
l'entourage de l'enfant sans lui nuire.
En revanche, depuis la séparation, elle a à
faire valoir sa relation non pas de couple mais de partenariat parental avec
Maël qui peut, lui, faire valoir juridiquement ses droits. Cela implique
de redéfinir le discours, le parcours. Pour Maël, elle n'utilise
pas le « nous », car nul besoin de revendiquer une pensée
commune. Elle est « avec » lui comme deux conjoint-e-s
séparé-e-s continuent d'être « avec » l'autre
dans la sphère parentale, c'est-à-dire capable de négocier
les questions d'éducation avec leurs différences de points de vue
individuels parce que tous deux ont des droits vis-à-vis de
l'enfant112.
Lisa
Lisa a envie d'être parent après une rupture.
Elle vient de vivre dix ans de vie commune et elle est alors en plein dans sa
vie d'adulte avec toutes sortes de responsabilités professionnelles et
associatives. Il est évident pour elle qu'elle peut choisir une nouvelle
région plus avenante où vivre et construire une famille. Elle
l'imagine adoptive, avec elle pour seule parent. Elle ne pense pas encore
à un nouveau couple.
110 SINGLY François de, CHARRIER Gilda (1988), « Vie
commune et pensée célibataire », Dialogue,
n°102, p.44-53.
111 Ibid. p.46.
112 MARTIN Claude (1997), op cit.
Enfant, à l'école élémentaire,
elle aurait dit comme les autres qu'elle souhaitait plus tard avoir deux
enfants, mais il était alors selon elle inimaginable d'être «
prise pour épouse » ou d'être « prise pour
mère ». Elle aurait été élevée par
une mère qu'elle dit misogyne et qui aurait banni les poupées.
Elle aurait imaginé l'avenir de sa fille dans la carrière ou du
moins dans le travail. Lisa raconte qu'elle avait l'esprit et le corps
indépendants. Elle se voyait plutôt maîtresse d'école
et aventurière. Pas encore clairement lesbienne, mais cela serait venu
au lycée. Le désir d'enfant apparut plus tard, vers trente ans,
après ces dix ans de conjugalité.
Parler de son enfance donne du sens à son parcours
ensuite. On légitime nos manières de dire, de faire par
l'enfance. Soit par une vocation113, soit par une éducation
donnée. Cela ne signifie pas que les choses se sont passées comme
telles. Lisa parle depuis son point de vue d'adulte séparée de la
mère de son fils dans un contexte particulier. Elle offre de cette
manière une cohérence à ses propos et à son
vécu de parent et de féministe, tout en appuyant sur le fait que
ses choix sont individuels, inscrits son parcours et non issus d'un couple ou
d'une négociation conjugale.
Elle rencontre Véronique avant de changer de
région. Elles auraient parlé famille quasiment à la
première conversation. Elle reste donc dans la ville où elle
réside et quelques jours après, elles cohabitent. Il y aurait une
forme d'évidence. Mais les choses ne se passent pas exactement comme
Lisa le souhaite. Véronique aurait lancé une demande d'adoption
au bout de quinze jours sans lui en parler, sans l'associer. Ensuite, avec
l'accord de Véronique, Lisa approche un ami gay de longue date et devant
son refus, un autre ami gay très proche, Axel, en couple avec Christian,
pour une coparentalité. Finalement, c'est Christian qui « fait
» le premier enfant avec Véronique qui laisse alors tomber sa
demande d'adoption. Axel et Lisa doivent « faire » ensuite le
second.
Lisa vivrait la grossesse de Véronique au jour le jour,
véritablement passionnée, comme un compagnon pourrait
l'être, elle l'imagine, en couple hétérosexuel. Cet enfant,
elle l'aurait, dès la conception, « adopté ».
Quand Lisa dit qu'elle a « adopté » Thibault «
dès la conception » et qu'elle s'est «
engagée comme parent », cela signifie pour elle
qu'à compter de ce moment-là, elle l'aurait pris en charge en son
nom, qu'il y ait ou non d'autres parents. Elle considère qu'elle doit
lui assurer son bien-être matériel (sa sécurité et
ses principaux besoins) et son éducation, ce qui viserait si possible
son bonheur par le sentiment qu'il devrait avoir d'être important dans
cette relation, par le développement de ses aptitudes physiques,
113 CHARRIER Gilda (1993), Mémoire et identité
: le souvenir de l'accès à la profession comme expression de
l'identité pour soi, Thèse de doctorat dirigée par
François de Singly, Université Paris V.
par sa compréhension du monde qui l'entoure, par son
insertion sociale et son ouverture aux autres, et surtout sa progressive
autonomie.
