Des pères en apprentissage
Dans la charte de coparentalité que Vanessa, Karine et
Maël ont rédigée, il est convenu que Vanessa et Karine
prendront les décisions de la vie courante. Dans leur famille, les
compétences quotidiennes auprès de l'enfant sont
attribuées aux femmes.
Dans le récit qu'elle a rédigé par le
passé, Vanessa écrit qu'elle et Karine vivent mal ce qu'elles
ressentent comme un manque d'affection et de fierté de la part du
père. Selon Vanessa, Maël n'écoute pas ses conseils, «
si précieux pour un tout petit », fait preuve
d'intolérance et se moque de ses propos. Il la trouverait excessive et
trop protectrice. Elle se sent jugée en tant que mère et remet en
cause les actes de Maël en tant que père. Elle raconte qu'il
mettrait l'enfant en danger et n'écouterait pas ses besoins. Pour elle,
il souhaiterait sans se soucier d'elle, de Karine et d'Antoine, « casser
la fusion mère-enfant ».
Vanessa et Karine auraient essayé de lui expliquer que
si l'enfant devait effectivement, selon elles, se séparer de sa
mère, cela devait se faire en douceur. Elles appellent Maël au bout
de quelques heures durant lesquelles Antoine est chez lui. Vanessa explique que
Maël leur
reproche cet appel. Il parlerait d'Esteban comme «
d'une plante verte qui ne fait que dormir, manger et chier ».
Néanmoins, depuis le premier anniversaire d'Antoine,
Vanessa décrit les relations entre les trois parents comme
calmées, Maël serait de plus en plus fier de son fils, se sentirait
de plus en plus responsable, saurait réagir à sa demande. Il
ferait les courses pour Antoine quand Antoine est avec lui, ce que Karine et
Vanessa faisaient. Les deux femmes se sentiraient rassurées.
Pour Vanessa, dans une coparentalité, il faudrait que
le père s'implique dès le départ dans le quotidien ou bien
qu'il attende que l'enfant ait quinze mois et sache se faire comprendre avant
d'apprendre à s'en occuper seul. Dans ce dernier cas, le père
verrait le nourrisson les weekends prévus en compagnie des mères
pour éviter les conflits.
Ici, l'éducation est perçue comme un ensemble de
savoirs. Se pose la question de qui possède le savoir ? Dans la famille
de Vanessa, Karine et Maël, ce sont les femmes, le père
étant en « apprentissage ». Plus largement, dans les
représentations communes, on pense aussi que ce sont les femmes. Par le
renvoi à la « nature », à « l'instinct maternel
», à « l'expérience ». Ce point de vue a alors
tendance à justifier la désignation systématique d'une
résidence principale de l'enfant chez la mère. Se pose la
question de la possibilité de trouver la situation inverse. Un
père qui dicterait à la mère ses conduites avec l'enfant
s'il considère qu'elle le met en danger ou du moins qu'elle fait «
mal » les choses. N'ayant pas rencontré les pères, je ne
peux pas le dire à partir de mon terrain. Néanmoins, la
socialisation féminine et la socialisation masculine dans la petite
enfance sont différentes. Des rôles et des capacités sont
assigné-e-s aux enfants selon qu'il s'agisse de filles ou de
garçons. Aux filles, on offrira des jouets relevant de la sphère
domestique et du maternage. Aux garçons, on offrira des petites
voitures, des outils et des équipements de sport. Aux filles, on
accordera une qualité de communication et de soutien. Aux
garçons, des aptitudes physiques et une certaine autonomie85.
Le « savoir » parental accordé à la mère
relève donc d'une assignation à un rôle construit comme
féminin dès le plus jeune âge86.
85 ROUYER Véronique, ZAOUCHE-GAUDRON Chantal
(2006), « La socialisation des filles et des garçons au sein de la
famille : enjeux pour le développement », in Dafflon Novelle Anne
(dir), Filles-garçons : Socialisation différenciée
?, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
86 C'est également l'hypothèse de
Virginie Descoutures : « Je fais l'hypothèse que «
l'attachement » des mères à leur enfant et son pendant, la
difficulté de s'en séparer, sont aussi un indicateur de la charge
mentale qui pèse sur elles, plus que sur les pères. Les
mères sont socialement perçues et se perçoivent ainsi
elles-mêmes (ce qui reconduit la représentation sociale de la
maternité) comme davantage responsables de leur(s) enfant(s). Elles
« savent mieux », parce qu'elles sont mères » DESCOUTURES
Virginie (2010), Les mères lesbiennes, Paris, Presse
Universitaire de France, p.222.
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