Dans son discours, Lisa assoie une nouvelle fois
l'individualité de son parcours, son identité de parent
indépendante de celle des autres. Elle investit dans le même temps
des rôles reconnus comme parentaux notamment dans un milieu intellectuel
(en cultivant l'enfant), reconnus comme plutôt « masculins »
(accompagnement de la grossesse, bien-être matériel, stimulation
motrice) ou plutôt « féminins » quand elle racontera
plus tard qu'elle s'occupe également de tout ce qui appartient au
quotidien vital et utilitaire de l'enfant, ce qui est plus souvent
attribué aux mères (hygiène, coucher, achats). Elle
investit alors un rôle parental qui comprend plusieurs aspects reconnus
indépendamment de la dimension genrée de ce rôle («
masculin », « féminin ») - ou alors, selon le point de
vue depuis lequel on se place - dépendamment de toutes les dimensions
genrées de ce rôle. Cela signifie qu'elle ne dépendrait pas
des autres parents pour assurer l'éducation de l'enfant,
c'est-à-dire qu'elle ne serait pas simplement le «
complément » de la mère ou du père, ce qui
révèle une autre manière d'individualiser son parcours de
parentalité.
Thibault naît le 5 octobre 1999. Lisa accompagne
Véronique pendant l'accouchement, sauf que malgré l'autorisation
qu'elles ont obtenue de pouvoir y assister, père «
biologique » et compagne, Lisa doit sortir la dernière
heure pour lui laisser la place. Elle vit cela comme sa propre expulsion et
angoisse car l'accouchement est difficile et elle craint qu'il arrive quelque
chose à l'enfant. Christian lui annonce la naissance. A la sortie de la
maternité, une photo d'eux quatre montrent les « garçons
» entourant Véronique de tous leurs soins et Lisa en bordure. C'est
un peu l'image qu'elle garde de cette configuration familiale où tout se
serait passé trop vite, selon elle, la famille avant le couple et le
couple de parents « biologiques » avant la
coparentalité à quatre. Ils et elles n'auraient pas eu assez le
temps de se parler, Lisa a le sentiment de n'avoir pas été
écoutée et entendue. Axel et Lisa ne parviennent pas à
« faire » le second enfant tant désiré, malgré
un an et demi de tentatives rationnalisées, la prise d'hormones, le
recours finalement interrompu à une clinique d'insémination
bruxelloise. Elle part en 2001 pour une autre qui la fait rêver. Thibault
a un an et demi.
Dès lors, elle se serait affirmée comme parent
et elle se représente cela comme une question de survie car le lien
à Thibault serait profondément inscrit en elle. Elle est alors
dévorée par la culpabilité à rompre avec la
mère de son fils, d'autant que sa nouvelle relation serait sans
intérêt et qu'elle s'y accrocherait à l'absurde. Elle
aurait besoin de voir Thibault, de le voir vivre, grandir et son existence
n'aurait aucun sens si elle ne pouvait assurer cet
engagement qu'elle a pris à son égard. Elle
aurait insisté mais n'aurait pas pu le voir durant les premières
grandes vacances.
Lisa raconte qu'elle a eu plusieurs fois l'impression
d'être mise de côté. Notamment quand Véronique et
Christian auraient décidé que tou-te-s deux feraient l'enfant
sexuellement. Lisa était contre, mais Christian aurait affirmé
qu'un enfant se fait comme cela, et qu'il n'imaginait pas d'autre solution.
Dans tous les cas de coparentalité qu'elle connait, cela s'est toujours
passé par insémination soit domestique soit médicalement
encadrée. D'ailleurs, Lisa et Axel ont fait leurs tentatives par
insémination domestique et au bout d'un an et demi d'échec quand
elle lui a proposé de le faire aussi en passant par la sexualité,
il s'y serait refusé.
Lisa ressent qu'elle est entrainée dans cette histoire
sans avoir de pouvoir. La rupture se serait passée sur le même
mode. Elle rêvait d'une autre, et débutait tout juste une relation
sexuelle avec elle. Véronique était au courant, ce n'était
pas une situation facile et elle n'aurait pas duré longtemps, selon
elle, d'une façon ou d'une autre. Un jour, Christian les aurait tou-tes
« convoqué-e-s » et aurait dit à Lisa que si elle
faisait souffrir Véronique il fallait qu'elle parte et qu'elle l'avait
terriblement déçu. Et ni Véronique ni Axel n'auraient
répondu. Elle est partie, mais selon elle, mal partie. C'est comme si
Christian, par son genre, par son âge, par sa profession peut-être
aussi de directeur d'entreprise culturelle, d'employeur et de licencieur,
était devenu le chef de leur famille associative qui englobait
désormais son couple.
Lisa et Christian sont en concurrence. En engendrant
sexuellement Véronique, Christian entre dans un rôle convenu comme
étant celui du partenaire de la mère, ce même rôle
qui fait reconnaître Lisa comme parent. La place que prend Christian
fragilise alors la reconnaissance que Lisa pourrait avoir en tant que parent,
à travers son couple. La sexualité, longtemps
considérée comme devant être exclusive afin d'assurer
l'exclusivité de la filiation, prend une symbolique très forte
dans le cas de l'engendrement d'un enfant. Dans la situation de Lisa, la
relation sexuelle entre Christian et Véronique empêche Lisa de
raconter l'histoire de la parentalité au sein de son couple au moment de
l'engendrement comme l'a fait Vanessa. Hors être présent
dès la conception est une variable importante dans les familles faisant
un accord de coparentalité, car c'est ce qui permet de se distinguer des
beaux-parents des recompositions familiales. Lisa insiste d'ailleurs sur le
fait qu'elle a « adopté Thibault dès la conception
». De la même manière, pour l'accouchement, sa sortie de la
salle de travail la fait passer « après » Christian et elle ne
peut plus accompagner la naissance de l'enfant, acte reconnu comme parental.
Lisa a l'impression que Véronique était
angoissée à l'idée que Lisa lui « vole
» son enfant. Elle ne saurait dire pourquoi elle ressent cela, mais elle
croit qu'il était insupportable
pour Véronique d'imaginer une « autre
mère », une « mère alternative »
comme si elles avaient pu être en rivalité de maternité, en
concurrence, et que Véronique n'aurait pas été sûre
de l'emporter. Pour Lisa, cette possessivité allait contre les projets
conjugaux comme familiaux.
La concurrence s'est jouée entre Lisa et
Véronique toujours parce que les rôles de mère et
père sont socialement construits pour être exclusifs mais de plus
parce que Véronique a le pouvoir d'accepter ou non la place de Lisa
auprès de Thibault. L'enjeu pour Lisa de raconter sa parentalité
comme un parcours individuel devient donc à la fois nécessaire
(puisqu'elle ne peut pas prendre appui sur les parents statutaires - ou alors
très peu) et difficile puisque elle n'a pas de statut. Parler de
l'angoisse de Véronique permet quelque part de montrer sa propre place
auprès de l'enfant. Elle permet de plus de rappeler les accords de
départ en termes de construction de projets et de configurations
familiales que Lisa, dans son récit, dit « mieux » respecter
que les autres parents de l'enfant. Cela permet de mettre en avant un parcours
de parentalité plus cohérent que celui des autres, qui eux/elles
ont un statut reconnu de parent.
Si Lisa et Vanessa passe toutes deux d'une histoire de couple
à une histoire individuelle, l'enjeu reste néanmoins
différent. Contrairement à Vanessa, Lisa n'a pas de statut et
faire de son histoire, une histoire individuelle ne permet pas seulement
d'offrir une cohérence à son parcours à travers son
discours. Cela permet également de se faire reconnaître comme
parent « inconditionnellement » tout en rappelant que l'histoire
vient d'une configuration qui l'impliquait, d'une histoire de couple qui est la
sienne voire même d'une histoire qui précédait son histoire
de couple, puisqu'elle aurait projeté d'être parent avant de
rencontrer Véronique. Par ailleurs, Vanessa revient sur ses propos
anciennement écrit en expliquant que finalement, Karine ne souhaitait
peut-être pas cette place. Lisa, elle, insiste sur sa place de parent
dès le départ, dans un projet individuel puis conjugal.
Cela passe par l'envie - individuelle - d'avoir un enfant, une
implication dans la grossesse en tant que partenaire dans le couple,
l'inscription dans une configuration qui la comprend comme « parent
», le tout permettant de revendiquer la parentalité même
individuelle après la séparation.
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